« Il va falloir être vigilants » : Nadia Chaabane, une Tunisienne mobilisée pour l’égalité dans l’héritage
Ne rien lâcher. C’est un peu le mantra de Nadia Chaabane, femme politique tunisienne, élue du camp progressiste, d’abord pour le Pôle démocratique moderniste (PDM), puis à la Voie démocratique et sociale, en première ligne pour la bataille pour l’égalité en Tunisie depuis 2011.
Pour comprendre, il suffit de l’écouter revenir sur son expérience. La Constitution ? Elle s’en dit « satisfaite à quatre cinquièmes ». La Commission des libertés individuelles et de l’égalité (COLIBE) en charge de rédiger un rapport sur les réformes législatives relatives aux libertés et à l’égalité ? « Une bonne avancée, mais qui n’est pas suffisante ». La loi sur l’égalité dans l’héritage bientôt en débat en Tunisie ? « Il va falloir être vigilants ».
L’actualité ne lui laisse pas de répit et la distance ne l’empêche pas d’être active. Alors que cette linguiste de formation est revenue s’installer en France, une fois son mandat terminé, pour reprendre le cours de sa vie, elle garde un œil inquiet sur les avancées législatives en Tunisie.
Ce soir de février, avec Nissa al 46, un groupe informel de Tunisiens se battant pour l’égalité, elle participe à une réunion à Paris pour mettre en place une campagne de plaidoyer pour l’égalité dans l’héritage.
Alors qu’une commission parlementaire a débuté le 27 février les auditions autour du projet de loi sur l’égalité successorale, son examen a été reporté le 16 mai, provoquant la colère d’une partie de la société civile.
Un report qui fait réagir Nadia Chaabane. L’ancienne élue note que seules deux auditions ont été menées et que la procédure traîne en longueur : « C’est une manière de l’enterrer, de dire que la loi ne passera pas pendant cette mandature », estime-t-elle. Cet acheminement vers l’abandon de la loi est pour elle la preuve que la Présidence, le Conseil des ministres et l’Assemblée sont dans une politique d’affichage : « On nous a dit que cette loi était importante, mais finalement ce n’est qu’une manière de brasser du vent », conclut-elle.
De l’Afghanistan à la RDC
« La vie est faite de politique et les choses avancent en s’organisant », explique Nadia Chaabane à Middle East Eye. Son absence de l’hémicycle n’entame en rien son combat pour les droits humains, dans lequel elle s’est engagé alors qu’elle n’avait pas 20 ans et qu’elle ne compte pas stopper de sitôt.
Nadia Chaabane se définit en quelques mots clés qui permettent de mieux comprendre le personnage : « Femme de gauche aux principes féministes forts, écologiste », des valeurs acquises au fur et à mesure de son parcours et de ses rencontres.
Nadia Chaabane a très tôt fait partie de mouvements féministes et pacifistes en France et dans le monde. Elle s’est rendue en République démocratique du Congo (RDC) pour apporter son soutien aux femmes victimes de viol, et en Afghanistan pour accompagner la première délégation de femmes élues à l’Assemblée.
« Je me suis nourrie des expériences d’autres, ailleurs dans le monde. C’est cela qui m’a servi dans mon travail pour la Constituante ». On lui a reproché de ne pas être juriste mais Nadia Chaabane rétorque avoir appris des autres. Elle se rappelle la lutte des Espagnoles dont le droit à l’avortement a été remis en question, parle de la démocratie participative et de ses limites en France, invoque la Constitution européenne…
Au printemps 2011, alors que le débat en Tunisie se concentre sur la parité dans la loi électorale, Nadia Chaabane s’engage avec l’idée de défendre bec et ongles l’égalité. « Après avoir tant défendu la parité dans le code électoral, je me suis dit que je devais défendre les principes auxquels je crois jusqu’au bout », témoigne-t-elle.
En juin 2011, elle devient candidate pour représenter les Tunisiens de France. Son souvenir le plus fort lors de son élection ? Un sentiment mitigé : « une grande euphorie et en même temps, un choc quant au résultat ». Le parti islamiste Ennahdha a récolté 89 sièges sur 217 et la Tunisie se découvre un nouveau visage.
« L’entrée dans l’hémicycle et le fait d’être installée face-à-face avec les élus islamistes a été un choc », raconte Nadia Chaabane. La cohabitation durera trois ans. Des années éprouvantes, « violentes », ajoute-t-elle. Avec des tensions permanentes avec les islamistes mais aussi des gens de son bord politique, pressés qu’une Constitution voit le jour. « Le vote de la Constitution a été une délivrance », explique-t-elle.
De son expérience, elle a tiré un livre, Chronique d’une Constituante, (Déméter éditions). Une manière de revenir sur son expérience, sans pour autant s’arrêter là, car Nadia Chaabane n’exclut pas de se présenter à nouveau.
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