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Pourquoi al-Qaïda et l’EI restent une menace

Ébranlées au sommet, privées de leurs territoires, les deux principales organisations islamistes armées gardent toutefois de l'influence, se redéploient, voire adoptent de nouveaux modes opératoires. De quoi inquiéter les spécialistes
Le 17 août 2019, un attentat-suicide revendiqué par le groupe État islamique (EI) tue au moins 80 personnes et fait plus d’une centaine de blessés lors d’un mariage à Kaboul (AFP)
Par Akram Kharief à Alger, ALGER

Les chefs des deux plus grandes organisations islamistes armées, al-Qaïda et le groupe État islamique (EI), sortent de leur silence après avoir été mis en difficulté sur le terrain.

Ayman al-Zawahiri a confirmé dans un document diffusé le 22 août qu’une de ses quatre femmes, Oumayma Hassan Ahmad, se trouvait entre les mains des autorités militaires pakistanaises.

Traduction : « Le communiqué d’al-Qaïda mentionne trois épouses/veuves et leurs enfants retenus prisonniers par le Pakistan. Deux points intéressants : - L’une d’entre elles semble être l’épouse de Zawahiri, leader mondial d’al-Qaïda, qui a fui le Waziristan il y a plus de quatre ans. Ce qui le désigne donc comme étant au Waziristan. - Le ton indigné implique la surprise au Pakistan »

Elle aurait été faite prisonnière parmi d’autres familles liées à al-Qaïda, après leur fuite, il y a un an, de la région du Waziristan (région montagneuse du nord-ouest du Pakistan) après des bombardements aériens. Oumayma Hassan Ahmad était très active dans l’organisation. Elle a notamment aidé l’organisation en écrivant des articles dans différentes publications dont Ummah Wahida.

En revanche, la maison-mère d’al-Qaïda n’a pas voulu commenter la nouvelle de la mort du fils d’Oussama ben Laden. L’information, évoquée par le New York Times il y a un mois a été confirmée le 22 août par Mark Esper, le ministre américain de la Défense.

Questionné sur la mort d’Hamza ben Laden lors d’un entretien à la chaine américaine Fox diffusé mercredi soir, Mark Esper s’est abstenu de donner des détails sur l’opération au cours de laquelle il a été tué. « Je n’ai pas les détails. Et si je les avais, je ne suis pas sûr que je pourrais les partager avec vous », a déclaré le nouveau chef du Pentagone, qui a pris ses fonctions fin juillet. Quand on lui a demandé s’il est bien mort, Mark Esper a répondu : « C’est ce que je comprends ».

Hamza ben Laden, selon une capture d’écran d’une vidéo diffusée par la CIA en septembre 2017 (AFP)

Hamza ben Laden, qui figurait sur la liste noire américaine des personnes accusées de « terrorisme », était considéré par de nombreux spécialistes comme le prince héritier d’al-Qaïda. 

Des documents, dont des lettres révélées par l’AFP en mai 2015, montrent qu’Oussama ben Laden le destinait à sa succession. Quinzième de la vingtaine d’enfants d’Oussama ben Laden, fils de sa troisième femme, Hamza avait été déchu en mars de sa nationalité saoudienne.

La direction des opérations de l’EI confiée au « Professeur »

Du côté de l’EI, Abou Bakr al-Baghdadi, chef de l’EI, gravement blessé, aurait confié la direction des opérations de son organisation à Abdullah Qardash, alias « Professeur », ancien militaire de l’armée de Saddam Hussein.

L’information a été donnée par l’agence de presse de l’organisation, Aamaq, le 16 août 2019. Abou Bakr al-Baghdadi, aujourd’hui âgé de 48 ans, serait paralysé d’un membre inférieur suite aux séquelles d’un bombardement.

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Abdullah Qardash, qui répond au nom de guerre d’Abu Omar, est une vieille connaissance de Baghdadi. Il avait été interné en 2003 à Camp Bucca, une ancienne prison américaine au nord de l’Irak à la frontière avec le Koweït, juste après la seconde invasion de l’Irak par la coalition. 

Les chemins des deux hommes se sont croisés une deuxième fois lors de la prise de Mossoul par Daech, où Qardash est venu personnellement accueillir et faire prêter allégeance à Baghdadi.

Le communiqué a déclaré que Qardash allait prendre le commandement de l’EI et non qu’il allait succéder à Baghdadi en tant que « calife ». Abdullah Qardash aurait déjà affiché sa filiation familiale comme descendant des Qoreychites, tribu du prophète, ce qui le rend éligible, lui-aussi au statut de « calife ».

Assassinats et attaques à la bombe

Comment interpréter ces événements à la tête de ces deux organisations ?

Si le projet de califat est caduc, en raison de la reprise par la Syrie et l’Irak des territoires conquis par l’EI entre 2015 et 2017, l’organisation pourrait encore avoir de beaux jours devant elle en se diluant parmi les populations de ses anciens territoires.

L’EI disposerait toujours de milliers de combattants, parmi lesquels des centaines d’étrangers ayant pris des billets sans retour et un butin de guerre évalué à plus de 50 millions de dollars par les spécialistes.

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La force de frappe médiatique de l’organisation terroriste est par ailleurs restée intacte. Les abonnés des comptes Telegram de l’EI continuent à recevoir quasi quotidiennement des bilans des opérations et des messages de propagande appelant au ralliement.

Ce qui diffère, c’est le mode opératoire des éléments de Daech : il n’est plus question de conquérir des territoires et de les gérer, mais rendre la vie impossible par des assassinats et des attaques à la bombe, dans les zones perdues en Syrie et en Irak.

Dans un rapport intitulé Ne parlez pas d’un retour : la persistance de l’État islamique, le cabinet d’analyse Soufan Center estime que « l’EI est bien vivant et en bonne santé en Irak et en Syrie ».

Dans un autre rapport, datant de la mi-juillet, le Conseil de sécurité de l’ONU estime lui aussi que « l’EI s’adapte, se consolide et crée les conditions d’une éventuelle résurgence dans ses bastions en Irak et en Syrie ».

En parallèle, l’organisation tente de se réimplanter en Afrique, au Yémen et en Asie Centrale. Depuis deux ans, on décèle une présence en Tunisie et en Libye et même la création de branches locales affiliées à l’EI, comme l’EI en Somalie (ISS), l’EI en Afrique centrale (ISCAP), l’EI dans le grand Sahara (ISGS) et enfin l’EI en Afrique de l’Ouest (ISWAP), avec pour but ultime de créer un califat africain s’étendant de la Méditerranée au Congo, et de l’océan Indien à l’océan Atlantique.

Zone de repli en Afrique

Quant à al-Qaïda, l’organisation ne devrait pas souffrir de la disparition du fils d’Oussama ben Laden, comme elle n’a pas souffert de la disparition de son leader charismatique. Elle continue son expansion dans le Sahel, en Afghanistan et au Yémen et multiplie les attaques.

Depuis le début de la guerre au Mali en 2015, al-Qaïda a conquis de nombreux autres territoires, s’est fortement implantée dans l’ouest libyen et a opéré une fulgurante descente vers le sud en se reforçant au Burkina Faso, au Cameroun et au Ghana, cherchant, là aussi, à créer un territoire autonome ou du moins une zone de repli durable.

Depuis deux ans, on décèle une présence de l’EI en Tunisie et en Libye et même la création de branches locales en Somalie, en Afrique centrale, dans le grand Sahara (ISGS) et en Afrique de l’Ouest

Selon le bulletin du Centre africain des études et recherches sur le terrorisme (CAERT), basé à Alger, rien que pour le mois de juillet 2019, ce sont 150 attaques meurtrières qui ont été menées par des groupes armés en Afrique. Ces attaques se sont concentrées principalement sur le Sahel, la région du lac Tchad et la Corne de l’Afrique, résume le bulletin.

Chez al-Qaïda, des experts interrogés par l’AFP estiment que la mort de Hamza ben Laden est « un coup dur à relativiser », car il semblait encore peu actif dans les tentatives de résurgence de l’organisation.

Selon eux, rien ne prouve qu’il ait accédé à des fonctions supérieures à celles d’un messager susceptible de séduire les jeunes générations de combattants potentiels dans un contexte de concurrence avec l’EI.

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Bruce Hoffman, un expert en contre-terrorisme au Council on Foreign Relations, estime également qu’al-Qaïda ne devrait pas souffrir outre mesure de l’éventuelle disparition du fils de son fondateur. Selon lui, le réseau a entrepris sous la direction d’Ayman al-Zawahiri un patient travail de reconstruction au travers de « franchises » en Asie ou en Afrique de l’Ouest, afin de combler le vide créé par la désintégration de l’EI.

« C’était un personnage important du fait de son ascendance familiale mais aussi de son âge », relève-il. « Mais al-Qaïda a survécu à la mort du père. Je suis sûr qu’elle peut gérer cette situation et survivre à la mort du fils. »

Le peu charismatique Ayman al-Zawahiri reste toutefois un handicap pour l’organisation, à la recherche d’un nouveau leadership.

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