« Les généraux à la poubelle ! », clament par dizaines de milliers les Algériens
La liste des villes où les Algériens ont manifesté à l’unisson, vendredi après-midi, n’a cessé de s’allonger au fur et à mesure que les vidéos postées par citoyens et journalistes en fin de manifestations étaient massivement partagées sur les réseaux sociaux.
Oran, Constantine, Annaba, Ghardaïa, Béjaïa, Batna, Chlef, Tiaret, Sétif et bien d’autres villes ont vu des milliers de citoyens protester pacifiquement dans la rue contre le système militaire en place.
« Les généraux à la poubelle, l’Algérie prend son indépendance » est l’un des slogans qui ont le plus retenti dans la capitale, Alger, où un flot humain spectaculaire s’est déversé dans les avenues du centre-ville, pourtant occupé par un nombre incalculable de véhicules de police anti-émeute.
Les habitants de la capitale et de tout le pays ont été choqués, quelques jours auparavant, d’entendre le chef du haut commandement militaire du pays, le vice-ministre de la Défense Ahmed Gaïd Salah, ordonner que la ville soit fermée aux citoyens qui n’y résident pas les jours de manifestation.
La gendarmerie nationale a été ainsi sommée de filtrer par des check-points installés à toutes les entrées par autoroute de la capitale et de renvoyer ceux qui n’y sont pas des résidents.
La théorie du général-major Ahmed Gaïd Salah étant, selon son propre discours, que ceux qui manifestent dans Alger sont des agents comploteurs venus d’autres villes pour semer le trouble et « amplifier les flux humains dans les places publiques ».
Les Algérois ainsi que les citoyens des autres régions du pays ont réagi de manière spectaculaire à cette mise sous blocus de la capitale du pays.
Les images de barrages de gendarmerie et de police filtrant les automobilistes par centaines, celles des bouchons gigantesques créés aux abords de la capitale à cause de ce « blocus », celles des policiers de la capitale stoppant, fouillant et demandant aux citoyens leur lieu de résidence ont scandalisé les Algériens.
Elles ont réveillé les images encore vives dans la mémoire collective de la guerre civile des années 1990 mais aussi celles de l’époque coloniale.
Les slogans à connotation anticoloniale ont donc été parmi les favoris des manifestants, comme « Les généraux à la poubelle », « El djazayer teddi l’istiqlal » (l’Algérie reprend son indépendance).
Ils ont aussi rappelé le souvenir d’Ali la Pointe, héros de la bataille d’Alger, évoqué pour la première fois massivement depuis le début du hirak en Algérie, le 22 février.
« Ali la Pointe, l’Algérie est de retour ! » ont scandé les manifestants, émus de se retrouver à nouveau aussi nombreux dans la capitale et dans les autres villes.
Les manifestations hebdomadaires pour l’avènement de la démocratie n’ont jamais cessé depuis le 22 février 2019.
Le nombre de manifestants a diminué pendant l’été, où les températures ont fréquemment avoisiné les 40 à 45 degrés, mais il a recommencé à sensiblement augmenter avec la rentrée scolaire et sociale en septembre.
Alger a donc pacifiquement pulvérisé le blocus policier et militaire imposé à la ville et les premiers manifestants arrivés au centre-ville en fin de matinée ont chanté leur victoire de
« clandestins venus enfin à la capitale ». Les manifestants ont rappelé au commandement militaire qu’ils refusent des élections organisées par le pouvoir en place. Certains chants ont appelé le chef d’état-major à « organiser des élections aux Émirats [arabes unis] », Ahmed Gaid Salah étant accusé de nourrir des relations « trop proches » avec Abou Dabi. Ils ont surtout été unanimes à exiger la libération des détenus politiques et à dénoncer les arrestations arbitraires de plus en plus nombreuses parmi les manifestants mais aussi de personnalités politiques qui critiquent ouvertement le haut commandement de l’armée.« Vous pouvez nous jeter tous en prison, le peuple ne s’arrêtera plus [de vous contester] », ont chanté des manifestants alors que d’autres ont brandi les portraits des dizaines de jeunes manifestants et manifestantes en détention préventive ou ceux de Karim Tabbou, Fodil Boumala, Samir Benarbi, Lakhdar Bouregaa, personnalités politiques d’horizons très divers qui se sont publiquement impliquées dans la contestation du régime et qui se sont retrouvées sous les verrous, accusées de porter atteinte au moral de l'armée ou d'atteinte à la sûreté de l'État.
Après donc un été où les manifestations contre le pouvoir en place ont continué sans avoir les proportions des démonstrations de force gigantesques des mois qui ont marqué le début du hirak en Algérie, la ferveur était de retour dans les rues du pays.
Un photographe de presse algérien, Samir Sid, a titré sa couverture de la journée du vendredi 20 septembre : « Le peuple a gagné la bataille d’Alger ».
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