« Si cet arbre reste, alors nous resterons » : l’histoire d’un olivier vieux de 5 000 ans et de son gardien palestinien
Il se dresse près de Bethléem depuis plus longtemps que le christianisme et l’islam, depuis une époque précédant les prophètes de la Terre sainte.
Faisant lentement le tour de ce vieil olivier, Salah Abu Ali en inspecte soigneusement chaque centimètre, avant de s’installer sur sa chaise à l’ombre de son feuillage.
À côté de lui, en équilibre sur une bûche, se trouve une assiette de fruits qu’il a tout juste cueillis dans sa ferme. À portée de main, il dispose également d’une grande bouteille d’eau et d’un thermos de café chaud qu’il prépare tous les jours pour en offrir aux visiteurs de l’endroit qui est devenu son sanctuaire.
Tous les matins à 6 h 30, le quadragénaire se rend à pied auprès de l’arbre, situé sur une terre de la famille. Depuis une dizaine d’années, Salah Abu Ali a une lourde responsabilité : il est chargé de garder le plus vieux et le plus grand olivier de Palestine.
L’arbre, qui appartient à la famille Abu Ali, se trouve dans le quartier de Wadi Jwaiza dans le village d’al-Walaja, près de Bethléem, au sud-ouest de Jérusalem occupée.
Bien qu’il passe la plupart de son temps près de l’olivier, Abu Ali confie être toujours émerveillé par cet arbre. « Sa beauté et sa taille sont vraiment spéciales, il captive l’esprit – c’est le plus bel arbre de Palestine », affirme-t-il à Middle East Eye.
Selon le ministère palestinien de l’Agriculture, l’âge de l’arbre est estimé à 5 000 ans environ. Il s’étend sur 250 m², se dresse sur environ 13 mètres de haut et ses racines s’enfoncent d’environ 25 mètres dans la terre.
Au fil des ans, l’arbre a reçu une variété de surnoms ; Salah Abu Ali l’appelle « la forteresse », bien qu’il ait également été surnommé « la vieille femme », « la mère des olives » et « la mariée de la Palestine ».
D’après leur expérience de l’agriculture, les Palestiniens savent que plus l’arbre est vieux, meilleure est la qualité et le goût des olives et de l’huile d’olive qu’elles produisent. Le chef du Conseil gouvernemental palestinien de l’huile d’olive, Fayyad Fayyad, explique à MEE que, bien que les olives de l’arbre le plus ancien ne diffèrent guère de celles des autres arbres, la recherche montre que plus l’arbre est grand et vieux, plus l’huile d’olive est riche.
« L’âge de l’arbre influe grandement sur le goût et la qualité. L’arbre d’al-Walaja produit de l’huile de très haute qualité », indique-il, ajoutant qu’une enquête est en cours pour déterminer s’il pourrait s’agir du plus vieil olivier au monde.
Selon Salah Abu Ali, les sécheresses au fil des ans et la variabilité du climat dans son ensemble ont eu un impact négatif sur l’arbre, conduisant à une réduction de sa production, qui est devenu plus instable. « Dans le passé, il y a environ 10 à 15 ans, l’arbre produisait une demi-tonne d’olives, dont nous extrayions environ 600 kilogrammes d’huile d’olive.
« Une occupation qui existe depuis des dizaines d’années ne le déracinera pas »
- Salah Abu Ali
« L’année dernière, cependant, les olives n’ont produit que 250 kilogrammes d’huile. Il y a même eu des périodes où l’arbre n’a rien produit. »
Un autre problème, ajoute Abu Ali, est l’eau : « L’arbre a soif. Il a besoin de grandes quantités d’eau en raison de sa taille, mais ces quantités ne sont pas disponibles. La source à proximité ne suffit pas. »
Le gardien a pris sur lui d’étancher la soif de l’arbre en déployant un tuyau depuis la source d’eau à proximité. Mais l’approvisionnement dépend des précipitations et est particulièrement limité en été. Au cours des dernières années, l’eau a diminué, rapporte Abu Ali.
« J’essaie de le soutenir en ajoutant du fumier au sol et en prenant soin de son environnement. Ça me fait mal de le voir comme ça. »
Politiques expansionnistes israéliennes
L’arbre se trouve à seulement 20 mètres du mur de séparation et d’annexion construit par Israël en plusieurs étapes à partir de 2007.
Le village d’al-Walaja fait historiquement partie de Jérusalem, et les habitants font régulièrement des allers-retours pour y faire leurs courses et pour le travail. En 1967, lorsqu’Israël a occupé Jérusalem-Est et la Cisjordanie, il a annexé une grande partie des champs et des terres d’al-Walaja.
En 2010, le village est devenu le théâtre de manifestations hebdomadaires contre la construction du mur qui devait le traverser.
« [Lorsque le mur a été érigé], les forces d’occupation israéliennes ont utilisé un grand nombre d’explosifs, sans se soucier de l’arbre. Nous avions très peur qu’il ne soit affecté, mais il a résisté, comme il l’a fait pendant des milliers d’années – une occupation qui n’existe que depuis des dizaines d’années ne le déracinera pas », affirme Abu Ali.
« Cet arbre n’est pas moins important que les mosquées al-Aqsa ou Ibrahimi »
- Salah Abu Ali
En octobre, l’aile de l’armée israélienne responsable de la vie civile en Cisjordanie occupée a publié un message sur Facebook au sujet de l’arbre, le qualifiant de « plus vieil olivier de Judée-Samarie ». Le post a irrité les militants, qui y ont vu une tentative de s’approprier l’histoire et le patrimoine palestiniens.
Fayyad précise que les autorités israéliennes, notamment du personnel civil et militaire, ont visité l’arbre dans le passé, prenant des échantillons et des mesures. Cela a naturellement suscité des craintes parmi les familles d’al-Walaja, qui ont alors demandé au ministère de l’Agriculture de l’Autorité palestinienne (AP) d’intervenir en veillant à ce qu’il y ait quelqu’un pour garder l’arbre en permanence.
Alors qu’Abu Ali passait déjà une grande partie de sa semaine à le garder, l’AP lui verse maintenant un salaire mensuel d’environ 410 dollars pour garder l’arbre tous les jours.
« Une partie de notre identité »
Les oliviers ont longtemps été à l’avant-garde de la politique militaire expansionniste et colonialiste d’Israël. L’olivier d’al-Walaja est l’un des quelque 11 millions d’oliviers que compte la Palestine, selon le site d’information officiel de l’AP.
Les arbres sont confrontés à une double menace existentielle : l’armée israélienne coupe systématiquement des arbres et les colons juifs mènent régulièrement des actes de violence, y compris de vandalisme, contre les villes et les champs palestiniens.
Au cours des six premiers mois de l’année 2019, l’ONU a recensé le déracinement, la mise à feu ou le vandalisme de plus de 4 100 arbres par des colons israéliens, soit une augmentation marquée de 126 % en moyenne mensuelle par rapport à 2018.
Ces attaques se multiplient lors de la récolte des olives, entre les mois d’octobre et novembre. En juin 2019, l’ONU a documenté l’abattage de près de 400 arbres appartenant à des Palestiniens dans la même région lors d’un incident de démolition de biens par l’armée israélienne.
« L’occupation et la politique israélienne reposent sur la peur », dit Abu Ali, expliquant que de tels actes de la part d’Israël et de ses colons visent à chasser les Palestiniens de leurs terres. « Soit nous défendons nos terres, soit nous abandonnons. Cet arbre est une fiducie. »
Hériter de l’amour pour l’arbre
Les familles d’al-Walajah l’appellent « l’arbre d’al-Badawi » – une référence au guide spirituel soufi égyptien, le cheikh Ahmad al-Badawi, qui aurait visité le site et se serait occupé de l’arbre pendant quelques années.
Salah Abu Ali considère aussi que l’arbre possède une signification spirituelle. Si nous ne préservons pas cet arbre, dit-il, nous serons tenus responsables. « Cet arbre n’est pas moins important que les mosquées al-Aqsa [à Jérusalem] ou Ibrahimi [à Hébron]. »
Les habitants d’al-Walaja considèrent également l’arbre comme une source de chance et de bénédictions. Selon Abu Ali, les femmes recueilleraient les feuilles tombées pour se protéger du mauvais œil. Chaque année, les familles sacrifient leurs moutons pendant la fête musulmane de l’Aïd al-Adha à l’ombre de l’arbre.
« J’aimerais pouvoir transformer cet arbre et ses environs en un paradis florissant », rêve Abu Ali. « Mais la situation économique ici est difficile, je fais ce que je peux, mais ce n’est pas suffisant. »
Bien que son salaire soit à peine suffisant pour joindre les deux bouts, Abu Ali insiste pour garder l’arbre, qu’il considère comme un symbole de la persévérance palestinienne.
« Si cet arbre reste, alors nous resterons. Cet arbre fait partie de notre identité et du conflit dans lequel nous combattons l’occupation [israélienne]. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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