La visite de Mike Pompeo au Maroc, un fiasco israélien
À l’issue de sa participation au sommet de l’OTAN à Londres, Mike Pompeo, qui se rendait à Rabat pour une première visite dans le royaume, a fait une escale à Lisbonne pour y rencontrer le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou.
Ce dernier s’était envolé pour la capitale portugaise, tentant une dernière pression sur le chef de la diplomatie américaine pour le convaincre de l’importance d’une telle intermédiation avec le Maroc et de son impact sur son image en Israël, lui qui se trouve dans l’œil du cyclone de la justice israélienne puisqu’il est officiellement inculpé pour corruption.
Le Maroc, conscient de cette tentative israélienne de le mettre devant le fait accompli par l’intermédiaire de Mike Pompeo, a catégoriquement refusé qu’on l’implique dans ce tour de passe-passe aux relents purement politiciens devant servir le Premier ministre israélien sur son front intérieur.
Mike Pompeo, dont le pays a besoin de la coopération et de l’expertise du Maroc dans la lutte antiterroriste, n’a pas cédé aux caprices de Benjamin Netanyahou, qui a poussé le bouchon jusqu’à demander au chef de la diplomatie américaine de l’accompagner à Rabat pour y rencontrer le roi du Maroc !
La tentative ratée de Netanyahou
Mike Pompeo, après avoir sondé la partie marocaine, qui n’était pas prête à une telle ouverture, a refusé la requête du Premier ministre israélien. D’ailleurs, le Maroc n’aurait jamais accepté cette « option ». L’information avait été divulguée dans les médias israéliens qui en avaient fait leurs gros titres, donnant l’impression que c’était chose acquise.
On peut donc parler d’un échec cuisant pour Benyamin Nentanyahou qui a tenté d’utiliser Mike Pompeo comme un cheval de Troie dans le but d’une « incursion » diplomatique au Maroc.
La visite du secrétaire d’État au Maroc, malgré ces quelques turbulences qui l’ont accompagnée, a été en revanche une grande réussite sur les volets économique et sécuritaire, et le communiqué du département d’État américain à ce sujet a été très clair.
Mohammed VI, qui se trouvait en visite privée à l’étranger, n’est rentré au Maroc qu’après le départ de Mike Pompeo
Par ailleurs, le Maroc ne peut pas changer d’un iota ses positions concernant les droits inaliénables du peuple palestinien à accéder à sa souveraineté, cause constante et centrale de sa politique étrangère, à l’instar de celle de son intégrité territoriale.
Accepter, en ce timing, de recevoir un Benyamin Netanyahou fragilisé en interne, et en dehors d’une solution régionale globale à la question palestinienne, aurait été un coup de poignard dans le dos des Palestiniens qui comptent beaucoup sur le poids du Maroc, dont le roi est président du Comité Al-Qods, en vue d’une solution finale à ce dossier.
Réunion avec le roi Mohammed VI annulée
Selon plusieurs sources diplomatiques, le secrétaire d’État américain devait bel et bien être reçu en audience par le roi du Maroc, mais cette rencontre a été purement et simplement annulée. Mohammed VI, qui se trouvait en visite privée à l’étranger, n’est rentré au Maroc qu’après le départ de Mike Pompeo.
Cette annulation, dont le ministère marocain des Affaires étrangères n’a pas jugé bon d’en expliquer les raisons, est due, selon les milieux diplomatiques occidentaux à Rabat, aux pressions exercées par Mike Pompeo sur les autorités marocaines pour une normalisation avec Israël alors que la question n’était pas inscrite à l’ordre du jour de la visite du chef de la diplomatie américaine.
Les responsables marocains ont compris à ce moment qu’il s’agissait d’une demande israélienne expresse pour leurs « arracher » des concessions et mettre le royaume devant le fait accompli.
Si le Maroc et Israël ont déjà échangé des bureaux de communication, en 1994, avec des représentations à Rabat et à Tel Aviv, les circonstances et les conditions politiques et diplomatiques de cette époque ne sont pas réunies aujourd’hui pour permettre une telle ouverture.
De plus, se rendre directement à Rabat en provenance de Londres, où se tenait le sommet de l’OTAN, n’équivaut pas à une visite éclair (trois heures !) en provenance de Lisbonne après y avoir rencontré le Premier ministre israélien. C’est un détail, certes, mais qui a une très grande signification diplomatique.
Maroc-États-Unis, collaboration étroite tous azimuts
Le secrétaire d’État américain a écourté son séjour au Maroc à quelques heures alors qu’il était prévu qu’il y passe la nuit, et il n’a pas non plus donné de conférence de presse au siège du ministère marocain des Affaires étrangères.
Cependant, le service presse du chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita, s’est chargé de diffuser un long communiqué expliquant les tenants et aboutissants des entretiens entre les deux ministres, marocain et américain.
On y apprend que la visite effectuée par Mike Pompeo au Maroc « revêt un caractère distingué à plus d’un titre », puisqu’il s’agit du premier déplacement du secrétaire d’État dans la région.
Selon Rabat, ce déplacement confirme la dynamique positive que connaissent les relations bilatérales, une dynamique démontrée par les visites de Jared Kushner et d’Ivanka Trump, conseillers spéciaux du président des États-Unis Donald Trump.
La volonté des États-Unis de raffermir leurs relations avec le royaume du Maroc constitue une « reconnaissance de ce qui distingue le Maroc », sa stabilité, sa crédibilité et ses réformes, mise en exergue par le communiqué conjoint sanctionnant les travaux de la quatrième session du dialogue stratégique entre le Maroc et les États-Unis.
Cette session a salué le leadership du souverain dans le lancement de réformes importantes à long terme et loué le soutien apporté par le roi aux questions d’intérêt commun, dont la paix au Moyen-Orient, ainsi que la stabilité et le développement en Afrique, mais aussi la sécurité et la paix dans la région.
Rappelons dans ce sens que le Maroc abritera la 13e édition du sommet des affaires États-Unis-Afrique en juin 2020 à Marrakech et la 17e édition des manœuvres militaires annuelles « African Lion », début 2020, la plus grande en Afrique comparé aux manœuvres précédentes. Sans oublier que le Maroc accueillera aussi, en mars 2020, la réunion de l’équipe spéciale de lutte contre le terrorisme dans le cadre du congrès de Varsovie.
En plus de la dynamique des relations liant le Maroc et les États-Unis sur le plan politique, le partenariat entre les deux pays a permis de développer une coopération économique très solide, avec un volume des échanges commerciaux entre les deux pays qui a atteint 51 milliards de dirhams (environs 4,8 milliards d’euros), soit une augmentation de 28 % par rapport à 2017.
Les États-Unis sont également considérés comme le troisième importateur du Maroc et le quatrième exportateur. Les investissements américains sont classés au septième rang des investissements étrangers directs au Maroc, avec plus de 160 entreprises américaines installées dans le pays.
Sahel, Libye, Iran au centre des discussions Bourita-Pompeo
La visite du secrétaire d’État américain a été l’occasion d’examiner et d’échanger les vues sur de nombreuses questions internationales et régionales d’intérêt commun, partant du rôle avant-gardiste du Maroc au niveau africain et de la contribution du royaume à plusieurs dossiers.
Mike Pompeo et Nasser Bourita ont aussi évoqué la « menace que représentent l’Iran et ses alliés »
Au sujet de la situation au Sahel, les deux ministres ont souligné la convergence des vues des deux pays, relevant que cette région est « stratégique » et nécessite une coordination commune à plusieurs niveaux.
Le Maroc a fait savoir que les approches unilatérales se sont avérées inefficaces et appelle à l’adoption d’une approche globale et collective basée sur la coordination entre les pays du Maghreb et les États du Sahel (CEN-SAD) et de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
De même, les défis sécuritaires dans la région du Sahel demeurent liés à la recrudescence du phénomène terroriste et du crime organisé qui menacent la stabilité et le développement de la région, explique-t-on à Rabat.
Selon Nasser Bourita, ces entretiens ont été également l’occasion d’examiner les moyens à même de renforcer la coopération entre les deux pays au service de la stabilité régionale.
Pour ce qui est de la situation en Libye, Rabat et Washington ont échangé au sujet des moyens et des mécanismes à même de permettre à ce pays de poser les jalons d’une paix et d’une sécurité durables, dans le cadre d’une solution politique et consensuelle entre les différentes parties libyennes, conformément au processus de Skhirat.
Mike Pompeo et Nasser Bourita ont aussi évoqué la « menace que représentent l’Iran et ses alliés » et les efforts déployés pour faire face aux « tentatives d’hégémonie iranienne dans la région », notamment au nord et à l’ouest du continent africain, ainsi que les actions conjointes de lutte contre le terrorisme en Afrique à travers la consolidation et le renforcement des capacités des services sécuritaires de la région, via la mise en place d’une plateforme de coopération commune.
On notera sur ce point précis que Mike Pompeo, et c’est une première, s’est rendu au siège du contre-espionnage marocain où il a eu des entretiens avec le directeur général de la surveillance du territoire, la DGST, Abdellatif Hammouchi, et l’absence remarquée du ministre l’Intérieur.
Si Rabat présente la visite de Mike Pompeo au Maroc comme revêtant « un caractère distingué à plus d’un titre », il n’en demeure pas moins que les États-Unis n’ont pas d’ambassadeur accrédité à Rabat.
La mission diplomatique américaine dans la capitale marocaine est gérée par un chargé d’affaires (David J. Greene, le troisième en trois ans), alors que le Sénat n’est pas pressé de confirmer, deux ans après sa nomination, David T. Fischer comme ambassadeur américain à Rabat.
Les États-Unis n’ont pas d’ambassadeur accrédité à Rabat. Le poste est maintenant vacant depuis trois ans
À son élection à la tête des États-Unis, Donald Trump a rappelé presque la totalité des ambassadeurs américains en poste à l’étranger, dont celui du Maroc, Dwight Bush. S’il a fallu à Trump plus d’une année pour lui trouver un successeur, voilà que les sénateurs américains font traîner ce dossier depuis deux ans. Résultat, le poste est maintenant vacant depuis trois ans alors que nous sommes à quelques mois de l’élection présidentielle.
Paradoxalement, l’un des rares ambassadeurs à avoir travaillé sous l’administration Obama et maintenu par Donald Trump est le chef de la mission diplomatique américaine à Alger, John Desrocher, un éminent diplomate spécialiste du monde arabe.
La donne russe
Au moment où les relations du Maroc avec la France et les Pays-Bas sont très tendues, et au moment où Rabat et Paris échangent virulemment par agences de presse interposées (MAP et AFP), le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, et sans annonce préalable, s’est « invité dans l’arène » et s’est dit prêt à soutenir le Maroc dans la recherche d’une solution à la question du Sahara occidental.
Sauf que cette main tendue de la part de la Russie n’est pas du goût de Washington, qui y voit une menace de ses intérêts en Afrique du Nord et dans le bassin méditerranéen. D’où la décision de Rabat de ne pas trop communiquer sur l’offre russe pour ne pas irriter Mike Pompeo à la veille de sa visite au Maroc.
Le bilan de la visite du secrétaire d’État américain n’est donc ni une réussite ni un échec pour le Maroc, mais pragmatique pour Pompeo. En revanche, elle fut un réel revers pour Netanyahou.
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