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Présidentielle en Algérie : une partie à trois entre le pouvoir, la « issaba » et le hirak

« Gaïd Salah, dégage ». Ce slogan est l’un des favoris du hirak. Mais qu’est-ce qui pourrait pousser Gaïd Salah à partir et qu’est-ce que cela signifierait pour l’Algérie ?
Des Algériens observent une manifestation à Alger, le 10 décembre 2019, avant le vote présidentiel prévu le 12 décembre (AFP)

La contestation populaire en Algérie a fait de la chute du général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah, chef d’état-major et homme fort de l’armée algérienne, un de ses objectifs prioritaires.

Ahmed Gaïd Salah parle de ses anciens compagnons au pouvoir, devenus ennemis, sur un ton cassant, les qualifiant de « bande » (issaba)

Le vice-ministre de la Défense est vilipendé pendant les marches, ses déclarations sont moquées et les slogans comme « Gaïd Salah, dégage ! » ou « Les généraux à la poubelle ! » foisonnent pendant toutes les manifestations.

Son nom fait l’objet d’un humour féroce dans les médias et sur les réseaux sociaux, où est menée contre lui une campagne d’une rare ténacité. Avec le temps, Gaïd Salah a fini par focaliser la colère de la frange la plus radicale des contestataires.

Cette hostilité envers le général de corps d’armée a deux grandes motivations. La première est liée à son rôle actuel dans la vie politique du pays. Ahmed Gaïd Salah a pris de fait le pouvoir depuis qu’il a poussé le président Abdelaziz Bouteflika vers la sortie, en avril dernier, un mois et demi après le début du hirak, cette contestation populaire pacifique née pour refuser un cinquième mandat au président Bouteflika et demander un changement de système politique.

Son mode de gestion est aussi fortement contesté. Il prononce un ou deux discours par semaine au sein d’une institution militaire, durant lesquels il fixe les échéances politiques et donne le ton de l’action du pouvoir. Sa démarche ne tient pas compte des objections de toutes sortes.

Il parle de ses anciens compagnons au pouvoir, devenus ennemis, sur un ton cassant, les qualifiant de « bande » (issaba), qui tente, selon lui, de manipuler la contestation populaire, une « chirdhima » (groupuscule).

Cette « issaba » est constituée du groupe qui dirigeait le pays depuis que l’ancien président Abdelaziz Bouteflika a subi un AVC en avril 2013 : Saïd Bouteflika, frère et conseiller de l’ancien chef de l’État, les anciens Premiers ministres Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, des ministres, des oligarques, ainsi que des anciens officiers généraux, deux anciens patrons du renseignement, les anciens patrons de la police et de la gendarmerie.

Arrestations en série

Autre aspect de sa gestion : les arrestations. Dans sa lecture de la vie politique, cet homme qui a passé une soixantaine d’années au sein de l’armée considère ceux qui s’attaquent à lui comme des alliés ou des agents de la « issaba ». Au moindre prétexte, ils font l’objet d’arrestations, sous des chefs d’inculpation aussi élastiques qu’« attroupements non autorisés » ou « atteinte au moral de l’armée ».

Des simples manifestants aux figures connues de la contestation, comme Lakhdar Bouragaa et Karim Tabbou, l’éventail des personnes détenues est très large.

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Ancien commandant de l’Armée de libération nationale (ALN), Lakhdar Bouragaa a été arrêté en juin dernier pour, notamment, « outrage à corps constitué » (AFP)

De plus, après avoir refusé des négociations devant mener à une transition, Gaïd Salah a imposé une présidentielle bâclée avec des institutions peu fiables et un personnel discrédité. Au final, il est perçu comme le principal obstacle au processus de démocratisation du pays.

Guerre de clans

La seconde motivation à cette hostilité au chef d’état-major concerne les luttes de pouvoir. Lui-même a réussi à éjecter l’ancien patron du DRS, Mohamed « Toufik » Mediène, qui a détenu le pouvoir de fait dans le pays pendant un quart de siècle.

Celui-ci avait mis en place d’innombrables réseaux de clientèle, incluant l’appareil militaire et sécuritaire, l’administration, les partis, les entreprises, les médias et la société civile. Cela avait amené un ancien vice-président de Sonatrach à le désigner comme Rab Eddzayer (le dieu de l’Algérie).

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Ces réseaux restent très puissants, malgré l’arrestation de « Toufik » Mediène et sa condamnation à quinze ans de prison pour avoir tenté, avec Saïd Bouteflika, de trouver un successeur au président Bouteflika en dehors de la Constitution, et tenté d’évincer Ahmed Gaïd Salah.

Quel rôle jouent les anciens réseaux de Mediène dans l’opposition au général de corps d’armée Gaïd Salah ? Difficile à dire. Mais au vu des liens tissés pendant deux décennies, l’impact reste évident parmi le personnel civil.

Au sein de l’appareil militaire et sécuritaire, c’est plus compliqué. Un spécialiste des affaires militaires, Akram Kharief, a ainsi révélé que plusieurs dizaines d’officiers du renseignement auraient été mis en détention.

Cela débouche sur une instabilité importante dans une période de crise. Ainsi, en quelques mois, trois chefs de régions militaires ont changé : celui du contre-espionnage, de la Direction centrale de la sécurité de l’armée (DCSA), ainsi que ceux de la police (deux fois) et de la gendarmerie.

Le point de non-retour

Que signifierait une chute éventuelle du chef d’état-major Gaïd Salah, réclamée par la rue et une partie de l’opposition ? En fait, tout dépendrait des conditions de son départ. En l’état actuel des choses, cela semble exclu.

Ahmed Gaïd Salah n’est même plus maître de ses actes. Ceux-ci sont désormais conditionnés par la guerre qu’il a engagée contre les cercles qui constituaient le pouvoir autour de Bouteflika

En fait, Ahmed Gaïd Salah n’est même plus maître de ses actes. Ceux-ci sont désormais conditionnés par la guerre qu’il a engagée contre les cercles qui constituaient le pouvoir autour de Bouteflika.

Pour l’heure, plusieurs généraux ont été condamnés à de lourdes peines de prison. Deux anciens Premiers ministres, Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, ainsi que deux trois ministres et des oligarques ont également été condamnés, les deux premiers respectivement à quinze et douze ans de prison ferme. 

Mais de nombreux ennemis de Gaïd Salah, qui jouent leur fortune et leur liberté, sont toujours en liberté, alors que d’autres, détenus à la prison d’El Harrach, dans la banlieue d’Alger, attendent leurs procès. Ils gardent une réelle capacité de manœuvre, même si certains semblent avoir abdiqué.

Au vu de la situation actuelle, il semble donc exclu que Gaïd Salah quitte la scène dans l’immédiat. Sa position lui dicte de garder les choses en main jusqu’à ce qu’il estime que la situation atteigne un point de non-retour : que ses ennemis ne soient plus en mesure de lui nuire.

Consensus pour tourner la page

Mais la menace peut aussi venir de l’intérieur. Certes, Gaïd Salah a fait avaliser ses choix par l’ensemble de la hiérarchie de l’armée, lors du fameux conclave militaire d’avril, dont les images ont été diffusées à la télévision, une première. Mais cela concerne une étape, celle qui s’achèvera le 12 décembre.

Pour l’étape suivante, celle de l’après-12 décembre, les choses peuvent évoluer différemment. Deux scénarios peuvent être envisagés.

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L’ex-président Bouteflika et le chef de l’armée algérienne, Ahmed Gaïd Salah, lors d’une cérémonie à l’Académie militaire de Cherchell (Reuters)

Le premier, positif, voudrait que le prochain président, aussi mal élu soit-il, soit accompagné d’une nouvelle équipe, pour tourner la page de l’ère Bouteflika, dont Gaïd Salah a été un personnage important.

Après s’être assuré que la « issaba » est définitivement neutralisée, Gaïd Salah se retirerait, pour favoriser un apaisement. C’est ce que laissaient entendre depuis plusieurs mois des communicateurs et des personnages hétéroclites se présentant comme proches de l’armée.

L’autre scénario est moins reluisant. Il s’agirait d’une évolution qui remettrait en cause le leadership de Gaïd Salah, au point de pousser à sa destitution. Les causes peuvent être variées : un dérapage lors de la présidentielle, un résultat si affligeant que l’élection perdrait tout son sens ou une volonté de l’équipe autour du chef de l’état-major de clore ce chapitre post-22 février.

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Dans ce cas de figure, le deal d’avril dernier peut être totalement remis en cause. Gaïd Salah serait contesté. C’est ce que souhaitent ses opposants les plus radicaux, qui voient en lui le nœud qui pourrait débloquer la situation et changer la donne politique dans le pays.

Des rumeurs récurrentes circulent d’ailleurs sur de supposés différends au sein de la haute hiérarchie de l’armée, même si Gaïd Salah dispose d’un appui très fort au sein de l’armée : commandant des forces terrestres pendant les dures années 1990, pendant la terrible période de la lutte antiterroriste, il était proche de ses officiers, et c’est là que s’est forgée l’équipe qui l’entoure actuellement.

La rue et la « issaba »

Reste à savoir comment agirait l’équipe de l’état-major qui hériterait d’une telle situation. Comme en 1992, en 1998 et en avril dernier, le premier réflexe de la hiérarchie militaire sera de faire bloc autour d’un nouveau consensus, porté éventuellement par un nouvel homme fort, pour tenter de franchir sans trop de dommages la prochaine étape.

Mais une chute brutale de Gaïd Salah serait interprétée comme une défaite. Cela donnerait un nouvel essor aux anciens réseaux, qui y verraient une opportunité de se réhabiliter, voire de rebondir et de prendre leur revanche.

Une chute brutale de Gaïd Salah donnerait un nouvel essor aux anciens réseaux qui y verraient une opportunité de se réhabiliter, voire de rebondir et de prendre leur revanche

Après tout, Abdelaziz Bouteflika avait lui aussi été jugé et condamné, avant de reprendre le pouvoir au bout d’une traversée du désert qui a duré vingt ans.

La société, disloquée, non structurée, ne semble pas en mesure de faire le poids. La nature même du hirak, carrefour de masses unies par quelques idées simples, en fait un terrain de manœuvres idéal pour des réseaux redoutables sur le terrain de la manipulation.

Pour l’heure, la contestation populaire a maintenu le cap et la mobilisation malgré les aléas du temps et de l’usure. Mais elle ne maîtrise plus ses mots d’ordre.

C’est d’ailleurs tout l’enjeu de la prochaine étape : quelle stratégie va adopter le hirak ? Va-t-il s’orienter vers une jonction avec le pouvoir qui se profile, en cas d’offre crédible, ou bien accentuera-t-il son orientation vers une radicalisation et une confrontation ?

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye

Abed Charef est un écrivain et chroniqueur algérien. Il a notamment dirigé l’hebdomadaire La Nation et écrit plusieurs essais, dont Algérie, le grand dérapage. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @AbedCharef
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