« Nous sommes tous pris au piège » : Israël interdit aux chrétiens de Gaza de visiter les lieux saints
Pour la deuxième année consécutive, Haneen Elias al-Jilda craint que les autorités israéliennes ne lui refusent le droit de participer aux cérémonies religieuses et fêtes de Noël dans la ville de Bethléem.
L’an dernier, elle n’a pas pu obtenir de permis pour quitter la bande de Gaza assiégée pour la Cisjordanie occupée via le passage d’Erez.
Ce sentiment de déception et de frustration est prédominant parmi les chrétiens de Gaza.
Jeudi dernier, une porte-parole du Bureau de liaison avec les Palestiniens de l’armée israélienne a déclaré que les chrétiens palestiniens résidant à Gaza pouvaient obtenir la permission de voyager à l’étranger, mais qu’aucun d’entre eux ne serait autorisé à entrer en Israël et en Cisjordanie, où se trouvent de nombreux sites sacrés pour les chrétiens.
La porte-parole a déclaré qu’à la suite de « considérations d’ordre sécuritaire », les Gazaouis seraient autorisés à se rendre à l’étranger via le pont Allenby, passage sous contrôle israélien entre la Cisjordanie et la Jordanie, mais ne pourraient pas accéder à des villes telles que Jérusalem, Bethléem et Nazareth.
Bien que les chrétiens de Gaza soient généralement connus pour ne pas être affiliés aux factions et forces politiques palestiniennes, Israël invoque souvent des raisons de sécurité lorsqu’il refuse d’accorder des permis.
« L’occupation empiète même sur la joie des fêtes »
- Haneen Elias al-Jilda
Haneen Elias al-Jilda n’a pas reçu de permis pour se rendre à Bethléem, la ville où serait né Jésus-Christ, depuis 2017, et n’a pu participer aux célébrations de Noël à la basilique de la Nativité, l’un des sites religieux les plus sacrés pour les chrétiens du monde entier.
« Les pèlerins chrétiens viennent des quatre coins du monde à la basilique de la Nativité, alors que les Palestiniens éprouvent les plus grandes peines pour obtenir le droit de voyager, de pratiquer leur culte et de rendre visite à leur famille », déplore la jeune femme de 19 ans.
Israël impose de sévères restrictions en matière d’entrée et de sortie des Palestiniens de la bande de Gaza sous blocus.
Israël affirme qu’un certain nombre de chrétiens ayant obtenu un permis de voyage ces dernières années sont restés en Cisjordanie et ne sont pas retournés à Gaza.
Mais Haneen rejette ces allégations. « J’aime Gaza et je ne pense jamais à émigrer ou à m’installer autre part, que ce soit en Cisjordanie ou ailleurs. C’est ici qu’il y a ma famille et mes amis », confie-t-elle à Middle East Eye.
Jugeant les justifications d’Israël « légères », elle soutient que les chrétiens palestiniens sont avant tout palestiniens et souligne qu’Israël ne fait pas de différence entre les Palestiniens dans ses procédures discriminatoires et les obstacles qu’il leur impose.
Aucune considération pour les familles
Haneen fait partie d’une famille de cinq personnes régulièrement affectée par les décisions israéliennes durant les fêtes, un ou plusieurs membres se voyant refuser chaque année un permis de voyage par Israël.
L’an dernier, la famille n’a obtenu qu’un seul permis, pour le frère de Haneen, âgé de 9 ans.
« L’occupation empiète même sur la joie des fêtes », regrette la jeune femme.
L’an dernier, Israël a autorisé environ 700 chrétiens de Gaza à se rendre à Jérusalem, Bethléem, Nazareth et d’autres villes saintes pour participer aux célébrations de Noël.
Mais selon Kamel Ayyad, directeur des relations publiques de l’Église orthodoxe de Gaza, Israël donne de « faux » permis aux chrétiens de Gaza en décidant d’un « quota » arbitraire sans aucune considération pour les familles, qui préfèrent souvent renoncer au voyage plutôt qu’être séparées pendant les fêtes.
« Est-il logique pour une famille de sortir pour participer aux célébrations sans l’un de ses enfants parce qu’Israël l’a empêché d’obtenir le permis ? », demande-t-il.
« Les souffrances des Palestiniens sous l’occupation sont les mêmes sans distinction de religion, de race et de sexe »
- Sana Tarazi
Ayyad faisait lui-même partie des 104 chrétiens auxquels Israël a refusé un permis de voyage de Gaza vers la Cisjordanie l’an dernier. Sa femme a essuyé six refus.
Il souligne qu’Israël viole également les droits de la population musulmane de Gaza en l’empêchant d’accéder à la mosquée al-Aqsa à Jérusalem-Est annexée, en violation flagrante des conventions internationales garantissant la liberté de culte.
« J’ai beaucoup d’amis à Bethléem et nous avons des proches à Beit Sahour, juste à côté. Nous ne pourrons pas leur rendre visite cette année si Israël s’en tient à sa décision, mais nous nous préparons à vivre l’atmosphère de Noël à Gaza malgré le siège, car nous voulons apporter de la joie à nos enfants », déclare Ayyad à MEE.
Des discriminations quelle que soit la religion
Hani Farah, secrétaire général du YMCA de Gaza, rejoint l’avis de Kamel Ayyad.
« Tout comme les bombes et les missiles israéliens ne font pas de différence entre les Palestiniens, le blocus et ses mesures répressives ne font pas de différence entre un musulman et un chrétien », indique-t-il à MEE.
« Nous sommes tous pris au piège à Gaza et nous partageons la même douleur et la même souffrance. »
À l’exception des fêtes de fin d’année, les chrétiens sont eux aussi victimes des restrictions sévères en matière de circulation vers la Cisjordanie imposées par Israël aux Gazaouis, selon Farah. « En temps normal, le refus des demandes de permis en est le résultat écrasant. »
Farah indique que 955 chrétiens ont demandé un permis pour participer aux célébrations de Noël cette année, selon une liste soumise au département des Affaires civiles palestiniennes, spécialisé dans la communication avec les autorités israéliennes.
Depuis qu’Israël a imposé un blocus strict à la bande de Gaza en 2007, les chrétiens, comme la majorité de la population de l’enclave côtière, sont confrontés à de sévères restrictions pour obtenir des permis.
L’an dernier, Farah et ses cinq enfants, dont l’aîné a 11 ans, ont obtenu un permis, mais son épouse se l’est vu refuser.
Selon Farah, Israël octroie intentionnellement un nombre trop faible de permis pour permettre aux chrétiens de célébrer les fêtes, et même lorsque des permis sont accordés, Israël interdit à certains membres d’une même famille de partir.
Chassés
Hani Farah estime que le nombre annuel de permis accordés aux chrétiens de Gaza est « faux et trompeur ».
« En quoi est-ce bénéfique d’accorder des permis à des enfants sans leurs deux parents ou sans l’un d’entre eux ? », demande-t-il.
Le secrétaire général du YMCA de Gaza explique que la majorité des permis accordés depuis l’instauration du blocus en 2007 sont destinés aux enfants, tandis qu’Israël empêche un grand nombre d’hommes et de jeunes de partir.
Selon le dernier recensement effectué par le YMCA en 2014, sur une population d’environ deux millions d’habitants, seulement 1 313 chrétiens, pour la plupart orthodoxes, vivent dans la bande de Gaza.
Chassés par la situation économique désastreuse, le siège et les guerres israéliennes à répétition, les chrétiens de Gaza sont de plus en plus nombreux ces dernières années à quitter la bande côtière pour aller vivre en Cisjordanie ou à l’étranger.
Sana Tarazi, une Gazaouie dont le fils travaille dans le génie médical à Oman, a été contrainte pour le voir de franchir le passage frontalier de Rafah avec l’Égypte après qu’Israël lui a refusé un permis de voyage via Erez.
Cette employée du Haut-Comité présidentiel pour les affaires ecclésiastiques de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) avait demandé un permis pour passer le pont Allenby en mars, mais faute de réponse, elle a été obligée de passer par l’Égypte avec son mari.
« Les souffrances des Palestiniens sous l’occupation sont les mêmes sans distinction de religion, de race et de sexe », souligne-t-elle.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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