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Qui est Hassan Diab, l’homme chargé de sortir le Liban de la crise ?

Le nouveau Premier ministre désigné se présente comme un technocrate accompli. Mais son association avec le Hezbollah sera-t-elle un frein ?
Hassan Diab prononce un discours après sa nomination au poste de Premier ministre du Liban jeudi (AFP)

Après quasiment deux mois d’impasse politique, les députés libanais sont parvenus à élire jeudi un nouveau Premier ministre au moyen de consultations contraignantes.

Alors que différents noms circulaient depuis des semaines, le choix de Hassan Diab a créé la surprise. Cet ancien ministre de l’Éducation a remporté le poste de Premier ministre grâce au soutien clé du Hezbollah, d’Amal et du Courant patriotique libre du président Michel Aoun.

Le nom de Diab n’a été dévoilé qu’au début de la semaine dernière, après que plusieurs autres candidats s’étaient retirés depuis la démission de Saad Hariri le 29 octobre. Hariri, également député, a renoncé par deux fois à se présenter, notamment la veille des consultations.

Le Courant du futur de Saad Hariri, parti essentiellement sunnite constituant le plus grand bloc au Parlement, a décidé de ne cautionner personne en tant que Premier ministre.

« Il est très discret – vous pouvez voir qu’il ne dispose d’aucun élément de sécurité personnelle ou quelque chose comme ça »

- Un voisin

La différence entre les profils des Premiers ministres sortant et entrant est flagrante. Alors que Saad Hariri est le descendant d’une dynastie politique célèbre à travers la région, Hassan Diab n’a guère connu le feu des projecteurs, bien qu’il fasse essentiellement partie de la même élite politique.

« Il est très discret – vous pouvez voir qu’il ne dispose d’aucun élément de sécurité personnelle ou quelque chose comme ça », a déclaré l’un de ses voisins aux médias locaux.

Alors qui est Hassan Diab ? Et a-t-il ce qu’il faut pour sortir le Liban de la crise politique et économique ?

Soutien au soulèvement

Professeur d’ingénierie et vice-président de l’Université américaine de Beyrouth, Hassan Diab a fait ses études à l’Université métropolitaine de Leeds et à l’Université de Surrey, en Angleterre, puis a obtenu un doctorat à l’Université de Bath en 1985.

S’il n’est pas très présent en ligne, Hassan Diab a néanmoins salué le soulèvement libanais quatre jours après son lancement, fin octobre.

« Dans une scène historique majestueuse, le peuple libanais s’est unifié pour défendre son droit à une vie libre et digne », a-t-il tweeté, ajoutant que cela inspirait un avenir meilleur où le Liban pourrait « retrouver sa gloire, son éclat et sa prospérité ».

« Je cherche la vérité depuis mes débuts. J’ai été décrit comme un entrepreneur, un innovateur et un leader académique dans le champ de l’enseignement supérieur »

- Hassan Diab

Son site web comprend un CV téléchargeable de 134 pages qui débute par une citation du philosophe et poète américain Ralph Waldo Emerson : « N’allez pas là où le chemin peut mener. Allez là où il n’y a pas de chemin et laissez une trace. »

Dans la préface du document, longue de 30 pages, Diab indique clairement qu’il pense que la réforme du système éducatif libanais et la promotion de l’esprit d’entreprise sont la clé d’un avenir économique meilleur.

« Je cherche la vérité depuis mes débuts », écrit Diab. « J’ai été décrit comme un entrepreneur, un innovateur et un leader académique dans le champ de l’enseignement supérieur. »

Hassan Diab a visiblement une bonne opinion de lui-même. « J’ai été doté d’un sens inné de la sagesse dès mes premières années, accompagné, je crois, par la grâce de Dieu pour faire les bons choix depuis mon adolescence », écrit-il.

« Bien que bon nombre de mes succès soient attribués à mon travail acharné, ce n’est pas le seul élément qui m’a permis d’atteindre les sommets que j’ai atteints », ajoute-t-il.

Passage au gouvernement

Le seul passage de Diab sur la première ligne de la politique libanaise a été en tant que ministre de l’Éducation de juin 2011 à mars 2013.

Pendant près de deux ans, Diab a fait partie du gouvernement du milliardaire tripolitain Najib Mikati, décrit par beaucoup comme controversé en raison de son exclusion des partis pro-occidentaux tels que le Courant du futur et les Forces libanaises.

Leur absence a conduit l’administration Mikati à être souvent décrite comme un gouvernement du « Hezbollah » ou « soutenu par la Syrie ».

Mikati et sa poignée de députés n’ont pas approuvé Diab en tant que Premier ministre – ni aucun autre candidat d’ailleurs.

Dans l’une de ses premières interviews aux médias en tant que ministre de l’Éducation en 2011, Hassan Diab s’est décrit comme un « ministre technocratique ». « J’ai beaucoup d’expérience dans le milieu universitaire depuis plus d’un quart de siècle », a-t-il précisé.

D’après son CV, Hassan Diab s’est efforcé, en tant que ministre de l’Éducation, d’améliorer et de réformer le programme des écoles publiques et de valoriser les salaires de leurs enseignants et personnel administratif.

Le président libanais Michel Aoun (centre) rencontre le Premier ministre désigné Hassan Diab (à droite) et le président du Parlement Nabih Berri au palais présidentiel de Baabda (AFP)
Le président libanais Michel Aoun (centre) rencontre le Premier ministre désigné Hassan Diab (à droite) et le président du Parlement Nabih Berri au palais présidentiel de Baabda (AFP)

Cependant, le passage de Hassan Diab au gouvernement n’a pas été épargné par les controverses.

Un incident déconcertant a été le décret 421, qui a permis à Diab de renommer une école publique d’après sa propre mère.

Une autre mesure du ministre de l’Éducation a attiré l’attention et le ridicule : la publication par le ministère de livres mettant en valeur ses réalisations en tant que ministre.

Un Documentaire sur les événements durant le mandat du ministre Hassan Diab au ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, publié en 2013, ne fait pas moins d’un millier de pages. Il recense chaque ouverture d’école, réunion, conférence, atelier et événement auxquels il a participé, ainsi que ses discours, mémorandums d’accord et même des événements et concours organisés par le ministère.

Un autre livre publié cette année-là, Sur la voie de la modernité : plan d’urgence, projets et réalisations du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur 2011-2013, expose sa vision, mais aussi ses réalisations et son parcours professionnel dans un peu plus de 600 pages.

Réactions mitigées

Alors que les consultations battaient leur plein à Baabda, certaines personnes ayant travaillé ou correspondu avec Hasan Diab se sont montrées critiques à son encontre.

Nizar Hattab, qui a déclaré être un ancien étudiant en ingénierie du Premier ministre désigné, a affirmé que celui-ci avait tendance à publier le travail de ses étudiants sous son propre nom. Il a depuis supprimé son tweet.

Humam Kadara, un ancien professeur de l’Université américaine de Beyrouth qui enseigne maintenant au centre médical MD Anderson de l’Université du Texas, a rappelé un épisode quelque peu gênant pour le nouveau Premier ministre alors qu’il vivait à Beyrouth.

Dans une publication sur Facebook qui a été largement partagée sur les réseaux sociaux, Kadara a raconté comment le nouveau Premier ministre l’avait exhorté à embaucher son fils, insistant sur le fait qu’il paierait lui-même son salaire. Kadara indique que lorsqu’il a rencontré le fils de Diab et lui a demandé d’écrire une lettre de motivation, celui-ci a répondu : « Papa ne vous a pas parlé ? »

Le chercheur en médecine a depuis rendu son poste privé. « Je recevais énormément de lettres de motivation », a-t-il déclaré en réponse à une question sur Facebook. « Je suis un scientifique par nature […] je n’ai fait qu’écrire au sujet d’une expérience […] qui, je crois, en dit long sur les atrocités quotidiennes qui peuvent avoir un impact sur une institution ou un pays. Avant tout, une personne doit diriger en montrant l’exemple. »

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Middle East Eye a contacté Hassan Diab pour obtenir des commentaires sur ces deux allégations, mais n’avait pas reçu de réponse au moment de la publication.

Sur Twitter, les hashtags tendance sur le Premier ministre désigné continuent de rivaliser : #À_Bas_Hassan_Diab et #Oui_À_Hassan_Diab.

Ceux qui rejettent la nomination de Diab, dont beaucoup soutiennent le mouvement de contestation dans le pays, continuent de réclamer un Premier ministre indépendant et un gouvernement loin des partis au pouvoir.

Alors que nombre de ceux qui approuvent Diab sont clairement des partisans du Hezbollah, d’Amal et du Courant patriotique libre, d’autres ont exprimé le besoin de lui donner une chance, invoquant principalement ses diplômes universitaires et le fait qu’il n’est pas affilié à un parti politique particulier.

Sanctions américaines ?

À la suite de sa rencontre avec le président de la République Michel Aoun et le président du Parlement Nabih Berri au palais présidentiel de Baabda, le Premier ministre désigné a déclaré à la presse que son gouvernement représenterait toutes les forces politiques, « ainsi que le mouvement populaire ».

« Pendant 64 jours, j’ai entendu vos voix qui ont exprimé la douleur et la colère face à la situation dans laquelle nous nous trouvons, en particulier à cause de la corruption », a-t-il déclaré dans un message adressé aux manifestants, promettant de former un gouvernement répondant aux « aspirations du peuple libanais » avec un plan de réforme économique « pragmatique, qui soit plus que de l’encre sur papier ».

Après s’être entretenu avec divers députés, anciens Premiers ministres, leaders politiques et autres hauts responsables, Hassan Diab est désormais confronté à la lourde tâche de former un nouveau gouvernement.

Le Liban a déjà connu la paralysie politique : il a fallu huit mois pour former le dernier gouvernement, dans des circonstances beaucoup plus stables. Cependant, lorsque le média allemand Deutsche Welle lui a posé la question, la réponse de Hassan Diab était catégorique : cela ne prendra pas plus de six semaines.

Des partisans du Premier ministre sortant Saad Hariri près d’une affiche le représentant alors qu’ils bloquent une route dans le quartier de Qasqas à Beyrouth (AFP)
Des partisans du Premier ministre sortant Saad Hariri près d’une affiche le représentant alors qu’ils bloquent une route dans le quartier de Qasqas à Beyrouth (AFP)

Bien que les principaux partisans du Hezbollah et d’Amal soutiennent un gouvernement hybride « techno-politique », Hassan Diab a déclaré qu’en tant que technocrate autoproclamé, il espérait former une technocratie indépendante.

« [Elle ne représentera pas] les gouvernements précédents, que ce soit dans sa proportion de technocrates ou de femmes », a-t-il annoncé. « Je vois pour tout le monde une opportunité de coopérer. »

Aucun des principaux partis sunnites n’a soutenu Diab, et avec l’appui de seulement six députés sunnites et le soutien clair du Hezbollah, la crainte est également que les États-Unis imposent des sanctions au pays ou à ses citoyens. Ces derniers mois, Washington a intensifié ses efforts à l’encontre du Hezbollah ou de responsables et institutions affiliés au parti chiite.

Cependant, le Premier ministre désigné pense tout autrement.

« Je crois que les Américains coopéreront avec un gouvernement comme celui-ci, car l’objectif de ce gouvernement est de sauver le Liban de la situation – économique, sociale, etc. », a-t-il soutenu.

« Je m’attends à ce que le contraire se produise. Je m’attends à un soutien total, que ce soit des Européens ou des États-Unis d’Amérique. »

Traduit de l’anglais (original).

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