Ilyas El Omari : grandeur et décadence dans l’ombre de Mohammed VI
La course aux élections à la tête du Parti authenticité et modernité (PAM), créé par Fouad Ali El Himma, ami et conseiller de Mohammed VI, se joue à couteaux tirés entre deux clans : la vieille garde et le « courant de l’avenir », incarné notamment par Fatima Zahra Mansouri, l’ancienne numéro 2 du parti, et l’avocat Abdellatif Ouahbi. Les deux clans jurant vouloir enterrer l’héritage d’Ilyas El Omari, que beaucoup considèrent aujourd’hui comme « politiquement mort ».
Comment en est-il arrivé là ? Le 28 septembre, Ilyas El Omari prend tout le monde de court en démissionnant de la présidence de la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima.
« Le fait que les membres de sa formation politique le rejettent était un signe de disgrâce en haut lieu »
- Un responsable du PAM
Après avoir longtemps gravité autour du sérail, l’ancien patron du PAM a tiré sa révérence sans la moindre explication sur les raisons de sa décision, en justifiant à peine son départ par « des raisons de santé ».
En réalité, il s’agit d’une mise à l’écart savamment orchestrée. Le 27 septembre, soit la veille de sa démission, Ilyas El Omari devait présider une importante réunion de l’Agence régionale d'exécution des projets (AREP) de Tanger, consacrée au budget de 2019. C’était sans compter sur les membres de l’agence – y compris ceux de son parti – qui ont décidé de boycotter l’événement.
« Le fait que les membres de sa formation politique le rejettent était un signe de disgrâce en haut lieu », confie à Middle East Eye un responsable du PAM.
Le message reçu, « l’ami de l’ami du roi » jette donc l’éponge. Et la suite des événements lui donnera raison. À commencer par la bataille pour sa succession.
Dès le 21 octobre, soit une semaine avant l’élection, le bureau régional du Parti de la justice et du développement (PJD) monte déjà au créneau contre le PAM et « les tentatives de tahakoum [autoritarisme] visant à former une majorité et des alliances hybrides reproduisant le scénario de 2015 ».
Lors des élections régionales de 2015, majoritaire au sein du Conseil régional, le « parti de la lampe » s’était naturellement battu pour obtenir la présidence de la région, poste qu’on lui avait ravi « à coups de manigances », selon un membre du conseil.
Le 28 octobre, jour de l’élection du successeur d’El Omari, coup de théâtre. Le candidat du PJD, Said Khairoune, se retire au dernier moment de la course à la présidence au profit… de la candidate du PAM, Fatima El Hassani, élue à l’unanimité.
Une alliance sans précédent entre deux ennemis politiques qui a secoué le landerneau politique marocain. D’autant que, selon nos informations, Saâdeddine El Othmani, secrétaire général du PJD et chef du gouvernement, est l’architecte de ce rapprochement.
Pourquoi le PJD s’est-il rapproché de son ennemi politique, qu’il a farouchement combattu pendant dix ans ? Le départ d’Ilyas El Omari n’y est pas étranger.
« La direction du PJD a reçu en haut lieu la consigne de soutenir la candidate du PAM au détriment de son propre candidat. On leur a expliqué qu’une nouvelle page devait s’ouvrir après la démission d’El Omari. C’est la raison pour laquelle Saâdeddine El Othmani a tenu personnellement à ce que la consigne donnée à son parti soit respectée », révèle à MEE une figure influente au sein du PJD.
Depuis, les deux partis n’écartent plus une alliance aux prochaines élections législatives.
Une étrange fin politique pour cet éternel ennemi des islamistes dont le parcours n’a pas encore livré tous ses mystères.
Né en 1967 dans une famille pauvre de la région déshéritée du Rif, Ilyas El Omari a abandonné l’école très tôt. Comme bon nombre de ses camarades, il est passé, dans les années 1980, par les prisons de Hassan II avant de bénéficier d’une grâce royale.
L’avènement de Mohammed VI, qui aspire à tourner la page des années sombres de son père, est une aubaine pour Ilyasl El Omari. Il est de gauche, rifain, amazigh, ancien prisonnier politique et il a beaucoup d’ambition. Une combinaison gagnante pour espérer obtenir une place au soleil sous le nouveau règne.
Une rencontre avec Fouad Ali El Himma
Quelques mois après l’intronisation de Mohammed VI, El Omari fait une rencontre inespérée et décisive qui va propulser sa carrière. Selon un de ses amis intimes, alors qu’il dîne chez lui, à Rabat, avec Driss Benzekri (ancien prisonnier politique décédé en 2007), en compagnie d’autres proches, il reçoit un appel d’un responsable de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), qui mène alors le gouvernement de l’alternance.
Invité à les rejoindre, le responsable socialiste arrive en compagnie de Fouad Ali El Himma, ami et conseiller de Mohammed VI qui occupe alors le poste de secrétaire d’État à l’Intérieur.
Au menu de la discussion : la création de l’Instance équité et réconciliation (IER), un mécanisme de justice transitionnelle appelé à réparer les préjudices des années de plomb sous Hassan II.
C’est cette rencontre qui scellera la relation entre El Omari et El Himma, devenus si proches au fil des années. Si bien que le Rifain a gravi les échelons du pouvoir à mesure qu’évoluait le règne de Mohammed VI, ne refusant aucune mission, pas même les basses œuvres politiques. Au point même d’incarner le visage sombre du Makhzen.
« Pour tout le monde, c’était l’homme de main d’El Himma. Il puisait tout son pouvoir, sans aucun cadre officiel, dans cette relation avec El Himma », raconte à MEE un grand commis de l’État qui l’a longuement côtoyé.
L’IER verra finalement le jour en 2004 sous la présidence de Driss Benzekri. Entre-temps, El Omari a déjà tiré profit de sa proximité avec le sérail et de son identité amazighe pour siéger, en 2002, au sein de l’Institut royal de la culture amazighe (IRCAM), autre organisme créé pour redorer le blason du régime.
« Pour tout le monde, c’était l’homme de main d’El Himma. Il puisait tout son pouvoir, sans aucun cadre officiel, dans cette relation avec El Himma »
- Un grand commis de l’État
Accusé par ses camarades d’avoir « retourné sa veste », il dira qu’il avait refusé de faire le traditionnel baisemain au roi lors de sa nomination. En réalité, il s’agissait d’une décision de tous les membres de l’Institut.
Deux ans plus tard, lors du séisme qui frappe Al Hoceima, faisant plus de 600 morts, une partie de l’opinion publique découvre ce personnage alors encore loin des radars médiatiques. Alors que Mohammed VI et Fouad Ali El Himma s’installent sous une tente dans la ville sinistrée, El Omari, lui, est déjà au chevet des familles.
« Lors du tremblement de terre d’Al Hoceima, El Omari s’est rendu compte de son poids face à l’administration. Il avait un réel pouvoir car il faisait tout, des opérations de sauvetages au relogement des familles. Le Palais a réalisé aussi qu’il était très utile pour lui dans la région », explique une connaissance de « l’homme fort du Rif » au magazine TelQuel en 2016.
Ce à quoi El Omari répond, dans le même article : « Lorsqu’une catastrophe naturelle survient, personne n’est plus important que personne. Sachez que j’ai perdu des membres de ma famille dans ce séisme et j’aurais pu perdre ma mère. J’avais à gérer des souffrances, des gens sans abris, des gens en pleurs. Je devais mobiliser tout le monde, sans faire de calcul pour profiter de la situation. Je ne dormais plus, je ne me suis changé qu’au bout de vingt jours. Fouad Ali El Himma, ou qui que ce soit, ne représentait plus rien à mes yeux à ce moment-là. »
Du Printemps arabe à la disgrâce
Ce qui est sûr, c’est qu’il continue de prendre du galon après le séisme d’Al-Hoceima. En 2008, par exemple, il lance avec Fouad Ali El Himma le Mouvement pour tous les démocrates, une association dont l’objectif est de « défendre, pérenniser et renforcer les choix démocratique et moderniste adoptés par le Maroc et relever les défis du développement » et dont le bureau compte, entre autres proches du sérail, Aziz Akhannouch, actuel ministre de l’Agriculture et patron du Rassemblement national des indépendants (RNI).
« Le Printemps arabe a bouleversé tous les calculs du régime, qui voulait porter le PAM à la tête du gouvernement. L’urgence était de calmer les manifestants »
- Un responsable du PJD
Ce mouvement, créé surtout pour faire face à la montée des islamistes, « enfantera » le Parti authenticité et modernité sous la houlette de Fouad Ali El Himma. Élu à la tête du parti, Hassan Benaddi, professeur de philosophie et ancien militant de gauche, devait ainsi composer avec Ilyas El Omari, considéré déjà comme l’homme fort du PAM.
Tapi dans l’ombre, il conduit le « parti du tracteur », un an après sa création, à la victoire aux élections communales de 2009. Craint par le milieu des affaires et même par les hauts commis de l’État, l’ami d’El Himma n’hésite pas à « abuser de son pouvoir », selon un proche.
« Un jour, il a appelé devant moi un patron très puissant en le réprimandant dans des termes très injurieux à cause d’un petit problème. Je suis resté bouche bée », se souvient cet ami d’enfance d’El Omari. Le Rifain se plaisait même à raconter aux journalistes avoir un jour envoyé un ministre lui acheter des cigarettes.
Lorsque la bourrasque du Printemps arabe souffle sur le royaume, Ilyas El Omari et Fouad Ali El Himma, considérés comme symboles d’une ère révolue, se retrouvent dans la ligne de mire des manifestants réclamant à grands cris leur départ.
« Le Printemps arabe a bouleversé tous les calculs du régime, qui voulait porter le PAM à la tête du gouvernement. L’urgence était de calmer les manifestants », explique un responsable du PJD.
En effet, en décembre 2011, Fouad Ali El Himma est nommé conseiller au cabinet de Mohammed VI. Quant à Ilyas El Omari, il ravale ses ambitions, se contentant de la quatrième place aux élections législatives ayant porté, pour la première fois, le PJD à la tête du gouvernement.
En 2016, l’homme sort de l’ombre pour prendre les rênes du PAM et se faire élire sans adversaire. L’enjeu ? Les élections législatives d’octobre de la même année qu’il veut remporter à tout prix.
Pour relayer son discours anti-islamiste, il lance ce que les médias ont appelé un « empire médiatique », Akher Sâa, composé d’un quotidien, d’un hebdomadaire, de trois mensuels et d’un site électronique (avec un capital de 40 millions de dirhams, soit 3,8 millions d’euros). Résultat : il n’obtient que 102 sièges contre 125 pour ses rivaux du PJD.
Une défaite qui sonne le glas d’une carrière faites d’intrigues, de manigances et de menaces. En 2018, El Omari est ainsi éjecté du PAM, en proie depuis à des batailles intestines. Sa mise à l’écart de la Région de Tanger a signé sa disgrâce définitive. Une fin ordinaire pour celui qui considérait que « les rois sont réputés pour ne pas avoir d’amis ».
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