« Les gens ont peur de sortir » : Beyrouth méconnaissable en pleine crise de coronavirus
Étrange samedi soir dans le quartier de Mar Mikhael. Le symbole de la nuit beyrouthine, habituellement encombré de bars, de restaurants et de voitures dont les enceintes crachent sans discontinuer les derniers titres à la mode, a des airs de cité-dortoir.
Sur l’artère principale du quartier, la rue d’Arménie, seuls quelques curieux, téléphone à la main et masque vissé sur le visage, immortalisent l’instant tandis qu’une espèce rare au Liban, un groupe de cyclistes en escadron serré, dévale la rue déserte.
Depuis le samedi 7 mars, les bars et boîtes de nuit de la capitale ont fermé leurs portes afin d’enrayer la propagation du coronavirus. Une mesure étendue quelques jours plus tard aux restaurants, avant la déclaration d’urgence sanitaire le 11 mars, synonyme de confinement de la population et de fermeture de l’aéroport de Beyrouth. Le pays comptait 163 malades et 4 décès au 19 mars.
Traduction : « La police municipale de Beyrouth chasse les gens de la corniche de Beyrouth avant l’annonce officielle d’un état d’urgence en raison du coronavirus. »
Même la célèbre sandwicherie Barbar, ouverte 24 heures sur 24 aux moments les plus sombres de la guerre civile (1975-1990), a dû fermer ses portes.
« Les jours précédant l’annonce du confinement, c’était la panique ici »
- Aida, pharmacienne
« En quarante ans d’existence, Barbar n’a fermé que deux fois. Une demi-journée lors de l’assassinat du Premier ministre Rafiq Hariri en 2005 et une autre à la mort de mon grand-père », raconte Ali Ghaziri, directeur des opérations de Barbar et fils de son fondateur.
Dans le quartier de Gemmayzé, l’épicerie est restée ouverte. Masque en évidence sur la table et télévision en boucle sur les chaînes d’information en continu, la propriétaire dit ne pas s’affoler.
« Mais il y a beaucoup de gens qui ont peur de sortir de chez eux. Hier, j’ai fermé la boutique à 11 heures du matin au lieu de 17 heures », explique-t-elle.
Son mari, employé de banque, revient d’un congé en Turquie. À son retour à l’aéroport, il a été dépisté. Résultat : négatif.
Traduction : « Barbar, qui n’a pas fermé ses portes pendant la guerre civile (à Hamra) et qui alimentait les combattants des deux côtés, a fermé ses portes. » / « L’emblématique boulangerie Barbar de Beyrouth n’a pas ouvert ses portes aujourd’hui, à la suite de nouvelles politiques gouvernementales visant à garder les gens chez eux pour arrêter la propagation du corona. »
Le choc du coronavirus a été brutal au Liban. Le pays est traversé depuis le mois d’octobre dernier par une large mobilisation populaire qui cherche à mettre fin au système confessionnel, à la mauvaise gouvernance et à la corruption.
En quelques jours, les masques chirurgicaux utilisés par les protestataires pour se protéger des bombes lacrymogènes lors des manifestations ont retrouvé leurs usages initiaux.
Prendre son mal en patience
La crise économique, qui n’a cessé de s’aggraver ces derniers mois, ne s’est pas arrêtée, au contraire. Le pays est en défaut de paiement depuis le 9 mars (deux jours avant le confinement) et l’activité économique est désormais paralysée.
À quelques mètres de l’épicerie, la pharmacie du quartier est vide. Un vieil homme ganté et masqué passe sa tête dans l’embrasure de la porte : « Vous avez du désinfectant ? ». « Non, pas aujourd’hui », répond Aida, la pharmacienne.
Depuis quelques jours, une large plaque de plexiglas la sépare de ses clients.
« Les jours précédant l’annonce du confinement, c’était la panique ici. Les gens se sont rués sur les gels hydro-alcooliques, les désinfectants et les masques », explique-t-elle en secouant une boîte de vingt masques aux trois quarts vide.
« Mais cette semaine, la situation est revenue à la normale. Les gens savent qu’ils vont devoir prendre leur mal en patiente. »
Pas facile pour tout le monde. Nicolas et Caroline, un couple de trentenaires libanais, ont rendu les clés de leur appartement quelques jours avant les mesures de confinement. Devant l’ampleur de la crise économique, ces deux designers graphiques freelances avaient décidé de partir s’installer à Londres, Caroline étant libano-anglaise.
« Elle est partie avant moi rejoindre sa famille à Londres, mais elle est revenue quand elle a compris que l’activité allait être paralysée là-bas aussi. Depuis, on n’a plus d’appartement et j’ai dû rentrer chez mes parents. Mais la cohabitation n’est pas simple, ça fait tellement longtemps que je suis indépendant... »
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