Ni eau ni savon : la peur du coronavirus monte parmi les réfugiés
Lorsqu’une équipe de travailleurs humanitaires est entrée dans le camp de réfugiés d’Atmeh, dans le nord de la Syrie, vêtue de blouses stériles bleues et de masques, les habitants se sont posé une question : le coronavirus est-il parvenu jusqu’à nous ?
Les réfugiés ont vu les travailleurs humanitaires, transportant des bidons pleins de spray antibactérien sur le dos, aller de tente en tente et pulvériser leur solution dans l’atmosphère, dans l’espoir de désinfecter les surfaces qui pourraient être contaminées par le virus provoquant le COVID-19.
« Les gens étaient terrifiés lorsque l’équipe de stérilisation est apparue de nulle part », raconte Ibrahim Rahhal, père de sept enfants qui a fui son domicile à cause de la guerre en Syrie.
« Beaucoup craignaient l’arrivée du coronavirus dans les camps et ont peur plus que jamais, en particulier alors que tant de pays prennent des mesures de précaution », indique-t-il à Middle East Eye.
Mais tandis que d’autres pays s’imposent le confinement, les travailleurs humanitaires craignent que le temps ne presse pour les réfugiés comme Ibrahim Rahhal et sa famille.
Le 11 mars, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a officiellement classé le COVID-19 comme une pandémie, c’est-à-dire que la maladie s’est propagée dans le monde entier, incitant les pays à renforcer leurs mesures de santé publique.
Adam Coutts, spécialiste de la santé à l’Université de Cambridge, explique à MEE que les réfugiés, que ce soit en Syrie ou ailleurs, constituent un « groupe très vulnérable » – non seulement face au COVID-19, mais aussi face à d’autres maladies.
Le tueur silencieux
« L’OMS a déclaré que tous les pays devraient se préparer au coronavirus, mais peu d’attention a été accordée aux populations réfugiées réparties dans la région MENA [Moyen-Orient et Afrique du Nord] et en Europe », déplore Adam Coutts.
« Bien plus de personnes sont mortes dans la région [MENA] en raison du manque d’accès à des soins de santé de bonne qualité… c’est un tueur silencieux et lent qui attire rarement l’attention. »
Le spécialiste n’est pas le seul à mettre en garde. Un document d’information remis à plusieurs agences de l’ONU, dont l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), a souligné les inquiétudes pour la santé des réfugiés, qui sont souvent « négligés » et qui ont des « difficultés d’accès aux services de santé ».
Plus tôt ce mois-ci, un cas confirmé du nouveau coronavirus sur l’île grecque de Lesbos a suscité des inquiétudes quant à l’imminence d’une flambée dans les camps de réfugiés.
Des infrastructures comme le camp de réfugiés de Moria à Lesbos, conçu pour accueillir 3 100 personnes, accueillent aujourd’hui plus de 20 000 hommes, femmes et enfants.
« Bien plus de personnes sont mortes dans la région en raison du manque d’accès à des soins de santé de bonne qualité… c’est un tueur silencieux et lent qui attire rarement l’attention »
- Adam Coutts, Université de Cambridge
« Les habitants de camps comme Moria et Vathy [en Grèce] n’ont pas assez d’eau pour se laver régulièrement les mains, ni le luxe de s’isoler », avertit Hilde Vochten, coordinatrice médicale à Médecins sans frontières (MSF) en Grèce.
« Dans les régions où il y a des cas confirmés de COVID-19, les gens devraient pratiquer des mesures de prévention quotidiennes comme le lavage fréquent des mains ou le fait de rester à la maison dans une pièce spécifique lorsqu’ils sont malades – des mesures qui sont impossibles à appliquer dans un tel contexte. »
Hilde Vochten rapporte à MEE que des familles de cinq ou six personnes dorment dans des tentes de trois mètres carrés de large et que certaines parties du camp de Moria n’ont qu’un seul robinet d’eau pour 1 300 personnes.
Elle estime que le système de santé local ne serait pas en mesure de faire face à une épidémie dans les camps de réfugiés de Moria et Vathy en raison du grand nombre de personnes qui y vivent.
À l’étroit
La situation à Lesbos n’est pas différente des régions du Moyen-Orient où les gens continuent d’être déplacés à cause du conflit.
Dans le nord-ouest de la Syrie, près d’un demi-million de personnes ont été déplacées depuis décembre 2019, alors que les forces gouvernementales pro-syriennes continuent de bombarder les infrastructures civiles.
Des familles sont dispersées dans la province d’Idleb, obligées de fuir avec seulement les vêtements sur le dos, dans l’espoir d’échapper aux bombardements du président Bachar al-Assad.
La campagne de bombardements cible aveuglément les hôpitaux et les établissements de santé à travers Idleb, anéantissant toute chance de faire face adéquatement à une urgence médicale comme la pandémie de coronavirus.
Mohamed, un travailleur humanitaire d’Islamic Relief, estime que les conditions sont réunies pour que le coronavirus se propage en Syrie, décrivant une situation désespérée à Idleb.
Comme à Lesbos, de nombreuses personnes déplacées à Idleb partagent des tentes conçues pour abriter seulement cinq personnes, mais tiennent jusqu’à dix, ce qui va « multiplier les taux d’infection ».
« Les stocks de médicaments ne sont pas suffisants et il n’y a pas d’espace approprié pour mettre en quarantaine ou traiter les patients qui contracteront le COVID-19 », affirme Mohamed à MEE.
« Les unités de soins intensifs font déjà défaut et nous avons constaté une augmentation du nombre de patients traumatisés. Dix à vingt personnes viennent à l’hôpital à la fois en fonction des frappes. Nous croyons que le coronavirus ne fera que surcharger le système et que cela pourrait s’avérer catastrophique. »
Pas assez de médicaments
Islamic Relief a indiqué avoir distribué des produits à base d’alcool aux établissements de santé à Idleb ainsi que de la ventoline, un médicament qui peut être utilisé pour traiter l’asthme, afin d’aider à se préparer à une épidémie potentielle. L’ONG craint toutefois que cela ne suffise pas.
« Les stocks de médicaments ne sont pas suffisants et il n’y a pas d’espace approprié pour mettre en quarantaine ou traiter les patients qui contracteront le COVID-19 »
- Mohamed, Islamic Relief
Le gouvernement syrien n’a officiellement confirmé qu’un seul cas de COVID-19 dans le pays, mais les groupes d’opposition restent sceptiques, ce qui incite à bloquer les zones rebelles qui sont proches du territoire tenu par les forces gouvernementales.
Le HCR a indiqué à MEE qu’il surveillait de près la situation et annoncé que l’OMS enverrait une équipe pour tester les personnes déplacées à Idleb cette semaine.
Pour l’instant, Ibrahim Rahhal espère que les choses vont se calmer et il est reconnaissant que les tentes aient été stérilisées à l’intérieur d’Atmeh.
« Nous avons confiance dans les autorités pour faire ce qu’il faut », déclare-t-il.
« Mais ce virus ne disparaîtra pas à moins que les gens soient prudents et s’informent sur les façons de l’empêcher de se propager. »
Reportage complémentaire par Yousef Gharibi depuis le camp de réfugiés d’Atmeh, en Syrie.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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