Coronavirus : les changements dans la vie spirituelle des musulmans de France
Quasi-fermeture des lieux de culte, impossibilité de rapatrier les corps dans les pays d’origine ou de procéder au lavage mortuaire pour les décès liés au COVID-19, la crise sanitaire que la France et le reste du monde traversent actuellement impacte aussi les pratiques religieuses en tout genre, comme celle des musulmans.
Lundi 9 mars, suite à l’appel du Conseil français du culte musulman (CFCM) d’annuler les prières du vendredi dans les mosquées, suivant l’interdiction de tout rassemblement de plus de 1 000 personnes, de nombreux lieux de culte comme la Grande Mosquée de Paris se sont empressés d’annuler la prière du vendredi, ainsi que les autres prières.
De l’incompréhension à l’acceptation
À Paris comme en province, cette décision a suscité des réactions assez différentes.
Shakeel Siddiq, imam et enseignant en établissement privé musulman dans la région lyonnaise, explique que la plupart des mosquées ont rapidement suivi les décisions du CFCM, ou de l’association Musulmans de France, et ont fermé.
« Au début, d’aucuns pensaient que c’était une position trop ‘‘française’’ […] Ils n’avaient pas conscience de la situation, parce que le scenario est inimaginable »
- Shakeel Siddiq, imam et enseignant
Pour autant, l’incompréhension de certains était flagrante. « Au début, d’aucuns pensaient que c’était une position trop ‘‘française’’, mais ils ont finalement compris que c’était ce qu’il y avait de plus raisonnable à faire. Ils n’avaient pas conscience de la situation, parce que le scenario est inimaginable », explique-t-il à Middle East Eye.
Mais depuis l’allocution du président Macron, lundi 17 mars, annonçant à demi-mots un confinement sur tout le territoire national, les citoyens français, et donc les musulmans, commencent à réaliser l’ampleur de la crise.
« La réalité les rattrape. Même s’il y a des débats en interne, les imams sont maintenant d’accord avec le principe. Bien sûr, certains voudraient que les mosquées demeurent ouvertes, même s’il n’y a que cinq personnes qui y prient, histoire que le lieu de culte reste ouvert. Mais ces idées ont été balayées par l’allocution présidentielle de lundi [dernier] », déclare Shakeel Siddiq.
Néanmoins, l’enseignant admet la persistance de certaines positions minoritaires qui n’acceptent pas ces décisions : « Il y a toujours quelques personnes, que je considèrerais dans l’extrême, qui ne veulent pas tenir compte des décisions officielles. C’est très grave. Mais ils sont ultra-minoritaires. Je ne pense pas qu’il y ait encore des mosquées qui iraient contre ces décisions officielles aujourd’hui », ajoute-t-il.
Ajuster l’école à la maison
Au-delà des prières en collectif, les fermetures de mosquées ont un impact éducatif, indique Shakeel Siddiq. « Quand on ferme une mosquée, il n’est pas seulement question du jumu’a [grande prière du vendredi] ou des prières. Il n’y a plus de cours d’arabe, de religion, plus de conférence. La vie religieuse s’éteint un peu », déplore l’imam et enseignant.
Comme pour tous les autres établissements d’enseignement, les écoles privées musulmanes sont fermées depuis le lundi 17 mars dernier, créant la surprise. Les familles et les équipes pédagogiques ont eu peu de temps pour se préparer.
« On gère au jour le jour via WhatsApp, via des outils comme Pronote [logiciel utilisé dans les écoles pour assurer la continuité pédagogique]. Une équipe a travaillé sur la pédagogie à mettre en place pour que les cours continuent. On doit encore ajuster », explique Shakeel Siddiq.
« Pour les conférences religieuses, tout peut se faire aussi en ligne. C’est le moment de développer cela », poursuit-il.
Pour les familles, il n’est pas toujours aisé de s’adapter au travail en ligne. « Souvent, il n’y a qu’un ordinateur à la maison pour les parents et pour plusieurs enfants. Il faut aussi s’adapter à cela », note l’enseignant.
« On est sur une gestion de crise, d’autant qu’on ne sait pas combien de temps cela va durer. Les enseignants ont des pédagogies et des rythmes différents. On repère les problèmes et on gère comme on peut, petit à petit. C’est une phase un peu chaotique pour toute la France », souligne-t-il.
La douloureuse question des lavages mortuaires
La crise du COVID-19 perturbe aussi les pratiques autour des décès. La décision de fermer les frontières de l’espace Schengen le 17 mars a fait suite aux décisions de fermeture totale des frontières dans de nombreux pays, comme le Maroc ou l’Algérie. Résultat, le rapatriement des corps dans le pays d’origine en cas de décès de musulmans en France est impossible.
Dès le 18 mars, le Haut Conseil de la santé publique a émis un avis concernant les prises en charge de patients décédés du COVID-19. Le CFCM s’en est inspiré pour livrer ses recommandations, notamment concernant les lavages mortuaires. Il n’est plus possible de procéder à la toilette rituelle du corps, comme l’a annoncé notamment la Grande Mosquée de Paris.
« C’est très dur à entendre et à accepter pour eux et c’est terrible pour ces personnes en deuil de savoir qu’il n’y en aura pas. Mais nous ne pouvons malheureusement rien y faire »
- Marie, conseillère funéraire
Marie, conseillère funéraire en Seine-Saint-Denis (région parisienne), avoue que ces décisions l’ont tout à bord surprise. « Au départ, cela m’a choquée, car l’annonce fut brutale, mais par la suite, j’ai trouvé la décision juste. Nous nous devons de nous protéger mais aussi de protéger chaque être vivant. Et si ça doit passer par ces interdictions, alors nous nous y plierons », admet-elle.
Néanmoins, là ou les gens comprenaient la nécessité de fermer les mosquées temporairement, ces décisions de ne pas laver les corps ou de devoir enterrer ses proches en France passent mal auprès de la communauté musulmane.
« Tout le monde ne comprend pas ces mesures, malheureusement. Que ce soit du côté professionnel comme de celui des familles. Pour certains, nous devons quand même faire la toilette du corps, nous devons rapatrier », témoigne la jeune femme.
L’effort de pédagogie est alors indispensable.
« Lorsque je reçois les familles, je tente de leur expliquer que ce sont des interdictions de l’État, qu’il n’y a pas de vols pour les pays d’origine. Tout comme pour la toilette rituelle. C’est très dur à entendre et à accepter pour eux et c’est terrible pour ces personnes en deuil de savoir qu’il n’y en aura pas. Mais nous ne pouvons malheureusement rien y faire », déplore Marie.
« Il faut vraiment prendre conscience et faire prendre conscience du réel grand danger que ce virus représente », conclut-elle.
Pour Hamid*, un fidèle de la mosquée de Roanne (centre), cette décision n’est pas surprenante. « Ce n’est pas vraiment une nouveauté pour le lavage mortuaire, c’était déjà le cas pour les gens qui meurent d’autres infections ‘’en temps normal’’ et dont la dépouille peut contaminer les laveurs. Donc ce n’est pas une surprise pour les cas de COVID-19 », estime-t-il.
« Les gens ont peur, mais cela reste simple à leur expliquer, vu l’ampleur de la situation », poursuit-il.
Selon Shakeel Siddiq, cette situation inédite devrait permettre à chacun, et surtout aux musulmans, de développer leur solidarité, localement et nationalement : « Il faut garder une dynamique de vie religieuse et développer une solidarité envers les plus vulnérables, comme les personnes âgées de la communauté qui sont isolées et qui ne peuvent pas faire leurs courses.
« Il faut garder une dynamique de vie religieuse et développer une solidarité envers les plus vulnérables »
- Shakeel Siddiq, imam et enseignant
« Il faudrait aussi développer une solidarité à l’échelle nationale, c’est important. J’invite les présidents d’associations à appeler les préfets pour laisser à disposition les locaux, les bâtiments, pour aider la nation », argumente-t-il.
« Il faut une dynamique de participation positive pour la nation. Ce sera aussi la preuve qu’on n’est ni dans le séparatisme ni dans le communautarisme », comme il est souvent reproché aux musulmans de France, « et qu’on est clairement impliqués dans la vie de notre pays. »
* Le prénom a été modifié à la demande de la personne interviewée.
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