La confusion règne au Soudan alors que des centaines de patients fuient les centres de quarantaine
Des centaines de Soudanais auraient refusé d’être placés sous surveillance médicale dans le pays actuellement confronté à la pandémie de coronavirus, alors que les mesures de restriction visant à enrayer la propagation de la maladie se sont heurtées à la résistance et à l’appréhension de la population.
D’après les annonces faites par le ministère de la Santé, un décès lié au virus et deux autres cas confirmés ont été enregistrés. La menace se fait plus pressante dans le pays et les spécialistes de la santé alertent sur la nécessité pour le pays de se tenir prêt en cas de propagation du COVID-19.
Le haut comité ministériel chargé de lutter contre le coronavirus – qui regroupe les ministères de la Santé, de l’Intérieur et de l’Information – a décidé en début de mois d’utiliser la force pour contraindre les individus à risque à se soumettre au dépistage et à la mise en quarantaine.
Un certain nombre de mesures ont été mises en place, notamment la fermeture de l’aéroport international du pays et l’annulation de tous les événements politiques, sociaux, culturels et sportifs.
Mais au moins 300 personnes auraient depuis fui les centres de quarantaine qui ont été ouverts dans le but d’isoler les Soudanais de retour de l’étranger.
De nombreux Soudanais infectés par la maladie ou suspectés de l’être, les mesures imposées ont été jugées arbitraires et inappropriées.
Affrontements et centres de confinement
Des sources et des témoins dans le milieu médical rapportent à Middle East Eye que des centaines d’individus – qui seraient atteints du COVID-19 ou se trouveraient en observation après avoir effectué un voyage récent à l’étranger – ont fui les hôpitaux et les centres de confinement au cours de ces dernières semaines.
Un médecin, souhaitant conserver l’anonymat, qui travaille à Khartoum avec des équipes sur le terrain, affirme aussi à MEE que des personnes susceptibles d’être atteintes du virus se sont échappées de l’hôpital Universal et de l’hôpital Ibrahim Malik dans la capitale soudanaise.
« Nous sommes confrontés à de nombreux cas de patients refusant de se soumettre au dépistage ou d’être placés en quarantaine. Certains d’entre eux se sont même échappés des centres de confinement »
- Un médecin soudanais
« Nous sommes confrontés à de nombreux cas de patients refusant de se soumettre au dépistage ou d’être placés en quarantaine », constate le médecin. « Certains d’entre eux se sont même échappés des centres de confinement. La situation est grave et les autorités, comme elles l’avaient indiqué, ont dû utiliser la force pour empêcher les patients de s’enfuir. »
Un autre médecin qui travaille avec le Comité central des médecins soudanais – membre de l’Association des professionnels soudanais (SPA) qui avait pris la tête des manifestations en 2019 contre le président de l’époque Omar el-Bechir – confirme que la majorité des patients ayant quitté les centres de confinement venaient tout juste de rentrer d’Égypte, où plus de 300 cas ont été confirmés.
« Nous savions que des milliers de Soudanais revenaient d’Égypte et que la majorité d’entre eux n’avaient pas été soumis à la période de confinement de quatorze jours », indique à MEE le médecin souhaitant également conserver l’anonymat. « La centaine de passagers qui revenaient d’Égypte dans deux bus ont refusé d’être mis en quarantaine et la police n’a pas réussi à les arrêter au poste frontière d’Argeen ».
Des témoins rapportent aussi à MEE que des altercations ont éclaté le 18 mars entre les forces de police et des individus mis en quarantaine dans un centre de confinement qui avait ouvert ses portes au début du mois à Bahri, troisième plus grande ville du Soudan, jumelée avec Khartoum.
Tilal, qui habite le quartier Kober près de l’hôpital Universal, rapporte à MEE qu’il avait vu des centaines de patients se battre avec la police cette nuit-là alors qu’ils tentaient de sortir de l’hôpital avec succès. « C’était l’anarchie la plus totale, les gens refusaient de rester dans le centre de confinement, ils se heurtaient même aux forces de l’ordre qui essayaient de les empêcher de sortir ».
Le responsable du département de santé de l’État de Khartoum, Alfatih Osman, a démenti à MEE que les gens fuyaient les centres de confinement, tout en admettant qu’il y en avait quand même un certain nombre qui refusaient de coopérer avec les responsables sanitaires.
Il a précisé que le nombre total de cas placés en quarantaine dans le pays s’était stabilisé à 54, en ajoutant que la durée de l’isolement dans différents hôpitaux et centres de confinement était de quatorze jours.
« Je ne pourrais pas affirmer que personne ne s’est échappé de ces lieux, mais cela ne constitue pas un problème en soi », a-t-il souligné. « Nous faisons face à une situation difficile car certains Soudanais refusent de rester en quarantaine, c’est pourquoi j’ai demandé sincèrement à chacun de changer les habitudes qui les poussent à se conduire ainsi. »
Pourquoi les gens refusent-ils la quarantaine?
Mais pourquoi des centaines de Soudanais ont-ils catégoriquement refusé d’être maintenus en quarantaine ?
« La situation est très grave, c’est pourquoi les autorités et les citoyens doivent collaborer étroitement »
- Alfatih Osman, responsable du département de santé de l’État de Khartoum
MEE a joint par téléphone Ahmed Abdul Azim, qui s’est échappé du centre de confinement de Bahri. Il raconte à MEE qu’il a été examiné au poste frontière d’Argeen et identifié comme personne à risque. Pourtant, Abdul Azim a décidé de quitter le centre car celui-ci n’est pas suffisamment équipé pour recevoir des patients. Il évoque le manque de personnel médical, de nourriture et de tenues de protection.
« Vous ne pouvez pas demander aux gens de rester si vous n’avez préparé pas les lieux convenablement », précise-t-il.
Un certain nombre de Soudanais ayant été renvoyés mi-mars dans leur pays après avoir tenté de se rendre en Arabie saoudite, ont aussi refusé d’entrer dans les centres de quarantaine, indique l’un d’eux à MEE.
Magda Ibrahim raconte avoir tenté de se rendre en bateau en Arabie saoudite, mais les autorités sanitaires saoudiennes ont refusé de la laisser débarquer et ont obligé le bateau à faire demi-tour.
« Lorsque nous sommes rentrés [au Soudan], certains d’entre nous ont refusé d’être maintenus en quarantaine par les autorités sanitaires dans la zone de la mer Rouge étant donné que nous n’avions jamais quitté le bateau », rapporte Magda Ibrahim.
Le ministère de la Santé a indiqué dans une déclaration que plus de 1 000 Soudanais étaient rentrés d’Arabie saoudite via Port-Soudan. Il a confirmé que les passagers avaient tous été relâchés après avoir été contrôlés négatifs au dépistage du coronavirus.
« La situation est très grave, c’est pourquoi les autorités et les citoyens doivent collaborer étroitement », met en garde Alfatih Osman, le responsable sanitaire de Khartoum.
Alfatih Osman recommande aux ressortissants soudanais de rester isolés chez eux dans le but de ralentir la propagation du COVID-19 et de ne pas surcharger les hôpitaux.
Mais il admet que cette pratique – largement appliquée dans de nombreux autres pays affectés par le virus – n’est pas facile à imposer au Soudan pour des raisons économiques et sociales. « Les Soudanais ne restent habituellement pas chez eux, surtout les hommes », précise-t-il. « La pauvreté est aussi un facteur déterminant, étant donné que la majeure partie de la population doit aller travailler. »
Il recommande la mise en place d’un couvre-feu « notamment face aux comportements récalcitrants de certains citoyens ».
Accusations de mauvaise gestion
Dans un tout autre genre de témoignage, au début du mois, dix membres d’une même famille ont révélé qu’ils n’avaient pas été autorisés à passer un test de dépistage, ni à être confinés dans un hôpital pendant plusieurs jours, alors qu’ils en avaient fait la demande.
Ils appartiennent tous à la famille élargie de Faisal Alyas, première victime à avoir succombé au coronavirus au Soudan après être rentré des Émirats arabes unis. Son décès avait été rendu public le 11 mars dernier.
Selon Mohamed Ali, un des neveux de Faisal Alyas, les autorités soudanaises n’ont pas accordé l’attention nécessaire à sa famille.
« Le ministère nous a traités avec beaucoup de négligence », explique ce professeur d’université. « Nous nous sommes conduits de manière très positive face à la situation. » Faisal Alyas s’était même rendu au centre de quarantaine avant de mourir.
« Nous avons sollicité le ministère pour que quelqu’un vienne et nous fasse passer les tests appropriés de dépistage, de contrôle, voire de mise en quarantaine, mais personne n’est venu pendant plus de trois jours. »
« Un système de santé très détérioré »
Le ministère de la Santé, qui rejette les réclamations de la famille, affirme que le frère aîné de Faisal Alyas avait initialement refusé d’admettre que le coronavirus était à l’origine de la mort de son frère et avait refusé d’être dépisté, avant que les autres membres de la famille réagissent.
Le ministère a ajouté que les membres de la famille de Faisal Alyas avaient tous effectué le test de dépistage qui s’est révélé négatif, mais que sa femme et son père étaient toujours isolés dans des centres de confinement.
Pour le spécialiste en médecine soudanais, Abdelmalik Elhadia, en dépit de l’effondrement et de la mauvaise gestion du système de soins de santé du pays, la pandémie de coronavirus n’a pas encore atteint les proportions alarmantes que l’on observe dans le reste du monde. Cela est dû, selon lui, au fait que la maladie n’est pas « originaire de la région ».
« En raison d’un système de santé déjà ébranlé et du manque d’anticipation, les centres de confinement n’étaient pas prêts, ni fonctionnels pour accueillir des cas suspects ou des patients en observation », explique-t-il à MEE. Selon lui, le problème au Soudan n’est « pas tant d’organiser l’isolement que d’exploiter au mieux les rares ressources dont nous disposons. »
Alfatih Osman, responsable du département de santé de l’État de Khartoum souligne : « Nous avons hérité d’un système de santé très détérioré, c’est pourquoi notre situation est si fragile. Seule la coopération de la population nous permettra de faire face à la situation. »
Abdelmalik Elhadia exhorte le Premier ministre, Abdallah Hamdok, à intervenir et à prendre la tête des actions menées par l’ensemble du gouvernement afin d’assurer une coordination et une exploitation maximales des ressources du Soudan – notamment du personnel médical, des ressources médicales et économiques – visant à lutter contre la maladie.
« Nous avons pu constater que des pays aussi riches que le Royaume-Uni, entre autres, ont du mal à organiser les services sanitaires en vue de contenir la pandémie, il nous faut donc prendre conscience que le Soudan risque de faire face à un dilemme majeur si nous ne parvenons pas à exploiter au mieux les ressources dont nous disposons. »
Traduit de l’anglais (original) par Julie Ghibaudo.
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