Exilés LGBTQI+ libyens en Tunisie : la triple peine
En Tunisie, un groupe d’amis libyens se réjouit à chaque fois que l’un d’entre eux réussit à quitter le pays. Ils s’appellent Nour, Walid, Amina ou Marouane* et ils sont gays, lesbiennes, transexuels, queers ou bisexuels et c’est à cause de leur orientation sexuelle qu’ils ont été obligés de quitter leur pays, la Libye.
Leur rêve est d’obtenir le statut de réfugié pour pouvoir refaire leur vie loin de la Libye et loin de la Tunisie.
Certains ont fui leur pays en 2011, d’autres sont partis après la première bataille de Tripoli en 2014, mais il y en a aussi qui ont préféré mettre leur famille à l’abri hors du pays et continuent, eux, à vivre en Libye.
L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) estime entre 300 000 et un million les Libyens installés en Tunisie, où ils se regroupent dans les mêmes quartiers, fréquentent les mêmes cafés, au point que certains bars à chicha à Tunis sont baptisés « Petite Libye » par les Tunisois.
« À la fin de la visite, l’employé du HCR m’a dit : ‘’Tu ne ressembles pas à un gay, tu ne te comportes pas comme une femme.’’ J’étais sous le choc »
- Walid, gay libyen, exilé en Tunisie
Mais ces lieux sont ceux que ces amis LGBTQI+ connaissent bien et qu’ils évitent autant que possible.
« Il m’est déjà arrivé de me balader à Laouinat [quartier au nord de Tunis] et de croiser des membres de milices de Tripoli dans les cafés », affirme Marouane, jeune gay libyen, à Middle East Eye.
Avant de réussir à quitter la Libye en 2018, Marouane raconte à MEE avoir été torturé pendant quatre jours par la Force Rada, un des groupes armés les plus puissants de la capitale libyenne, fortement influencé par le courant salafiste. Les miliciens de la Force Rada ont puni Marouane après avoir trouvé des « photos compromettantes » dans son téléphone portable.
En Tunisie, quand ils se donnent rendez-vous, les amis libyens LGBTQI+ préfèrent se retrouver à domicile ou dans des cafés et restaurants fréquentés par la bourgeoisie tunisoise et les expatriés européens, où les Libyens sont rares.
Ces exilés sont soumis à un double isolement : ils se retrouvent dans un nouveau pays et évitent leurs compatriotes qui pourraient les dénoncer, si ce n’est sévir contre eux directement.
Amina, qui porte une casquette à chaque fois qu’elle sort pour être la moins reconnaissable possible, raconte à MEE : « Je suis bisexuelle et athée. C’est une honte pour ma famille. J’étais menacée de mort en Libye par mon propre père qui est en relation avec certaines milices. »
Certains membres de cette petite communauté en exil se connaissaient avant d’arriver en Tunisie, mais leur situation singulière les a poussés à s’unir encore davantage une fois franchie la frontière. Ils ont, par exemple, effectué ensemble les démarches auprès du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) à Tunis pour obtenir le statut de réfugiés.
Alors qu’ils pensaient que leurs histoires leur vaudraient, si ce n’est de la compassion, du moins de la compréhension de la part des employés du HCR, certains d’entre eux sont tombés des nues lors de leur rendez-vous.
« J’ai été choquée par leur méthode. Je pensais être en sécurité avec eux. Il est arrivé qu’ils me ferment la porte au nez. Quand je leur ai expliqué que j’avais peur que mon père me retrouve, ils m’ont répondu : ‘’Nous ne sommes pas le FBI’’ », confie Amina à MEE.
Pire, un autre membre de ce petit groupe d’exilés libyens, Walid, se souvient d’une visite à son domicile d’un employé du HCR, venu vérifier son histoire : « À la fin de la visite, cette personne m’a dit : ‘’Tu ne ressembles pas à un gay, tu ne te comportes pas comme une femme.’’ J’étais sous le choc. »
La responsable du département protection au HCR de Tunis, Nadjia Hafsa, assure à MEE que ces demandeurs libyens ne font l’objet d’aucune discrimination et que les dossiers sont suivis par « une équipe d’agents et d’experts très bien formés aux procédures de détermination du statut de réfugié ».
Néanmoins, les Libyens, une fois sur le sol tunisien, ne sont plus considérés comme des personnes particulièrement vulnérables : « Il existe un accord bilatéral entre la Tunisie et la Libye qui garantit aux Libyens arrivant en Tunisie la liberté d’installation, de mouvement et de travail. Ils bénéficient donc de la protection du gouvernement tunisien », précise la responsable.
Une « protection » qui fait rire jaune le groupe d’amis gays : « Tu crois que les policiers tunisiens vont nous protéger des milices libyennes ? », demandent-ils.
L’article 230 du code pénal tunisien prévoit une peine de trois ans de prison à l’encontre des personnes ayant eu des relations homosexuelles. Et, en plus du problème de sécurité qui se pose pour eux en raison de leur orientation sexuelle, comme de nombreux autres Libyens exilés en Tunisie, ils subissent les vexations quotidiennes dues à leur nationalité.
Ils sont confrontés tous les jours à la vénalité de certains policiers, chauffeurs de taxi ou commerçants pour qui être Libyen est synonyme de richesse. Une image qui ne s’applique pas du tout à eux, qui ont quitté leur foyer en cachette, sans aide de leurs proches.
Or, trouver du travail quand on est Libyen et sans appui relève en Tunisie du parcours du combattant.
Nour, à peine 20 ans, a passé les quatre dernières années en Tunisie. Elle affirme qu’elle pourrait écrire un livre d’anecdotes sur le sujet.
« Une fois, j’ai présenté ma candidature pour un poste de marketing. Le premier test s’est déroulé en ligne : aucun souci. Ensuite, on m’a appelée pour venir passer un entretien. Tout s’est très bien passé jusqu’au moment où j’ai sorti mon passeport libyen pour les démarches administratives. Là on m’a dit : ‘’Ah non, on n’engage pas de Libyens’’. »
Cependant, ces mésaventures sont parfois entrecoupées de vrais moments de liberté.
À Tunis, Nour a multiplié les tatouages, histoire de « s’affranchir de son ancienne éducation corsetée ». Les exilés libyens découvrent aussi la dynamique communauté LGBTQI+ tunisienne. Une effervescence qui leur a donné l’envie de lancer une plateforme web à destination de la communauté libyenne : Kun.
Les créateurs de ce site ont voulu en faire un lieu d’échange où des témoignages – anonymes – côtoient des conseils sur comment vivre sa sexualité et comment se comporter en cas de violations commises en Libye.
Président de l’association tunisienne Mawjoudin, pour la reconnaissance des minorités sexuelles, Ali Bousselmi a largement contribué à la création de Kun. Il a aussi joué les facilitateurs entre les deux mondes.
« Ce n’est pas parce qu’on appartient à une minorité que l’on n’a pas d’a priori. De nombreux Tunisiens LGBTQI+ n’ont pas forcément une bonne image des Libyens », explique-t-il à MEE. Ali Bousselmi, qui a déjà travaillé aux côtés de migrants, espère que Kun permettra de renforcer le lien entre les communautés des deux pays.
Amina, Walid, Nour et Marouane promettent de ne pas lâcher le combat pour les droits des minorités sexuelles, même s’ils réussissent à s’installer à l’étranger. « Ici ou ailleurs, ce qui m’intéresse, c’est la cause LGBTQI+ en Libye. Je ne vais pas m’arrêter sous prétexte que, moi, je serai finalement en sécurité », assure Amina.
Les autres non plus : Marouane est en Suède depuis quelques semaines mais il continue de correspondre régulièrement avec ses amis à Tunis.
Walid vient d’obtenir le précieux sésame et attend de connaître son futur pays d’accueil.
Nour, bien que la plus ancienne arrivée en Tunisie, attend toujours. Au moins a-t-elle réussi à obtenir un poste de travail dans une ONG qui défend les droits de l’homme.
Amina, de son côté aussi, attend : « Depuis que j’ai quitté la Libye, je suis incapable de savoir ce que je ferai dans un mois. Alors, je vis au jour le jour, on verra bien. »
Tous, en tout cas, assurent ne pas s’intéresser particulièrement à l’actualité de la Libye, conscients que même si la paix revenait, ils n’y seraient plus, de toute façon, les bienvenus.
*Les prénoms ont été changés .
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