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« Nous n’arrivons pas à croire que vous êtes gay » : aux Pays-Bas, les réfugiés LGBT perdent espoir

Contraints à l’impossible pour prouver leur homosexualité, les demandeurs d’asile LGBT se disent déçus par les Pays-Bas, qu’ils considéraient comme un lieu de tolérance
Des membres de la communauté LGBT, qui sont également migrants ou réfugiés, manifestent pour réclamer une meilleure reconnaissance à La Haye, le 5 septembre 2017 (AFP)

AMSTERDAM – Zaman, un Irakien de 26 ans, espérait pouvoir enfin tourner la page. Après avoir subi des années d’abus physiques et verbaux de la part de sa famille, de ses employeurs et même de personnes au hasard dans la rue en raison de son homosexualité, il a finalement pris la décision de fuir vers les Pays-Bas, un pays internationalement reconnu comme l’un des endroits les plus tolérants au monde à l’égard des LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres).

« Comment pourrais-je rentrer en Irak ? J’ai trop de problèmes là-bas – ils me tueraient »

– Zaman, réfugié irakien

Son voyage jusqu’aux Pays-Bas n’a pas été facile. Après avoir rejoint la Turquie en avion, il s’est rendu illégalement en Grèce en bateau. Il a ensuite parcouru de nombreux pays par voie terrestre, notamment la Serbie, la Macédoine et l’Allemagne, avant d’atteindre les Pays-Bas en octobre 2015. Il pensait qu’il serait en sécurité et qu’il allait enfin pouvoir vivre librement pour la première fois, chose impossible pour les LGBT en Irak.

Mais au lieu de cela, il doit se battre pour échapper à son expulsion vers un endroit où sa vie serait menacée. Au cours des deux dernières années, sa demande d’asile a été refusée à deux reprises parce que le Service néerlandais d’immigration et de naturalisation (IND) ne croit pas à son histoire, une tendance croissante qui touche des dizaines d’autres réfugiés LGBT aux Pays-Bas.

« L’IND m’a dit : "Nous n’arrivons pas à croire que vous êtes gay parce que vous en parlez mal" », a rapporté Zaman via FaceTime, chez lui à Middelbourg, dans le sud des Pays-Bas, où il vit avec son fiancé hollandais Richard.

Selon Zaman, l’IND a souligné son manque de connaissance de la scène gay hollandaise locale et a affirmé ne pas croire à sa relation avec Richard, qu’il avait rencontré quelques mois avant son premier entretien avec l’IND, en juin 2016.

« Cela m’a vraiment rendu malade », a confié Zaman, tout en jouant avec une boucle d’oreille en faux diamant. « J’ai beaucoup pleuré. Je me sentais horriblement mal. »

Zaman a fait appel de la décision, compilant 150 photos et de nombreuses conversations de WhatsApp prouvant sa relation avec Richard, entre une fête de Noël chez les parents de son fiancé et divers événements, notamment des anniversaires et des fêtes. Il a également inclus douze lettres de sa famille, d’amis, de voisins et d’ONG pour prouver sa sexualité.

« L’IND m’a dit : "Nous n’arrivons pas à croire que vous êtes gay parce que vous en parlez mal" »

– Zaman, réfugié irakien

Cependant, moins d’une semaine après avoir soumis toutes ces pièces en juin dernier, il a essuyé un nouveau refus. Il suit actuellement le processus d’appel final devant un juge, pour un verdict prévu début novembre.

« AZC [le centre pour demandeurs d’asile] m’a dit que je devais retourner en Irak. « Comment pourrais-je rentrer ? J’ai trop de problèmes là-bas – ils me tueraient », a-t-il affirmé, avant d’ajouter, d’un ton de défi : « Je préférerais dormir dans la rue plutôt que de retourner en Irak. Je ne veux pas mourir. »

La famille de Zaman a toujours su qu’il était différent. Il explique que son frère le battait et qu’il a menacé de le tuer après l’avoir trouvé dehors avec son petit ami au milieu de la nuit.

Le cas de Zaman n’est qu’un exemple de la longue liste de refus d’asile prononcés contre les LGBT aux Pays-Bas en raison du fait que l’IND juge que les réfugiés ne sont « pas homosexuels ».

Un problème de plus en plus important

Dans la mesure où l’IND ne compile pas de statistiques sur les réfugiés LGBT, il est difficile de connaître le pourcentage de refus ; des avocats et des activistes qui travaillent sur la question affirment toutefois avoir traité des dizaines de cas – principalement d’hommes homosexuels – cette année seulement et que la situation s’aggrave de jour en jour.

« L’IND ne publie pas de chiffres, mais nous savons que le problème est assez important », explique Sandro Kortekaas, président de l’organisation LGBT Asylum Support, une ONG indépendante qui soutient les demandeurs d’asile LGBT.

Des manifestants protestent devant le parlement le 5 septembre contre les restrictions imposées par l’IND aux demandeurs d’asile LGBT (AFP)

L’association a organisé une manifestation le mois dernier devant le parlement, qui a rassemblé plusieurs dizaines de manifestants, contre les restrictions imposées par l’IND aux demandeurs d’asile LGBT. Ils ont conclu cette manifestation en remettant au gouvernement une pétition demandant la création d’une nouvelle commission, composée de personnes disposant d’une expertise psychologique et de connaissances spécialisées sur le pays d’origine du réfugié, qui pourrait évaluer les refus de manière plus holistique.

« Il faut qu’il y ait un système, bien sûr, mais pour le moment, ce système n’est ni humain, ni équitable », estime Sandro Kortekaas.

Jusqu’à présent, cette année, Kortekaas et son équipe ont soutenu plus de 90 cas, contre 70 en 2016. « Et ce ne sont que ceux qui nous ont trouvés », a-t-il ajouté.

Sandro Kortekaas, président de l’organisation LGBT Asylum Support, affirme avoir soutenu plus de 90 cas de réfugiés LGBT cette année (LGBT Asylum Support/Facebook)

LGBT Asylum Support fait partie des quelques ONG qui travaillent sur la question. Sandro Kortekaas, qui dirige bénévolement l’organisation, et d’autres bénévoles offrent un soutien psychologique aux réfugiés touchés, contactent leurs avocats pour les conseiller, rédigent des lettres de soutien et les accompagnent devant les tribunaux, parfois pour servir de témoins dans l’affaire qui les concerne. Selon Kortekaas, le besoin est énorme.

« Ils pensaient être arrivés dans un pays sûr, où il y a cette grande Gay Pride, un pays plein de tolérance et de respect envers les droits des LGBT, et ils se retrouvent confrontés à ça »

– Sandro Kortekaas, président de l’organisation LGBT Asylum Support

« Pour 95 % des personnes que nous aidons, je suis vraiment sûr qu’ils sont homosexuels », a affirmé Kortekaas. « Ils ont l’impression de vivre un cauchemar. Ils pensaient être arrivés dans un pays sûr, où il y a cette grande Gay Pride, un pays plein de tolérance et de respect envers les droits des LGBT, et ils se retrouvent confrontés à ça. C’est très difficile. »

Un interrogatoire interminable

Le problème découle des nouveaux critères d’évaluation introduits par les Pays-Bas en octobre 2015. Selon des avocats qui travaillent sur la question, les nouvelles instructions de l’IND exigent désormais que le réfugié explique le processus intérieur qu’il a connu lors de la découverte de son orientation sexuelle et la façon dont il y a fait face.

Ces questions font l’objet d’un interrogatoire interminable et poussé au cours d’un entretien avec un agent de l’IND, dont la transcription et les notes sont ensuite évaluées par un autre agent avant qu’une décision soit prise. Les détracteurs soutiennent qu’il est injuste de demander cela à quiconque, qui plus est à des personnes qui n’ont peut-être pas bénéficié d’une éducation adéquate ou qui sont mal à l’aise à l’idée de discuter avec un étranger ou un interprète de choses si intimes, qui étaient auparavant un sujet tabou.

« Si vous me posiez cette question, je répondrais : "De quoi vous mêlez-vous ?" », a déclaré Erik Hagenaars, avocat. « Et ce sera encore plus vrai si vous demandez cela à quelqu’un qui vient d’une région rurale africaine, qui n’est jamais allé à l’école et qui se trouve être homosexuel. Cette personne sera-t-elle capable d’articuler ses sentiments à ce sujet ? »

« Il faut qu’il y ait un système [pour évaluer les réfugiés], mais pour le moment, ce système n’est ni humain, ni équitable »

– Sandro Kortekaas, président de LGBT Asylum Support

Hagenaars a traité des centaines de cas liés à la communauté LGBT au cours des dernières années et affirme compter actuellement plus de 90 clients originaires de pays aussi divers que l’Iran, le Pakistan, l’Ouganda et le Maroc – tous dans la même situation. Selon lui, le fonctionnement de l’IND semble devenir « de plus en plus strict, semaine après semaine ».

« Il est tellement arbitraire, ajoute-t-il. C’est tout simplement une injustice. »

Ahmad Heidari, un réfugié aveugle et bisexuel de 28 ans originaire d’Iran, affirme que le système actuel néglige un groupe de personnes très vulnérables, dont il fait partie.

En Iran, Heidari a occupé tous les emplois qu’il a pu trouver avec l’aide de ses amis, de l’informatique à la vente de voitures. En juin dernier, il s’est inscrit à une conférence sur le tourisme international et l’informatique aux Pays-Bas pour en savoir plus sur les nouvelles technologies à destination des personnes aveugles sur le terrain. Alors qu’il se trouvait sur le sol néerlandais, son appartement a été pris d’assaut par la police iranienne, qui a trouvé des vidéos pornographiques gays sur son ordinateur.

Il explique que sa vie était auparavant tranquille et heureuse – personne n’était au courant de sa bisexualité en dehors de quelques partenaires discrets, bien qu’il affirme que ses parents avaient des soupçons. Mais tout cela a changé après le raid. Son père lui a dit que rentrer était trop dangereux ; il est donc resté aux Pays-Bas et a demandé l’asile. L’homosexualité est passible de la peine de mort en Iran.

Malgré cela, sa demande a été refusée deux fois en raison de doutes sur son orientation sexuelle. Ahmad Heidari soutient que le processus n’a pas tenu compte des circonstances particulières de son cas, un juge ayant notamment demandé pourquoi il n’avait pas assisté à plus d’événements LGBT s’il était vraiment bisexuel.

« Je suis aveugle, donc le processus qui m’est appliqué est différent », a expliqué Heidari, qui est né aveugle en raison de complications survenues lors de l’accouchement et qui vit aujourd’hui dans un centre pour réfugiés à Delfzijl, dans le nord-est des Pays-Bas. « Je passe tout mon temps dans ma petite chambre dans le camp [de réfugiés] parce que je ne peux pas me déplacer facilement. Quelqu’un doit tout le temps s’occuper de moi et je ne connais vraiment personne ici. »

Ahmad Heidari est désormais confronté à la perspective d’être renvoyé de force en Iran. Après le deuxième rejet de son appel en juillet, il était censé quitter son camp le 31 août, mais au dernier moment, son avocat a obtenu une permission pour qu’il reste un peu plus longtemps, un dernier recours ayant été formulé devant la cour suprême néerlandaise. Comme son avocat lui a expliqué que l’opinion de l’IND était rarement contredite à ce stade, il se montre pessimiste.

Une culture du doute

Cette tendance au scepticisme gouvernemental sur la question de l’orientation sexuelle des demandeurs d’asile n’est pas propre aux Pays-Bas. Des cas similaires ont été rapportés partout en Occident, du Royaume-Uni à l’Australie, en passant par l’Allemagne.

Selon Sabine Jensen, avocate et chercheuse, l’idée de ne pas croire à l’orientation sexuelle déclarée d’un réfugié était inouïe aux Pays-Bas il y a dix ans.

« Il y avait d’autres obstacles à l’époque », a expliqué Jensen, qui a écrit un rapport en 2011 sur les difficultés auxquelles les demandeurs d’asile LGBT sont confrontés en Europe et qui rédige actuellement une suite censée être publiée plus tard cette année. « Mais ces obstacles aujourd’hui ont disparu, et le doute les remplace. »

Au cœur du problème réside la question de savoir comment prouver son orientation sexuelle, chose impossible

Sabine Jensen estime qu’il y a chaque année quelques centaines de demandeurs d’asile LGBT.

La seule lueur d’espoir pour les personnes concernées est un verdict judiciaire qui a rejeté en juin une ordonnance d’expulsion prononcée contre un autre réfugié irakien accusé de ne pas être homosexuel.

Les juges ont statué que l’IND devait également tenir compte des photographies et d’une déclaration du partenaire néerlandais qui vivait avec lui, des preuves que l’agence ignore habituellement pour éviter le risque de voir des personnes payer des témoins pour qu’ils soutiennent leur histoire, selon des avocats qui travaillent sur la question.

Une question d’opinion

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a également émis quelques décisions sur des appels qui étaient en cours aux Pays-Bas, dont un en 2013, dans l’affaire dite « X., Y. et Z. » impliquant trois demandeurs d’asile homosexuels originaires d’Ouganda, de Sierra Leone et du Sénégal qui avaient essuyé un refus, et un autre en 2014 qui concernait trois autres réfugiés homosexuels.

« L’homosexualité est passible de la peine de mort en Iran » : manifestation devant le parlement néerlandais, le 5 septembre 2017 (LGBT Asylum Support/Facebook)

La CJUE s’est impliquée après que la cour suprême néerlandaise a demandé des éclaircissements sur ce qui était acceptable lors de l’évaluation des demandes d’asile formulées par des membres de la communauté LGBT.

Brian Lit, un avocat d’Altattorneys Amsterdam qui travaille régulièrement sur les cas de demandes d’asile déposées par des membres de la communauté LGBT, affirme qu’il y a « tout à fait » des personnes qui mentent pour exploiter le système et comprend pourquoi l’IND doit mettre en place des obstacles supplémentaires. « Sinon, c’est trop facile et cela discrédite les véritables réfugiés LGBT qui ont vraiment connu ces problèmes », a-t-il déclaré.

« C’est une sale besogne et quelqu’un doit s’en charger. Mais ils doivent garder l’esprit ouvert. À l’heure actuelle, tout se résume à la manière dont un seul agent [de l’IND] voit les choses [pendant l’entretien]. C’est juste une question d’opinion »

– Brian Lit, avocat au sein d’Altattorneys Amsterdam   

Cependant, il souligne également qu’il existe un énorme problème avec les instructions de travail actuelles de l’IND et l’accent mis sur le processus d’acceptation de soi, qui font que de véritables réfugiés LGBT se voient refuser l’asile.

« C’est la critique que je peux formuler, a-t-il ajouté. C’est une sale besogne et quelqu’un doit s’en charger. Mais ils doivent garder l’esprit ouvert. À l’heure actuelle, tout se résume à la manière dont un seul agent [de l’IND] voit les choses [pendant l’entretien]. C’est juste une question d’opinion. »

Contacté par MEE, l’IND n’a pas souhaité répondre aux critiques soulevées dans cet article, répondant simplement par e-mail : « Dans ses conversations avec les demandeurs d’asile, l’IND donne au demandeur d’asile toute la latitude nécessaire pour indiquer pourquoi il pense qu’il a besoin de protection aux Pays-Bas. Si l’IND arrive à la conclusion que cette demande ne peut être acceptée, le demandeur d’asile peut interjeter appel de ce refus et soumettre son cas à un tribunal. »

Au cœur du problème, pour Ahmad Heidari et des dizaines d’autres personnes, réside cette question de savoir comment prouver son orientation sexuelle, chose impossible.

« Il s’agit vraiment d’un sentiment et il est parfois très difficile d’expliquer ce sentiment », a-t-il confié. « Si j’étais face à un agent de l’IND et que je lui demandais "Comment pouvez-vous prouver que vous êtes hétéro ?", que pourrait-il faire en réalité ? Comment pourrait-il l’expliquer ? Tout ce que je sais, c’est que c’est un sentiment qui réside en moi. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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