« On fait le travail de l’État » : dans les quartiers défavorisés de Marseille, les habitants s’organisent pour survivre
Au nord de Marseille, au pied de la cité de la Maison Blanche, située dans le 14e arrondissement, une longue file d’attente s’étend sur plusieurs mètres. Depuis des heures, des femmes, des hommes et des enfants attendent patiemment leur tour, cabas à la main.
À l’arrivée, un panier repas : de l’eau, de la farine, du riz ou encore des sardines.
Depuis le début du confinement, le collectif des habitants de la Maison Blanche assure une distribution de colis alimentaires tous les deux jours en bas de cette barre d’immeubles.
Dans cette copropriété privée de 226 logements, la plupart insalubres, les mesures de confinement remettent en question la sécurité alimentaire et sanitaire des familles les plus démunies.
« Les gens ont eu tellement peur de ne pas avoir de panier qu’ils sont venus dès 6 h 30 du matin »
- Amir, un habitant du quartier
Délaissés avant le coronavirus, les quartiers défavorisés se retrouvent surexposés. Une situation inquiétante qui concerne de nombreux quartiers populaires de Marseille, ville où un quart de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.
Dans la queue, attend Khadija*, la trentaine. Elle et son mari sont algériens et n’ont pas de papiers.
« On travaille au black. Moi, je fais des ménages et parfois, on revend des trucs en ligne pour compléter… Mais avec le confinement, on n’a plus aucune entrée d’argent et on a trois enfants à nourrir. C’était déjà compliqué avant, mais là c’est pire », témoigne-t-elle à Middle East Eye en couvrant le bas de son visage avec l’extrémité de son voile.
Lorsque son tour arrive, Kalil, l’un des membres du collectif, lui demande de bien respecter les gestes barrières en se plaçant derrière le trait tracé au sol à la craie.
Il donne son sac à l’autre partie de l’équipe, qui trie et distribue les stocks à l’intérieur. « Voilà Madame, bonne journée », lance-t-il à MEE, avant d’ajouter : « Les gens souffrent, ça se voit. La plupart travaillent dans le secteur informel, quand ils ont la chance de travailler… Comment font-ils maintenant pour s’acheter à manger et payer le loyer ? »
« Je ne pourrai plus payer mon loyer »
En début de file, un homme demande s’il est possible d’avoir des couches pour bébé. Yacoubi* habite dans la cité Consolat, dans le 15e arrondissement, et vit avec quatre enfants en bas âge. Sans papiers lui aussi, il travaille sans contrat sur des chantiers de BTP.
« J’ai encore un peu d’argent de côté pour assurer le minimum mais je ne pourrai plus payer mon loyer à partir de ce mois-ci. J’ai peur pour la suite », explique-t-il. Heureusement, son propriétaire a accepté de retarder le paiement sans frais.
« Ça me rassure, on ne va pas se retrouver à la rue, mais ça ne fait que déplacer le problème car il faudra bien que je le paye un jour », s’inquiète ce père de famille. Derrière lui, la petite dizaine de bénévoles s’agite pour que les sacs tendus se remplissent le plus rapidement possible.
Sur la page Facebook du collectif, la distribution était annoncée à 12 h. « Les gens ont eu tellement peur de ne pas avoir de panier qu’ils sont venus dès 6 h 30 du matin », explique Amir, l’un des membres du collectif et habitant du quartier.
Il est désormais 12 h 30 et il n’y a presque plus de stocks de nourriture. Un homme d’une cinquantaine d’années lui tend une liasse de billets : « Voilà, c’est pour vous. Bravo les gars ! »
À ce jour, la cagnotte a dépassé les 5 000 euros, sans compter les dons en liquide ou les dons alimentaires. Une partie des bénévoles part faire les courses pour assurer la suite de la distribution et préparer les colis de l’après-midi.
« On va livrer des étudiants et des handicapés. Beaucoup de gens nous appellent pour nous dire qu’ils sont dans le besoin mais qu’ils ne peuvent pas se déplacer. Alors, on le fait pour eux », conclut Amir.
Trinidad*, 41 ans, est atteinte d’une maladie respiratoire. Elle assure que depuis le début du confinement, c’est son fils qui fait les courses pour elle : « Moi, j’essaie de sortir le moins possible car j’ai peur d’attraper le virus. »
Elle ajoute : « Le cabinet de mon médecin est fermé. S’il m’arrive quelque chose, je devrai me rendre aux urgences et ce n’est pas le moment. » Mais rester enfermée chez elle aussi longtemps peut également s’avérer dangereux : « Je vis dans un appartement insalubre où il y a beaucoup d’humidité. Ce n’est pas vraiment conseillé quand on a des problèmes respiratoires… »
À ce titre, une cinquantaine d’associations et de collectifs marseillais ont publié, le 16 avril, une tribune dans Libération, intitulée « À Marseille, l’homicide par négligence qui se prépare », s’alarmant sur le sort, pendant le confinement, des habitants des dizaines de milliers de logements indignes que compte la ville et demandant à l’État d’agir.
Une petite dame, dont les yeux sont soulignés d’un fin trait de khôl bleu, récupère son sac à la hâte. Danielle* est veuve et maman de deux enfants.
« Je touche un très petit chômage d’intérimaire. D’habitude, je m’en sors en faisant les courses au marché d’à côté ou au dépôt de marchandises. Mais là, tout est fermé et l’hypermarché est trop cher », explique-t-elle à MEE en réajustant le mouchoir qu’elle presse nerveusement contre sa bouche.
Comme près de 2 000 enfants à Marseille, les siens mangent d’habitude gratuitement à la cantine le midi, une aide sociale qui fait actuellement défaut avec la fermeture des écoles depuis le 16 mars.
« Il y a des soirs où je ne mange pas pour que les petits aient assez de nourriture dans leur assiette », avoue-t-elle.
Constatant que des familles déjà précaires ont été mises davantage en difficulté par le confinement, des enseignants et parents d’élèves d’une quinzaine d’école à travers la ville ont créé des cagnottes en ligne et organisé des distributions alimentaires.
« Quand on a commencé à appeler les parents de nos élèves pour organiser le suivi pédagogique pendant le confinement, on s’est vite rendu compte que certains étaient en très grande difficulté », raconte une enseignante d’une école REP+ (Programme réseau d’éducation prioritaire renforcé) située dans le 3e arrondissement, le plus pauvre de France, où ces cagnottes sont les plus nombreuses.
En une semaine, l’école a collecté plus de 8 000 euros. « Nous avons pu aider une trentaine de familles en répartissant l’argent en fonction du nombre d’enfants par foyer », explique l’enseignante, qui préfère garder l’anonymat.
Cagnotte en ligne
Depuis le 15 avril, la mairie de Marseille accepte que ces collectifs citoyens assurent les distributions au sein des écoles. « Il a fallu attendre un mois pour que ça arrive ! Avant ça, les inspecteurs nous ont mis la pression pour qu’on arrête ces actions de solidarité dans l’enceinte de l’école », s’exaspère l’enseignante.
Selon le journal local La Provence, une aide mensuelle de 100 euros par enfant financée par la ville est prévue pour les familles des écoliers qui bénéficiaient de la gratuité à la cantine, sans qu’une date précise soit annoncée pour l’instant.
« On fait le travail de l’État. On se débrouille comme on peut pour que nos voisins les plus pauvres ne meurent pas de faim »
- Naer, membre du collectif des habitants de la Maison Blanche
Début avril, une dizaine de syndicats (CGT, Sud, CNT, FSU) et de collectifs alertaient, par voie de communiqué, les pouvoirs publics sur la grande détresse vécue par ces familles marseillaises mises en difficulté par les mesures de confinement.
« Ce sont une fois de plus les associations et les individus qui permettent de gérer l’urgence, urgence aggravée par le démantèlement orchestré des services publics. Les uns cousent des masques, les autres font les courses pour les plus démunis », pouvait-on lire.
À la Maison Blanche, où 400 colis ont été distribués dans la matinée, ce sentiment d’abandon est le même.
« On fait le travail de l’État », s’énerve Naer, membre du collectif. « On aide ces gens avec l’argent de nos petits salaires. On se débrouille comme on peut pour que nos voisins les plus pauvres ne meurent pas de faim. »
Avant d’ajouter : « Mais cette inaction des pouvoirs publics n’a rien d’étonnant. Ce que l’on réclame aujourd’hui, nos parents et nos grands-parents le réclament depuis longtemps. Alors on n’attend plus rien de personne, on s’organise pour tenir. »
*Les prénoms ont été changés.
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