Le coronavirus menace les travailleurs informels d’Afrique du Nord
Alors que l’Afrique du Nord se retrouve confrontée à la fois aux effets sanitaires et économiques de la pandémie de COVID-19, les travailleurs et les entreprises du secteur informel sont exposés au danger de manière démesurée.
Cette exposition particulière au virus est due à leur travail fréquent sur de petits marchés bondés, à la dépendance d’interactions en face-à-face avec leurs clients ou bien parce qu’ils travaillent au domicile même de leurs clients.
Sans dispositif d’arrêt maladie ou d’assurance-chômage institutionnalisé, tomber malade ne serait-ce qu’une courte période peut constituer une menace existentielle pour leurs moyens de subsistance.
En concevant des plans d’aide économique, les gouvernements d’Afrique du Nord ont reconnu que l’économie informelle avait besoin de soutien
En dehors d’une relation de travail stable et souvent dans l’impossibilité de travailler depuis chez eux, les travailleurs informels sont tributaires de leurs économies limitées pour tenir pendant les confinements institués à travers la région.
Complication supplémentaire, de nombreux outils politiques classiques des États pour aider à protéger les industries et l’emploi en cas de crise – renflouements, allègements fiscaux, subventions salariales – sont généralement liés au statut formel des entreprises ou de l’emploi, et ne sont donc pas disponibles pour ceux du secteur informel.
En concevant des plans d’aide économique, les gouvernements d’Afrique du Nord ont reconnu que l’économie informelle avait besoin de soutien et ont avancé des mesures ciblées, généralement sous la forme de virements.
En Tunisie, un programme de virements a été annoncé : 200 dinars (63 euros) seront versés à plus de deux millions de ménages non affiliés à un régime de sécurité sociale, en plus de fonds supplémentaires pour les familles vulnérables avec des personnes âgées dépendantes et une réduction sur les factures d’énergie.
De même, le Maroc a annoncé un programme de virements directs pour les ménages vulnérables, citant notamment ceux opérant dans le secteur informel, et déboursera 800 dirhams (72 euros) par ménage de deux personnes, au moins 1 000 dirhams (90 euros) pour les ménages de trois ou quatre personnes et 1 200 dirhams (110 euros) pour les ménages de plus de quatre personnes.
Le Maroc se concentre sur les bénéficiaires de RAMED, un régime d’assurance santé subventionné pour les ménages vulnérables qui couvrent environ 20 % de la population.
L’Égypte étend les virements en ajoutant 60 000 nouveaux ménages à son programme préexistant – Takaful et Karama – et en offrant une somme unique de 500 livres égyptiennes (30 euros) aux travailleurs informels.
Selon les estimations du Bureau international du travail (BIT) plus de trois travailleurs égyptiens sur cinq sont employés de manière informelle.
Les virements sont un outil politique problématique : leurs effets sont généralement temporaires et il peut être difficile de cibler les bons groupes et de mettre en œuvre les virements pendant un confinement, comme certains des États de la région l’ont déjà expérimenté.
Une priorité de politique publique
De sérieuses questions se posent sur la suffisance des programmes annoncés jusqu’à présent. Ils constituent pourtant l’une des seules options politiques disponibles pour soulager aussi rapidement que possible ceux qui travaillent dans l’économie informelle.
Leur utilisation répandue en Afrique du Nord et dans une grande partie du monde en développement dans cette crise est plutôt positive. Mais surtout, elle s’est accompagnée d’une reconnaissance du fait que l’économie informelle fait partie de l’économie nationale, et que résoudre ses difficultés devrait être une priorité de politique publique.
Pourtant, ces mesures sont également temporaires. À moyen terme, l’économie informelle de la région est confrontée à des défis plus importants. La croissance de l’emploi informel en Afrique du Nord a été étroitement liée à la faible création d’emplois dans les secteurs public et privé formel.
Il faudra des plateformes de dialogue et d’interaction entre les foyers du secteur informel et les autorités étatiques
Si la crise actuelle ralentit davantage l’emploi formel, des entrées supplémentaires dans l’économie informelle stimuleront la concurrence pour de rares moyens de subsistance dans des secteurs déjà surchargés.
Les réformes significatives pour les économies informelles d’Afrique du Nord nécessiteront des engagements politiques à long terme. Il faudra des plateformes de dialogue et d’interaction entre les foyers du secteur informel et les autorités étatiques.
Les programmes de micro-entreprises, déjà en vigueur au Maroc, devraient être étendus à l’ensemble de la région. Il faut surmonter les obstacles qui empêchent les travailleurs n’ayant pas des relations de travail formelles d’accéder aux services sociaux et de santé.
Il faut pour cela envisager les économies informelles comme une question de développement et d’investissement, et non comme une question d’ordre public ou une opportunité d’extraire des recettes.
Cela restera une lutte difficile dans les années à venir. Les programmes que les États d’Afrique du Nord mettent actuellement en œuvre pour lutter contre la crise liée au coronavirus signifient qu’à moyen terme, et en l’absence de programmes extensifs d’annulation de dette ou de restructuration, ils seront confrontés à de nouveaux déficits budgétaires importants.
Les pressions visant à réduire les dépenses et à élargir le filet fiscal dans le contexte de l’austérité après la crise rendront plus difficile le plaidoyer en faveur du développement des économies informelles.
Et pourtant, la pandémie n’infecte pas uniquement ceux qui ont de bons services de santé ou les activités légales. Elle a mis en évidence non seulement de profondes inégalités dans les économies d’Afrique du Nord, mais également la nécessité pour les gouvernements de traiter leurs économies de manière globale et leurs populations de manière égale.
Certaines des politiques des dernières semaines pourraient marquer une première étape. Bien d’autres s’annoncent.
- Max Gallien est chercheur à l’Institute of Development Studies et à l’International Centre for Tax and Development. Ses recherches portent sur la politique des économies informelles et illégales et sur l’économie politique de l’Afrique du Nord. Il est titulaire d’un doctorat en développement international de la London School of Economics, et d’un DEA en études modernes sur le Moyen-Orient de l’Université d’Oxford.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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