En Égypte, la pandémie de coronavirus exacerbe les tensions au sein de l’Église copte orthodoxe
La décision de fermer les lieux de culte coptes d’Égypte, jugée « sans précédent et historique » par Boulos Halim, le porte-parole de l’Église, a été prise lors du Saint-Synode qui s’est réuni le jeudi 2 avril en présence du pope orthodoxe copte Théodore II.
Les mesures annoncées incluaient l’annulation des célébrations de la Semaine sainte et de Pâques ainsi que la suspension de toutes les activités et services religieux.
La controverse s’est amplifiée au sein du clergé sur les causes de l’épidémie du nouveau coronavirus et la possibilité d’une punition divine
Survenue à une période de l’année ayant une forte signification religieuse, cette décision n’a pas manqué d’exposer le pope Théodore II à une vague de critiques. La controverse s’est amplifiée au sein du clergé sur les causes de l’épidémie du nouveau coronavirus et la possibilité d’une punition divine.
Ceci a même conduit certains prêtres à accuser les opposants à cette idée d’« hérésie », leur reprochant de violer les enseignements de la religion.
Pour Peter Magdy, journaliste et chercheur, « le pope Théodore II a l’esprit suffisamment ouvert pour traiter les questions urgentes avec une vision moderne ».
« C’est le cas avec la crise du coronavirus qui a poussé toutes les Églises d’Égypte, en concertation avec al-Azhar [centre décisionnel de l’islam sunnite en Égypte] et le ministère des Waqfs, à décider, le 21 mars, de la suspension des prières collectives et de toutes les autres activités cultuelles », indique-t-il à Middle East Eye.
Pro-Chenouda III contre pro-Théodore II
La polémique en cours au sein de l’Église copte est due à la présence d’une tendance opposée au pope Théodore II, composée d’anciens évêques de l’Église se réclamant de l’héritage du précédent pope, Chenouda III, et qui se trouvaient au cœur de la lutte pour sa succession après sa mort en 2012.
Il semble qu’ils n’aient pas abandonné ce rêve. Ils s’opposent systématiquement au pope en exercice et utilisent des comités électroniques et des pages Facebook suspectes pour l’attaquer farouchement à chaque décision et l’accuser d’« hérésie » et de « solder l’Église copte en faveur d’autres Églises, refusant d’ouvrir un dialogue théologique avec l’Église catholique et l’Église orientale orthodoxe ».
« Ces évêques sont à nouveau montés au front à travers leurs pages Facebook pour affirmer que le nouveau coronavirus est une punition et une colère de Dieu envers les humains et attaquer la décision du pope de fermer les lieux de culte, tout en établissant des comparaisons entre les prières collectives et les autres activités qui continuent à fonctionner, comme les transports et certaines usines », explique Peter Magdy.
« Il faut rappeler à ce propos que les pages qui s’attaquent actuellement au pope Théodore II sont les mêmes que celles qui s’attaquaient à l’évêque Anba Epiphanius, assassiné le 29 juillet 2018 », ajoute-t-il en référence au meurtre de l’abbé du monastère de Saint-Macaire de Scété.
Selon Ishak Ibrahim, chercheur et responsable du dossier des minorités à l’Initiative égyptienne pour les droits personnels, « la crise sanitaire actuelle a non seulement révélé l’étendue de l’influence de la plus ancienne institution religieuse en Égypte – l’Église copte orthodoxe – qui continue à traiter des affaires économiques et sociales essentielles dans la vie de ses fidèles, mais elle a également révélé l’étendue de la crise que traverse cette institution depuis plusieurs années et qui a commencé à apparaître au grand jour après la mort du pope Chenouda III. »
Une crise provoquée « par une confrontation interne opposant un courant extrémiste très conservateur et un autre plus modéré », précise-t-il.
L’offensive de la vieille garde
Le chercheur affirme par ailleurs que cette même confrontation « oppose dans une certaine mesure l’opinion publique copte en Égypte », qui se retrouve ainsi divisée entre partisans et opposants du pope Théodore II.
De son côté, George Onsy, écrivain-journaliste à la Fondation Rose El Youssef, considère que « la crise du nouveau coronavirus est un nouvel épisode du conflit opposant deux groupes. Le premier est représenté par le pope Théodore II, considéré comme un patriarche réformiste œuvrant au rapprochement avec d’autres Églises chrétiennes.
« Le second est composé des partisans de la vieille garde du défunt pope Chenouda III. Par conséquent, certaines personnes ont considéré que la décision du pope Théodore II de fermer les églises était un désastre, en particulier parce qu’elle coïncidait avec la Semaine sainte. »
« Certaines personnes ont considéré que la décision de fermer les églises était un grand désastre, en particulier parce qu’elle coïncidait avec la Semaine sainte »
- George Onsy, écrivain et journaliste
George Onsy ajoute : « Personnellement, je suis entièrement d’accord avec la décision de fermer les églises et tous les lieux de culte car c’est une nécessité imposée par une épidémie qui se propage rapidement.
« En outre, je regarde généralement avec enthousiasme les orientations du pope Théodore II car en tant que partisan d’un État laïque, je suis contre cette intrusion du religieux en politique qui a été consacrée par le défunt pope Chenouda III depuis l’ère du président Sadate. »
En effet, le pope Chenouda III, qui a guidé l’Église copte orthodoxe d’Égypte pendant 41 ans (1971-2012), était connu pour être un chef à la fois spirituel et politique.
Durant sa papauté, il n’hésita pas, à plusieurs reprises, à aller sur le terrain politique pour défendre sa communauté. Il était également connu pour ses positions intransigeantes sur le dialogue avec les autres Églises et communautés chrétiennes, aussi bien en Égypte que dans le monde entier.
En revanche, Théodore II est plus enclin à limiter le rôle de l’Église à sa dimension spirituelle et à se désengager de tout rôle politique. En outre, il est plus ouvert au dialogue théologique avec les autres Églises et communautés chrétiennes.
Ainsi, les tensions au sein du clergé copte orthodoxe qui ont entouré les pourparlers pour la désignation du successeur de Chenouda III en 2012 semblent resurgir à chaque fois que le nouveau pope est confronté à une prise de décision cruciale. Des tensions désormais exacerbées par des échanges souvent violents sur les réseaux sociaux.
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