Victimes de l’explosion à Beyrouth après avoir fui la guerre : le destin tragique des Syriens réfugiés au Liban
Le 4 août devait être un jour particulier, porteur d’espoir, pour Ayman Obaeed. Après plusieurs mois de recherche, à 24 ans, le jeune réfugié syrien débutait ce jour-là comme livreur dans un restaurant de Beyrouth, près du port.
En 2016, avec plusieurs membres de sa famille, Ayman Obaeed a fui la Syrie et sa ville de Tabqa, près de Raqqa, dans le nord-est du pays. En 2011, dès le début de la guerre civile en Syrie, des milliers de civils ont fui les violences et trouvé refuge au Liban. Aujourd’hui, selon les Nations unies, ils seraient près de 1,5 million ; 70 % d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté.
Lorsque le Liban a commencé à s’enfoncer dans la crise économique il y a plusieurs mois, le jeune homme a perdu son emploi. Alors, ce petit boulot de livreur dans un restaurant devait lui permettre d’entrevoir un peu plus sereinement son avenir et celui de sa jeune épouse enceinte.
Mais, en fin d’après-midi mardi dernier, il est tué sur la route du travail par le souffle de la deuxième explosion. Son corps est retrouvé dans les décombres par ses proches.
C’est son ami Hakim qui donne l’alerte. « Ayman ne répondait plus à nos messages. Quand on est arrivé, avec son cousin, près de son travail, son corps était là, plié en deux », raconte-t-il au téléphone à Middle East Eye.
Sous le choc, Hakim filme. L’image tremble, on entend des cris, les sirènes des ambulances. C’est tout ce qu’il lui reste d’Ayman.
« Ayman était timide, très correct, il était aimé de tous. Sa femme a donné naissance à leur fille deux jours après sa mort. Elle s’appelle Wateen. Toutes les deux sont rentrées en Syrie pour l’enterrer », explique le jeune homme, la gorge nouée.
Fuir encore, mais pour aller où ?
Naoufel Fahil se trouvait, lui, dans une rue du quartier de Bourj Hammoud, à 200 mètres du port, lorsque la deuxième explosion l’a projeté en l’air. « Je n’ai rien compris à ce qui s’est passé », raconte le jeune Syrien de 22 ans à Middle East Eye.
« J’ai essayé de me relever tout seul mais je me suis évanoui. Je me suis réveillé à l’hôpital et j’ai mis du temps à réaliser ce qui s’était produit. »
« Je ne veux plus rester au Liban, mais je ne peux pas rentrer chez moi à Idleb à cause de cette guerre qui ne finit pas de déchirer mon pays. C’est notre destin maintenant à nous les Syriens. Toujours fuir »
- Naoufel Fahil, Syrien rescapé de l’explosion
Il y a quatre ans, Naoufel Fahil a fui la Syrie pour trouver au Liban une vie plus sûre. Il quittait sa ville d’Idleb pour ne plus entendre le fracas des bombes.
En fin de journée, le 4 août, il a survécu à la double explosion sur le port de Beyrouth. « Un miracle », commente-t-il.
Son corps a été lacéré de débris en tout genre. Les médecins ont retiré de ses bras, son dos, ses jambes des dizaines de morceaux de verre, des bouts de métal, des éclats de mur. Il a fallu 50 points de suture pour refermer la plaie la plus importante sur son crâne, 15 pour celle à son poignet.
Aujourd’hui, Naoufel assure qu’il va bien physiquement, mais moralement, il avoue son épuisement.
« J’ai peur de tout maintenant, j’ai peur que d’autres explosions arrivent, mais aussi que le pays vacille », confie-t-il.
« Je ne veux plus rester au Liban, mais je ne peux pas rentrer chez moi à Idleb à cause de cette guerre qui ne finit pas de déchirer mon pays. C’est notre destin maintenant à nous les Syriens. Toujours fuir. »
Avant la double explosion, Naoufel Fahil avait perdu son travail dans une boutique de vêtement en raison de la crise économique. Un petit boulot qui lui permettait de survivre à Beyrouth.
Aujourd’hui, il ne sait pas s’il lui reste une chance de retrouver un emploi. De nombreux réfugiés syriens survivent au Liban de petits travaux journaliers, sans pouvoir se construire un avenir.
« Tout le monde me dit : trouve 10 000 dollars et pars en Europe. Mais, je n’ai pas 10 000 dollars. Je ne veux plus vivre dans un pays instable. Je veux connaître ce que signifie vivre en sécurité ! »
« Personne ne se souviendra d’eux »
Officiellement, 43 Syriens ont été tués dans la double explosion mais des milliers de réfugiés syriens ne sont pas enregistrés par les autorités locales.
« Il y a des travailleurs disparus dans les décombres du port que personne ne cherche. On ne connaît même pas leurs noms »
- Hassan Abbas, chercheur à l’Institut français du Proche-Orient
Le bilan pourrait donc être bien plus lourd, comme le détaille Hassan Abbas, chercheur à l’Institut français du Proche-Orient (IFPO) et co-fondateur de l’Association des droits de l’homme en Syrie.
« De nombreux Syriens vivent dans les quartiers les plus touchés, des quartiers populaires où les loyers sont abordables pour eux. Il y a des travailleurs disparus dans les décombres du port que personne ne cherche. On ne connaît même pas leurs noms », explique-t-il à MEE.
« Ces Syriens étaient les petites mains ou les gros bras du port de Beyrouth. Les plus jeunes et plus chanceux sont étudiants ou travaillent pour des ONG. Compte tenu de la violence des explosions, ils n’avaient aucune chance de survivre, et personne ne se souviendra d’eux. »
Un avenir incertain
La communauté internationale a promis, le dimanche 9 août 2020, une aide de 250 millions d’euros aux Libanais. Avec « la plus grande transparence », précisent les donateurs. Mais les réfugiés syriens s’inquiètent. Auront-ils accès à ces aides ?
« L’aide qui va arriver en masse est destinée aux Libanais, pas aux réfugiés syriens »
- Ismaël, réfugié syrien
Ismaël a quitté la Syrie en 2014. Diplômé de sciences politique au Liban, il n’a jamais trouvé de poste correspondant à sa formation et multiplie les petits boulots. Tous sans lendemain. Depuis la catastrophe, il se retrouve à nouveau sans rien. Plus de travail et une peur terrible pour son avenir.
« La situation économique des Syriens au Liban était déjà très dure avant l’explosion. Nous allons tous être affectés par ce drame, l’aide qui va arriver en masse est destinée aux Libanais, pas aux réfugiés syriens », déplore-t-il.
« J’ai un enfant en bas âge et je ne sais pas si je vais pouvoir le nourrir correctement dans les prochaines semaines. Il a besoin de lait mais je n’ai pas d’argent pour lui en acheter. »
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