Les maisons historiques de la vieille ville de Sanaa sur le point de s’effondrer après de fortes pluies
Des mois de pluies torrentielles au Yémen ont tué plus d’une centaine de personnes et ont amené plusieurs bâtiments inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO dans la vieille ville de Sanaa au bord de l’effondrement.
Les inondations qui ont balayé les tentes et les maisons des déplacés à Sanaa et dans les provinces environnantes ont coûté la vie à au moins 131 personnes, a annoncé le ministre de la Santé publique et de la Population dans un communiqué, le 10 août.
Ce dernier précisait que 124 personnes avaient été blessées et bien d’autres étaient encore portées disparues.
Les pluies incessantes depuis avril ont endommagé des centaines de maisons, notamment de nombreuses maisons de pisé dans la vieille ville de Sanaa, lesquelles ont été construites avant le XIe siècle et sont célèbres pour leurs façades décorées.
Les toits d’environ 5 000 de ces imposants bâtiments dans la vieille ville fuient et 107 se sont partiellement effondrés, selon Aqeel Saleh Nassar, vice-directeur du Comité national pour la protection des sites historiques.
Cette institution publique demande à l’agence de protection du patrimoine de l’ONU d’intervenir rapidement pour sauver la vieille ville, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1986, décrite comme un « parfait exemple d’ensemble architectural homogène reflétant les caractéristiques spatiales des premières années de l’islam ».
« Aujourd’hui, cette cité d’importance mondiale est confrontée à une véritable catastrophe qui menace son existence », insiste l’institution.
L’UNESCO a reconnu que les dommages mettaient en danger la vie des habitants des centres historiques à travers le Yémen.
Dans un communiqué, l’agence s’est engagée à préserver le patrimoine culturel du Yémen « en se concentrant sur la réhabilitation urbaine des habitations et le renforcement des capacités des autorités locales ».
« Le projet “travail contre rémunération” financé par l’Union européenne a été conçu d’après l’état des bâtiments historiques dans quatre villes [Aden, Sanaa, Chibam et Zabid] sur une période de trois ans en se concentrant plus particulièrement sur la réparation des toits, des murs et des fondations » a-t-elle ajouté.
Comme l’exige l’inscription au patrimoine mondial, toute modification apportée aux maisons traditionnelles de la vieille ville doit être réfléchie. Sinon, elle pourrait se voir retirée de la liste de l’UNESCO, précise une source à l’Office de la culture au ministère de la Culture à Sanaa.
« Dans la vieille ville, il est interdit de restaurer les habitations avec un équivalent moderne car il s’agit d’une partie de l’histoire du Yémen dans son ensemble, plus que du destin d’une personne », explique la source qui préfère rester anonyme car elle n’est pas autorisée à s’exprimer dans les médias.
Cette dernière a reconnu qu’en raison de la situation désespérée sur le terrain, certains habitants donnent la priorité à la construction d’abris plutôt qu’à la préservation du patrimoine de la ville.
« Je sais que les gens souffrent et qu’ils sont confrontés à l’horreur en voyant leur maison s’effondrer sans personne pour les aider. Mais nous avons fait appel à l’UNESCO et nous espérons une réaction rapide. »
Les autorités préfèrent ne rien entreprendre dans la vieille ville jusqu’à l’intervention de l’UNESCO afin que tout soit exécuté sous la supervision de l’agence, selon notre source.
À travers la vieille ville, les habitants essaient de réparer leurs maisons sans l’aide des autorités, conscients que tout changement structurel à l’architecture historique pourrait faire perdre à la ville son statut convoité de patrimoine mondial de l’UNESCO.
« Des jours bien sombres »
Ces maisons de plusieurs étages, construite en gypse (roche utilisée dans de nombreuses formes de plâtre) et en briques en terre cuite, sont habitées depuis plus de 2 500 ans.
Pour préserver un tel patrimoine, les habitants ont renforcé leur maison avec de la boue pour les murs, du bois pour le toit et des bâches pour les protéger des éléments.
« Nous sommes fiers d’habiter cette ville historique, où vous pouvez trouver à la fois de bonnes personnes et une longue histoire », affirme Ahmed Sanhani à Middle East Eye.
« Mais comme vous pouvez le voir, la vieille ville connaît des jours bien sombres, avec les pluies qui ne cessent d’endommager les vieilles maisons, et il n’y a rien que nous puissions faire pour arrêter ça. »
Dans certains quartiers, les forces de sécurité sont là pour prévenir les gens de ne pas s’approcher des maisons endommagées, lesquelles pourraient s’effondrer soudainement.
« Nous mettons la sécurité avant tout, alors les occupants des maisons affectées ont quitté leurs maisons en cas d’effondrement », indique Ahmed Sanhani.
Il fait appel à l’UNESCO pour restaurer les vieilles maisons qui ne peuvent supporter les fortes pluies, car ils ne peuvent pas les réparer ou les reconstruire avec des matériaux modernes tels que du ciment et des pierres.
Facteur aggravant, la guerre civile et la crise économique au Yémen ont laissé de nombreuses personnes sans la moindre source de revenu. En l’absence d’aide, de nombreux habitants ne seront pas en mesure, selon lui, de rebâtir leur maison.
« Nous voulons préserver notre histoire et nous croyons en elle, alors nous demandons aux différentes organisations internationales d’intervenir et de nous aider », poursuit-il. « Sinon, de nombreuses personnes dans la vieille ville se retrouveront sans abri. »
« Certains avaient démoli leurs maisons ces dernières années et avaient bâti illégalement des demeures modernes. À l’époque, nous le leur avions reproché mais aujourd’hui nous pensons qu’ils ont fait ce qu’il fallait. J’espère que l’UNESCO interviendra avant que d’autres personnes perdent leurs maisons ou meurent sous leurs ruines. »
Un patrimoine négligé
Depuis le début de la guerre au Yémen en 2015, Sanaa a connu son lot de pertes humaines ainsi que des dommages irréversibles à ses monuments historiques.
Le conflit, qui a fait plus de 100 000 morts, a également anéanti le secteur touristique du pays.
« Avant la guerre, les touristes venaient visiter chaque jour la vieille ville. Mais aujourd’hui, nous passons plusieurs mois sans voir le moindre étranger », explique à MEE Essam Ghailan, un commerçant de la vieille ville.
« Avant la guerre, les autorités et les organisations internationales auraient fait un effort pour restaurer les vieilles maisons dans les quartiers historiques », continue-t-il. Mais cette époque est révolue et il craint que d’autres bâtiments ne s’effondrent dans un futur proche.
Selon les autorités, les constructions illégales sur les cours d’eau, une mauvaise gestion de l’urbanisme et des années de manque d’entretien exacerbent les destructions dues aux fortes pluies dans la vieille ville.
Le commerçant se remémore l’époque où les touristes du monde entier venaient visiter la vieille ville, prenaient des photos et achetaient des antiquités. Mais après 2015, ils ont cessé de venir en raison d’inquiétudes pour la sécurité et, aujourd’hui, il ne voit que quelques visiteurs yéménites occasionnellement.
L’absence de revenu fixe, ainsi que l’insalubrité des logements, incitent certains habitants à quitter la vieille ville.
« Ils ne veulent pas vivre dans de vieilles maisons qui pourraient s’effondrer sur eux à tout instant », résume Essam Ghailan.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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