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Alger veut récupérer l’argent des oligarques à l’étranger

L’Algérie a sollicité la France pour l’aider à localiser et rapatrier les fortunes des ex-puissants hommes d’affaires en prison pour corruption
Un Algérien agite des billets de banque alors qu’une foule attend à l’entrée du tribunal, à Alger le 2 décembre 2019, avant l’ouverture d’un procès pour corruption d’anciennes personnalités politiques et économiques (AFP)
Un Algérien agite des billets de banque alors qu’une foule attend à l’entrée du tribunal, à Alger le 2 décembre 2019, avant l’ouverture d’un procès pour corruption d’anciennes personnalités politiques et économiques (AFP)
Par MEE

La justice algérienne a demandé une aide judiciaire à la France afin d’établir le patrimoine réel d’une dizaine de ses ressortissants, selon l’hebdomadaire français Le Point

« Les informations demandées sont bien plus larges que les aspects fiscaux », indique-t-on à Paris. « Si l’identité des cibles n’a pas été divulguée, il s’agit, selon nos informations, de personnalités liées à l’ancien régime de Bouteflika. Une centaine de personnes pourraient être visées », poursuit Le Point.

Depuis le printemps 2019, en parallèle du hirak, le mouvement populaire qui a fait tomber le système Bouteflika, empêchant ce dernier de rempiler pour un cinquième mandat, arrestations et procès de puissants hommes d’affaires proches du cercle présidentiel, aussi appelés oligarques, ainsi que de leur complices dans les plus hautes sphères de l’État se sont multipliés.  

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En prenant ses fonction à la mi-décembre 2019, le président algérien Abdelmadjid Tebboune s’est engagé à récupérer l’argent que ces oligarques avait transféré à l’étranger.  

« J’attends le feu vert de la justice, qui n’a pas encore statué sur les dossiers ni sur les montants pillés. Les fonds détournés sont cachés ici [en Algérie] mais aussi à l’étranger, à Genève et dans des paradis fiscaux. Une fois que le verdict sera rendu par la justice, nous allons récupérer cet argent », avait déclaré le chef de l’État à la presse en janvier 2020.  

« Nous allons mettre en place des outils juridiques, en collaboration avec des avocats algériens ou étrangers, mais également par l’activation des conventions et des accords conclus avec les pays étrangers », avait-il précisé.

« Dans tout les cas, l’argent sera récupéré. Il se peut qu’il y ait [à l’avenir] des accords entre la justice [et les accusés], des remises de peine ou des négociations si ces derniers acceptent de rendre 50 % du montant. C’est entre eux et la justice, moi je ne le refuserai pas. »

Pour le quotidien algérien El Watan, « avant même le hirak et la démission de Abdelaziz Bouteflika, des informations ont filtré sur l’inclination de quelques ténors de la nomenklatura algérienne pour les résidences de luxe en France. Selon les statistiques des notaires de Paris, entre 2010 et 2014, ‘‘près d’un bien sur dix (appartement ou maison) acquis en Ile-de-France par un étranger l’est par un Algérien’’ ».

« La somme d’argent que l’Algérie tente de récupérer de l’étranger a été évaluée à plus de trois milliards d’euros, apprend-on auprès de sources proches du dossier », a révélé le journal Le Soir d’Algérie le 1er septembre.  

« Cet argent a servi à l’achat de biens immobiliers, considérables pour certains, à louer des jets privés, à entretenir un train de vie luxueux qui a intéressé plusieurs médias internationaux, et qui a servi aussi à garder toujours pleins des comptes en banque que ces corrompus ont ouverts en leurs noms et ceux de leurs proches », poursuit le quotidien algérois.  

« L’Algérie n’est pas démunie en informations relatives à l’ampleur de leur patrimoine dans plusieurs pays, puisque des commissions rogatoires ont été dépêchées pendant près d’une année. »

« Ils se trouvent en prison et leurs millions de dollars sont distribués à l’étranger. Qui a donné les ordres ? Qui a permis à ces millions de dollars de sortir ? »

- Abdelmadjid Tebboune, le président algérien

Ces commissions ont enquêté et dressé une liste transmise par la suite à la justice. « Les comptes bancaires des mis en cause sont en grande partie connus mais Alger, apprend-on là aussi, a entrepris tout récemment des démarches visant à obtenir leur blocage. » 

Le journal cite encore l’affaire de « Madame Maya », la fille prétendue d’Abdelaziz Bouteflika, qui aurait transféré en Espagne 1,5 million d’euros, ou encore les frères Kouninef, businessmen proches du frère du président déchu, Saïd Bouteflika, aujourd'hui incarcérés, qui auraient transféré à l’étranger 500 000 dollars.

Entre 2017 et 2019, Mahieddine Tahkout (ex-patron de plusieurs entreprises, actuellement en prison) aurait, selon le quotidien, transferé presque 1,2 milliard de dollars et plus de 890 000 euros.

Mourad Eulmi, ancien représentant de Sovac (concessionnaire Volkswagen, en prison) en Algérie, se serait acheté huit maisons, parmi lesquelles plusieurs manoirs, dans des villes et quartiers français huppés (Paris, Neuilly-sur-Seine, ou encore Saint-Tropez) pour une somme de presque 25 millions d’euros…, énumère Le Soir d’Algérie.

Haddad et la firme de lobbying américain

Cette demande algérienne aux autorités françaises semble également être motivée par une récente affaire.

Les autorités algériennes ont été outrées par le fait que l’ex-patron des patrons, Ali Haddad – incarcéré depuis mars 2019 et condamné en juillet 2020 à dix-huit ans de prison ferme pour corruption – ait pu, via un avocat à l’étranger, engager une firme de lobbying américain, Sonoran Policy Group, déboursant dix millions de dollars, pour obtenir une libération.

« Ils se trouvent en prison et leurs millions de dollars sont distribués à l’étranger. Qui a donné les ordres ? Qui a permis à ces millions de dollars de sortir ? Le peuple doit tout savoir ! », avait réagi le président Tebboune. Le parquet général de la cour d’Alger a ouvert une enquête sur cette affaire.

Les biens en Algérie des membres de la famille Haddad ont été saisis et leurs comptes bancaires gelés. 

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Les saisies de biens qui ont touché plusieurs autres ex-puissants hommes d’affaires auraient, selon le quotidien Echourouk, poussé les proches de ces derniers à accélérer la liquidation de leurs avoirs en Algérie, citant des enquêteurs qui ont suivi les reventes d’usines ou encore le déménagement de biens des résidences saisies.  

Mais El Watan nuance les efforts d’Alger pour récupérer l’argent à l’étranger. Une source de la délégation de l’Union européenne à Alger confie ainsi que cette démarche s’avère « extrêmement difficile ».

« Les États n’ont certainement pas la mainmise pour prélever [...] les comptes des personnes et transférer l’argent », explique-t-elle. « Le cas de la Tunisie, à l’issue du Printemps arabe en janvier 2011, a été d’ailleurs évoqué comme exemple où le plan de rapatriement était quasiment impossible à mettre en place. »

« Cette capacité opérationnelle de pouvoir saisir un compte, de pouvoir obtenir un rapatriement de celui qui était clairement identifié, requiert de grands moyens, une expérience, une formation et une spécialisation », résume-t-elle. 

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