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La liberté d’expression en France doit également s’étendre aux détracteurs de Macron

Le retrait de deux articles critiquant le discours du président français à l’égard des musulmans soulève des questions concernant son propre engagement envers les valeurs qu’il prétend défendre
Le président français Emmanuel Macron lors du défilé du 14 juillet, à Paris, en 2019 (Reuters)
Le président français Emmanuel Macron lors du défilé du 14 juillet, à Paris, en 2019 (Reuters)

La semaine dernière, le président français Emmanuel Macron a donné une interview à la chaîne de télévision Al Jazeera, affirmant qu’il comprenait et respectait le trouble causé dans le monde musulman par la publication de caricatures insultantes du prophète Mohammed.

Cependant, il a insisté sur le fait qu’il défendrait toujours « la liberté d’écrire, de penser et de dessiner ».

C’est une position de principe, une position qui a valu à Macron de la sympathie à travers le monde, d’autant plus au lendemain des atrocités commises en France au cours des trois dernières semaines.

Mais est-ce que le principe de liberté d’expression est aussi absolu que l’affirme Macron ? Je commence à me le demander. Deux épisodes troublants se sont produits ces derniers jours lors desquels des détracteurs du président français ont été réduits au silence.

L’un d’eux concerne le respecté média Politico Europe. L’autre concerne le vénérable quotidien britannique Financial Times.

La semaine dernière, Politico a approché Farhad Khosrokhavar, ancien professeur de sociologie à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) à Paris, pour écrire en réaction aux récentes attaques en France.

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Son article remettait en cause l’analyse d’Emmanuel Macron. Khosrokhavar se demandait pourquoi la France subissait davantage d’attentats d’inspiration djihadiste que ses voisins européens.

Il suggérait ensuite que cela était dû à « la laïcité extrême à la française et son attachement au blasphème, lequel alimente le radicalisme au sein d’une minorité marginalisée ».

Cet article a été publié sur le site de Politico le 31 octobre. Un certain nombre d’observateurs, dont un journaliste de Politico, se sont montrés critiques envers ce texte, le qualifiant d’exemple de « culpabilisation des victimes ». 

Peu après la publication, l’article a été supprimé. En lieu et place a été publiée une « Note du rédacteur en chef », Stephen Brown, indiquant que cet article avait été retiré car il « ne satisfai[sait] pas aux normes éditoriales [de Politico] ».

Le 2 novembre, Politico a publié une réponse de Gabriel Attal, ministre et porte-parole du gouvernement français.

Attal écrivait que l’article de Khosrokhavar « cherchait à imputer ces événements tragiques à la laïcité française », ce que le ministre a qualifié d’« insulte pour ceux qui sont morts et d’impensable inversion des rôles entre les assaillants et les victimes ».

Plaintes de censure

Farhad Khosrokhavar s’est ensuite lancé dans une violente diatribe, accusant Politico de censure – une accusation rejetée par Stephen Brown.

Quelques jours plus tard, le Financial Times a publié un article intitulé « Macron’s war on ‘Islamic separatism’ only divides France further » de sa correspondante à Bruxelles, Mehreen Khan.

Dans cet article, Khan accusait le gouvernement de Macron d’avoir choisi d’« attiser la panique morale à propos de la “question musulmane” ».

Elle estimait par ailleurs que Macron avait « choisi une stratégie qui dessert l’extrême droite et ses ambitions électorales ».

L’article de Khan est resté pendant quelques heures avant d’être supprimé, le journal expliquant qu’il avait été retiré « après qu’il était apparu qu’il contenait des erreurs factuelles ».

L’une des erreurs concernait l’affirmation de Khan selon laquelle « aucune femme voilée n’a perpétré d’attentat terroriste en France. » C’est faux.

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L’article déformait en outre les propos de Macron, parlant de « séparatisme islamique » au lieu de « séparatisme islamiste ».

Au lieu de laisser l’article en ligne avec les corrections nécessaires, ce qui aurait été la procédure normale, le Financial Times a pris la décision de le retirer dans son intégralité.

Il convient de noter que le Financial Times n’était pas la seule publication à avoir cité erronément Macron. Ce fut également le cas du Wall Street Journal et de The Spectator

Un autre article d’Associated Press reprenait la même citation, bien qu’il faisait référence à un précédent discours du président français.

Une une du Guardian comportait la même citation avant d’être corrigée, sans être retiré intégralement.

Deux jours après avoir retiré l’article de Mehreen Khan, le Financial Times a accordé au gouvernement français un droit de réponse. Cette fois, ce ne fut pas un porte-parole, comme pour Politico, qui prit la plume. Ce fut le président français lui-même.

Dans une dénonciation altière gratifiée d’un large espace sur la page du courrier des lecteurs, Emmanuel Macron a déclaré avoir été « mal cité », ajoutant que l’article « [l]’accusait de stigmatiser les musulmans français à des fins électorales et de favoriser un climat de peur et de suspicion à leur égard ».

« Ne nourrissons pas l’ignorance, en déformant les paroles d’un chef d’État », a-t-il écrit.

Incompétence éditoriale

Les cas de Politico et du Financial Times sont très similaires.

Dans chaque cas, l’auteur a écrit un article critiquant les politiques du gouvernement français. Dans chaque cas, le gouvernement s’est vu accordé un droit de réponse. Et dans chaque cas, les lecteurs n’ont pas pu suivre le débat car les articles originaux avaient été retirés au moment de la publication de la réponse.

Lorsque je me suis entretenu avec Stephen Brown, le rédacteur en chef de Politico, à ce sujet, il m’a déclaré : « Si un article ne satisfait pas aux normes de publication, alors il doit être retiré. »

Lorsque je lui ai demandé quelles étaient les normes éditoriales auxquelles cet article n’avait pas satisfait, Brown a répondu : « L’article aurait dû contenir une clarification indiquant que ces arguments ne constituaient pas une justification de la violence ».

« Le processus éditorial n’a pas satisfait à nos normes. Nous sommes en train de passer en revue notre processus éditorial », a-t-il ajouté.

« Je n’ai reçu aucune critique ou plainte officielle quelle qu’elle soit de la part du gouvernement français. Nous les avons invités à rédiger une réfutation de cet article, laquelle a ensuite été publiée comme une tribune libre », a précisé le rédacteur en chef de Politico.

Lorsque j’ai contacté le Financial Times à propos de l’article de Mehreen Khan, j’ai reçu la déclaration suivante :

« Le 2 novembre, nous avons supprimé un article d’opinion publié brièvement sur FT.com lorsque nous avons découvert des inexactitudes factuelles qui auraient dû être repérées lors du processus éditorial. Puisqu’une citation d’Emmanuel Macron avait été mal traduite, nous avons bien entendu proposé au président français un droit de réponse. Nous avons publié sa lettre dans le Financial Times.

« Le Financial Times publie un large éventail de voix et d’opinions. Nos lecteurs du monde entier apprécient l’indépendance et la qualité de notre journalisme et notre perspective internationale. La suppression de cet article n’avait rien à voir avec les opinions exprimées par son auteure, qui est journaliste au Financial Times. »

Le Financial Times et Politico attribuent cette situation à une incompétence éditoriale qui a abouti à la suppression de deux articles.

Ce n’est pas ce que tout le monde pense. Bruno Macaes, ancien ministre aux Affaires européennes du Portugal et chercheur au think tank Hudson Institute, prétend que le bureau du président Macron « s’est fendu d’un coup de téléphone furieux au Financial Times ».

Il affirme avoir entendu dire que cet appel avait été passé dans l’intention d’obtenir la suppression de cet article « mais que la question ne s’est jamais posée car cet article allait être supprimé de toute façon ».

Politico et le Financial Times démentent véhément avoir supprimé ces articles sous la pression des autorités françaises.

Nous devons croire ces médias sur parole. Les rédacteurs font des erreurs.

Cependant, il est frappant que le Financial Times ait accordé plus de latitude à Macron qu’à sa propre journaliste, Mehreen Khan.

La lettre de Macron contient ses propres inexactitudes – et elles sont très graves. La plus sérieuse d’entre elles est sa description de « quartiers où des petites filles de 3 ou 4 ans portent le voile intégral, sont séparées des garçons et, dès le plus jeune âge, sont mises à part du reste de la société, élevées dans un projet de haine des valeurs de la France ».

Middle East Eye a demandé à l’Élysée et au Financial Times de fournir des éléments pour étayer cette allégation : aucun n’a été en mesure de le faire.

Marwan Muhammad, cofondateur de la plateforme L.E.S Musulmans, a déclaré à MEE : « J’ai beaucoup voyagé en France et visité des centaines de communautés musulmanes locales et je n’ai jamais vu ce qu’a décrit le président Macron – des quartiers où des filles de trois ans porte le niqab, vivant séparées de leurs frères. Et cela n’apparaît dans aucune étude sociologique ou de terrain. »

D’ailleurs, cette allégation de Macron a engendré des accusations de « fake news » de la part de ses détracteurs.

Il n’y a pas que ces faits qui sont remis en cause. Il y a le ton. Le président français a décrit un « terreau des vocations terroristes » en France.

Cette terminologie déshumanisante – qui fait écho aux sinistres discours du président américain Donald Trump – ressemble davantage au langage de l’extrême droite qu’à celui du respectable président d’une démocratie libérale occidentale.

Bien entendu, les journaux ne sont pas responsables des déclarations faites par des chefs d’États étrangers dans leurs tribunes. Néanmoins, lorsque j’ai demandé au Financial Times s’il comptait informer ses lecteurs qu’il y avait des doutes concernant les déclarations de Macron, on m’a répondu que ce n’était absolument pas à l’ordre du jour.

Emmanuel Macron affirme être un fervent défenseur de la liberté d’expression. Toutefois, le président français semble être confronté à des détracteurs qui présentent leur point de vue dans le domaine public, où Macron peut les récuser.

Il a écrit dans sa tribune : « Je ne laisserai personne affirmer que la France, son État, cultive le racisme vis-à-vis des musulmans. »

Mais de nombreux Français – pas uniquement musulmans – ont l’impression que c’est exactement ce qu’il fait. Et ils ont entièrement le droit d’exprimer ce sentiment – Macron avait justement insisté là-dessus dans son interview à Al Jazeera.

- Peter Oborne a été élu meilleur commentateur/blogueur en 2017 et désigné journaliste indépendant de l’année 2016 à l’occasion des Online Media Awards pour un article qu’il a rédigé pour Middle East Eye. Il a reçu le prix de Chroniqueur britannique de l’année lors des British Press Awards de 2013. En 2015, il a démissionné de son poste de chroniqueur politique du quotidien The Daily Telegraph. Parmi ses ouvrages figurent Le Triomphe de la classe politique anglaise, The Rise of Political Lying et Why the West is Wrong about Nuclear Iran.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Peter Oborne won best commentary/blogging in both 2022 and 2017, and was also named freelancer of the year in 2016 at the Drum Online Media Awards for articles he wrote for Middle East Eye. He was also named as British Press Awards Columnist of the Year in 2013. He resigned as chief political columnist of the Daily Telegraph in 2015. His latest book is The Fate of Abraham: Why the West is Wrong about Islam, published in May by Simon & Schuster. His previous books include The Triumph of the Political Class, The Rise of Political Lying, Why the West is Wrong about Nuclear Iran and The Assault on Truth: Boris Johnson, Donald Trump and the Emergence of a New Moral Barbarism.
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