Sahara occidental : scènes de vie sur la route de la Mauritanie
Trois motels, trois cafés, deux stations-services, trois épiceries et un coiffeur… Dans le hameau poussiéreux de Guerguerat, à l’extrême sud du Sahara occidental, toute la vie tourne autour de la frontière avec la Mauritanie, sur la seule route reliant le Maroc et l’Afrique de l’Ouest.
« Il n’y a rien d’autre ici », souligne l’épicier le plus prospère de Guerguerat, le Marocain Aziz Boulidane.
Cet homme entreprenant a aménagé une petite terrasse devant sa boutique pour servir des cafés aux routiers et aux voyageurs de passage, à proximité de la douane marocaine qui contrôle les poids lourds en transit.
C’est ce point frontalier, situé au cœur d’une zone désertique aride et caillouteuse, proche du littoral atlantique, qui a récemment cristallisé les tensions entre le Maroc et les indépendantistes du Front Polisario, nouvel épisode d’un long conflit sur le devenir de l’ancienne colonie espagnole du Sahara occidental.
L’armée marocaine s’est déployée le 13 novembre dans la zone-tampon contrôlée par l’ONU pour « sécuriser » un passage crucial pour le commerce. Un groupe de militants indépendantistes sahraouis bloquaient depuis environ trois semaines la route construite, selon eux, en violation de l’accord de cessez-le-feu de 1991 signé sous l’égide de l’ONU après quinze ans de combat.
Depuis, le Maroc a conforté ses positions sur le terrain en protégeant le passage par un mur de sable surveillé par les militaires et en terrassant le dernier tronçon de route qui se réduit à un entrelacs de pistes de sable.
L’opération a été menée « dans l’intérêt de l’Afrique, du Maroc et des pays du Nord », a assuré le Premier ministre marocain, Saadeddine el-Othmani, qui s’est rendu sur place pour la première fois vendredi, en même temps qu’une délégation d’hommes politiques.
« Le poste-frontière a un important poids économique et génère d’importants revenus », explique El Fekir Khattat, un élu municipal qui décrit fièrement sa région comme « la porte du Maroc sur l’Afrique ».
« Un point stratégique »
L’intervention de l’armée marocaine « va renforcer l’attractivité économique », dit-il.
L’élu table sur la construction de deux zones industrielles « pour valoriser l’activité commerciale » générée par la route et pour « créer de l’emploi » dans cette région désertique et peu peuplée.
Rabat a déjà mené plusieurs grands chantiers dans ce territoire riche en eaux poissonneuses et en gisements de phosphate.
Le Front Polisario, lui, dénonce « le pillage des ressources naturelles appartenant au peuple sahraoui ».
C’est en 2017, année de la réintégration du Maroc dans l’Union africaine, que le roi Mohammed VI débloque sept milliards d’euros d’investissements pour transformer cette partie du Sahara en « hub économique ».
Deux des projets, représentant chacun une enveloppe de près d’un milliard d’euros, concernent l’aménagement d’une « voie express » nord-sud sur un millier de km et la transformation du port de Dakhla en « hub maritime régional », pour desservir le nord du Maroc, les ports de l’ouest africain et les Canaries.
Daouda Sene, le gérant de l’hôtel Barbas, le plus vieil établissement de la région de Guerguerat, se flatte de travailler dans « un point stratégique sur le plan international ».
« C’est par là que passent tous les Européens et tous les Africains qui veulent partir en Afrique de l’Ouest », souligne le Sénégalais de 46 ans qui a été recruté il y a quelques mois pour « améliorer l’image et le niveau » du motel, situé à Bir Gandouz, à 80 km au nord de la frontière.
En temps normal, son établissement accueille « toutes les nationalités » : Maliens, Sénégalais, Ivoiriens, Mauritaniens, Gambiens, Marocains, pour ce qui concerne le transport et le commerce ; Français, Espagnols, Portugais ou Chinois pour les voyages de loisirs, le tourisme ou la pêche.
Mais ces derniers mois, l’activité a pâti de la fermeture des frontières liée à la pandémie de COVID-19, puis des blocages du Front Polisario sur la route.
« Avant, l’hôtel marchait bien, mais le chiffre d’affaires a baissé », regrette le gérant. Il reste cependant persuadé que le bourg de Bir Gandouz, qui compte actuellement un millier d’âmes, deviendra un jour un grand centre touristique et commercial, « plus grand que le port de Dakhla ».
Actuellement, quelque 200 camions empruntent quotidiennement la « Nationale 1 » que traversent parfois des dromadaires élevés librement dans le désert.
Par Fadel Senna et Hicham Rafih
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