Tunisie : de l’immolation de Bouazizi à la présidence de Saied, dix ans de transition démocratique
Tunisie : la fuite de Ben Ali racontée par son pilote
16 h, vendredi 14 janvier 2011. La chute du président tunisien Ben Ali est actée mais personne ne le sait encore. La télévision annonce que Zine el-Abidine Ben Ali a décidé de la tenue d’élections législatives libres d’ici à six mois alors que des manifestations monstres ont lieu ce jour-là.
Une fois le départ connu, de nombreuses rumeurs se sont propagées : Ben Ali aurait demandé à s’exiler en France, ce qui lui aurait été refusé. Une autre rumeur prétendait que l’avion allait faire une escale à Malte le temps de chercher une protection auprès de Kadhafi. Une autre encore disait qu’il se réfugierait seulement à Djerba pour fuir la pression populaire à Tunis.
Mahmoud Cheikhrouhou, le pilote de l’avion dans lequel s’est enfui le président tunisien Ben Ali raconte à MEE les détails de cette journée historique.
Avait-il conscience de ce qui était en train d’arriver ce jour-là ? « Il faut savoir prendre des décisions rapides dans ces situations », confie-t-il. « C’est ce qui a été fait. »
La parole est aux victimes de la dictature tunisienne
Manel Abrougui offre un magnifique sourire qui cache les horreurs entendues qu’elle ne parvient pas à oublier. Depuis un an et demi, cette doctorante en sociologie travaille au sein de l’Instance vérité et dignité (IVD), organe créé fin 2013 pour s’occuper du processus de justice transitionnelle et mettre en lumière les abus de la dictature tunisienne.
Lors d’auditions à huis clos, la jeune femme de 29 ans a écouté entre 800 et 1 000 personnes – elle ne sait plus très bien – raconter les exactions commises ou subies pendant la dictature. Alors que les premières audiences publiques marquant la fin de l’instruction des dossiers débutent ce jeudi, Manel Abrougui, elle, a cessé les auditions privées et changé de service. Trop dur.
Tunisie : comment réconcilier le passé avec l’avenir ?
« Ce que nous faisons à l’IVD n’est pas une amnistie générale, mais au cas par cas, suite à un processus de définition des responsabilités avec l’objectif final de garantir la non-répétition [des violations des droits] », affirme Sihem Bensedrine. Pour elle, ce n’est pas tant la clémence qui sera accordée aux hommes d’affaires qui pose problème, mais le processus de réforme des institutions à venir.
Redeyef, ou l’espoir déçu de la Tunisie des marges
Le destin de ces populations négligées est similaire à celui de l’« homme à l’âne » dont parle la légende d’Abu Yazid. Pendant le règne fatimide, ce leader charismatique était parti avec son âne de la région de Djerid (Tozeur) pour conquérir la capitale. Mais arrivé à ses portes, il fut arrêté et tué par le calife al-Mansur.
De même, pendant la révolution, les populations du sud ont traversé le pays pour « conquérir » Tunis et imposer un nouvel agenda politique. Or, aujourd’hui, elles ont l’impression d’avoir été une fois de plus oubliées et mises à l’écart.
Qu’est-ce qui pousse certains étudiants tunisiens à la radicalisation ?
En 2011, à la suite du soulèvement en Tunisie et du renversement du président Zine el-Abidine Ben Ali, il a été estimé que 3 000 jeunes Tunisiens avaient quitté le pays pour combattre en Syrie et en Irak, faisant des Tunisiens le plus grand groupe de combattants étrangers dans les rangs de l’État islamique (EI).
Cette tendance a laissé perplexes les observateurs : pourquoi les jeunes de ce pays fréquemment décrit comme « le seul succès des Printemps arabes » ont-ils rejoint en masse les champs de bataille à l’étranger ?
Assez de la « Révolution de jasmin »
La difficile période postrévolutionnaire a été marquée par une économie morose et de multiples actes de terrorisme, notamment l’assassinat d’élus, des attentats contre le personnel militaire et la garde présidentielle et des fusillades ciblant les touristes au musée du Bardo et dans une station balnéaire de Sousse.
Plus récemment, les militants du groupe État islamique (EI) n’ont pas réussi à s’emparer de la ville frontalière de Ben Guerdane. Si le terrorisme n’est pas éradiqué, il pourrait compromettre tout ce que la Tunisie a réalisé à ce jour et pourrait très bien porter atteinte à l’avenir du pays.
La jeune génération tunisienne révolutionne le féminisme
« Il y a encore des clichés et une pression sociale autour de la femme tunisienne à déconstruire », déclare Hajer Boujemaa, membre de Chaml, un collectif de femmes.
L’image de la femme tunisienne a aussi été galvaudée par Leïla Ben Ali, qui a laissé sa marque dans la vision de la femme et du féminisme en Tunisie. Le stéréotype de la coiffeuse arriviste, manipulatrice et matérialiste a été entretenu par certains dans le contexte post-révolution pour mieux rejeter la culpabilité de la chute du régime sur la femme du dictateur déchu et son clan familial plutôt que sur Zine el-Abidine Ben Ali lui-même.
Le casse-tête tunisien : compromis ou changement radical ?
Est-il possible de maintenir une transition démocratique soutenue et pacifique tout en entreprenant des réformes radicales ? Les Tunisiens apprécient clairement les acquis démocratiques qu’ils ont obtenus ; l’enquête réalisée en 2016 par Arab Barometer a révélé que 86 % des Tunisiens pensent que la démocratie est le meilleur système de gouvernance en dépit de ses problèmes.
Après la transition politique, la Tunisie face au défi économique
« L’économie n’a pas été considérée comme une priorité par les différents gouvernements depuis 2011. Nous avons donc connu une dégradation. Au final, les causes de la révolution, née de revendications économiques et sociales, se sont aggravées », constate, pour Middle East Eye, Ridha Meddeb, PDG du groupe Comete et ancien membre du conseil de la Banque centrale de Tunisie. Preuves en sont, les mouvements sociaux qui se multiplient.
Tunisie : pourquoi le tourisme ne fait plus recette
En Tunisie, le tourisme a toujours a joué le rôle de vitrine pour le pouvoir politique. Entre le financement bancaire et les incitations fiscales, il se trouve être l’un des secteurs d’activité les plus soutenus par l’État tunisien. Malgré ces efforts, sa contribution à l’économie nationale reste mitigée.
Pour l’économiste Jamel Aouididi, les ressources allouées au secteur touristique n’ont pas donné les résultats escomptés : « Si on examine la répartition de la valeur ajoutée dans le PIB de la Tunisie, un indicateur qui aide à estimer convenablement l’apport de chaque secteur, on constate que la contribution du tourisme n’a pas dépassé les 5 % du PIB ».
Béji Caïd Essebsi, une présidence empêchée
Quelques mois avant la fin de son mandat présidentiel, le président tunisien Béji Caïd Essebsi, 92 ans, est décédé le 25 juillet 2019.
À l’heure du bilan, on pourra retenir la sagesse d’un chef qui aura stabilisé son pays dans une période et une géopolitique tumultueuses, manœuvré une classe politique en partie immature, amené, en l’insérant dans le jeu du pouvoir, Ennahdha à se normaliser.
Mais au-delà, à quoi aura servi tant d’habileté politique ? Quelle œuvre solide le successeur de Bourguiba lègue-t-il ? Une famille politique déchirée, sans identité ni projet, aucune grande réforme économique ou sociale transformatrice, aucun renouvellement de la relation entre l’État et les citoyens, une transition constitutionnelle inachevée.
Un an après son élection, la promesse suspendue de Kais Saied
Accéder à la présidence de la République a placé Kais Saied entre deux temporalités : celle du temps long des transformations tectoniques qu’il a captées – notamment l’entrée en politique d’une nouvelle masse d’électeurs, la stérilité de la querelle entre « modernistes » et islamistes, la demande de renégociation du pacte social… – et celle du temps court de la vie des institutions et de ses tactiques.
Toute la difficulté pour lui est de faire communiquer les deux. Dans cet exercice difficile, il a montré ses limites.
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