EN IMAGES : Voyage dans la topographie intime de Mohammed Dib
Tlemcen ou les lieux de l’écriture est la réédition, par les éditions Barzakh à Alger et Images plurielles à Marseille, d’un projet datant de 1993 et édité en 1994 par les éditions La Revue Noire à Paris. (Mohammed Dib, avec l’aimable autorisation de l’éditeur)
On y découvre une autre facette du grand écrivain algérien Mohammed Dib (1920-2003) : un jeune photographe qui, à 26 ans, raconte par l’image sa ville, Tlemcen, sa famille, ses lieux d’enfance, sources de son inspiration pour la construction de son immense œuvre. (Mohammed Dib, avec l’aimable autorisation de l’éditeur)
« Mohammed Dib est, a priori, l’un des premiers Algériens à avoir capté la réalité des siens à cette époque », écrivent les éditeurs de Barzakh dans la présentation de cet ouvrage paru cet automne, dont des textes de Dib accompagnent ses photos. (Mohammed Dib, avec l’aimable autorisation de l’éditeur)
« Dans ce livre, c’est un Dib-enfant qui fixe les moments ressentis, et qui capte les moments enfuis. Il veut être présent dans un monde d’adultes, il veut y accéder si vite qu’il en oublie son enfance. Ce patio répond au désir enfoui de Dib-enfant, celui de posséder un espace d’écriture, non pour devenir écrivain, mais pour sentir seulement qu’il existe, qu’il est libre », écrit, dans la préface, l’auteur algérien et ami de Dib Wassiny Laredj. (Mohammed Dib, avec l’aimable autorisation de l’éditeur)
En effet, en parlant de ce lieu, le wast-dar (patio), Dib se rappelle : « Je m’établissais dans un angle pour me livrer à mes exercices d’écriture et, dans mon souvenir, la saison s’y prêtait à longueur d’année, ce qui ne se peut pas : en hiver, pluies, froids et neiges ensemble nous valent à Tlemcen des journées sibériennes. Il n’empêche : c’est ainsi que je me rappelle les choses. Ou bien écrivais-je seulement par beau temps ? Je n’en serais pas étonné. » (Mohammed Dib, avec l’aimable autorisation de l’éditeur)
« Dib fait du Médresse [un quartier de Tlemcen], disparu à jamais, avec ses portes et ses remparts, un lieu prolifique de l’écriture. Il lui redonne vie, le reconstruit à l’aide des matériaux qui défient l’éphémère : les Mots. Le Médresse n’a plus d’existence désormais que dans l’œuvre dibienne, palpitante. Des scènes du Métier à tisser et de Qui se souvient de la mer se situent dans ce quartier », précise l’écrivain Wassiny Laredj. (Mohammed Dib, avec l’aimable autorisation de l’éditeur)
D’autres lieux du souvenir dibien jaillissent des clichés en noir et blanc, comme le mausolée d’Abou Madyan, saint patron de Tlemcen, construit par le souverain almohade Mohammed al-Nasir ben al-Mansour au début du XIIIe siècle. (Mohammed Dib, avec l’aimable autorisation de l’éditeur)
« La légende rapporte que quand il enseignait, les oiseaux, s’ils venaient à passer au-dessus de l’auditoire, s’arrêtaient dans leur vol pour l’écouter aussi longtemps qu’il parlait. Ibn Arabi ne le nommait que comme le ‘’maître des maîtres’’ », écrit Dib en évoquant le saint patron. (Mohammed Dib, avec l’aimable autorisation de l’éditeur)
L’écrivain raconte ainsi ses visites, en famille, au mausolée : « Nous quitterons donc ces champs peuplés, dans la vacuité de l’heure, de présences solaires, et irons vers le pôle qu’indique de son index levé le minaret de sa mosquée. Commence alors l’ascension, la route monte entre les maisons d’El Eubad qui se hissent les unes par-dessus les autres, elles aussi, et plus la route monte, plus nous descendons en nous-mêmes. » (Mohammed Dib, avec l’aimable autorisation de l’éditeur)
Les lieux, mais aussi les proches, la famille, et ces séries de photos d’enfants occupent une belle partie de l’ouvrage. Tous peupleront son œuvre littéraire. Wassiny Laredj se souvient de cette déclaration de Dib : « Une enfance n’est autre que cette divinité perdue à jamais, que seule l’écriture, le roman et la poésie peuvent reconstruire. Entre deux âges non vécus, enfance et âge adulte, naît l’écriture, qui permet à cet enfant enfoui en nous de ressurgir ». (Mohammed Dib, avec l’aimable autorisation de l’éditeur)
« Depuis ses premiers romans, l’enfance demeure une thématique chère à Mohammed Dib. Une enfance qui ressemble à l’écriture, où la distance renvoie aux questionnements de l’existence », écrit Wassiny Laredj. Songeons donc au personnage de Omar, l’enfant de La Grande Maison (1952), premier volet de sa trilogie, avec L’Incendie et Le Métier à tisser. L’enfant Omar qui sera le témoin de l’enfer « indigène » et de la colère qui monte contre le système colonial. (Mohammed Dib, avec l’aimable autorisation de l’éditeur)
Pour ses éditeurs, ce que Dib accomplit avec ses photographies « témoigne d’un regard à la modernité saisissante, celui d’un homme libre déjà, d’un poète, à la fois ‘’dedans’’ et ‘’dehors’’, se situant parmi ses contemporains, mais déjà au-delà. Ces photographies constituent une archive rare et précieuse », attestent les fondateurs des éditions Barzakh. (Mohammed Dib, avec l’aimable autorisation de l’éditeur)
« Dib, avec toute son élégance, a su, à partir de deux fausses couleurs – le noir et le blanc –, en conjuguant images, lieux et mouvements, esquisser la silhouette de l’Absence. Une photo, c’est une impression du temps qui va au-delà du moment de la prise avec un avant-la-prise, à définir, et un après-la-prise qui reste à imaginer, ou du moins à méditer. Que faisait Dib à ce moment-là ? Qu’est-il donc arrivé après cet instant où la prise a été si heureuse, si juste ? », se demande Wassiny Laredj.
Nous nous posons la même question en imaginant ce jeune Dib derrière son appareil photo, espiègle et grave à la fois. Comme il le fut toute sa vie. (Mohammed Dib, avec l’aimable autorisation de l’éditeur)
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