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Cécile Coudriou : « La défense des droits humains ne doit pas être conditionnée aux intérêts de la France »

La présidente d’Amnesty International France dénonce une répression accrue des critiques du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane et appelle la France d’Emmanuel Macron à cesser son « hypocrisie »
Une projection sur le musée du Louvre à Paris par des membres d’Amnesty International montre le président français Emmanuel Macron saluer le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, à la veille du sommet virtuel du G20, le 19 novembre 2020 (AFP)
Par Safa Bannani à PARIS, France

Militants derrière les barreaux, assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, répression de toute voix dissidente : l’Arabie saoudite, premier pays arabe à avoir accueilli un sommet du G20, a fait l’objet de vives critiques pour ses violations fréquentes des droits humains.

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Les ONG, dont Amnesty International, ne cessent d’exhorter les grands dirigeants mondiaux à demander au royaume saoudien la libération immédiate et sans condition des activistes persécutés, comme la militante pour les droits des femmes Loujain al-Hathloul, qui a récemment été condamnée à cinq ans et huit mois de prison en vertu d’une loi dite « antiterroriste ».

Cécile Coudriou, présidente d’Amnesty International France, dresse pour Middle East Eye un bilan « désastreux » de la situation des droits de l’homme en Arabie saoudite, qui peine à redorer son blason sur la scène internationale.

Middle East Eye : Le sommet du G20 qui s’est tenu en novembre 2020 a fait polémique, notamment en raison de sa présidence par l’Arabie saoudite.

Cécile Coudriou : En tant que pays hôte du G20, l’Arabie saoudite a cherché à renforcer sa position sur la scène internationale. La présidence du G20 favorise le développement du plan « Vision 2030 » du prince héritier Mohammed ben Salmane. Ce cadre a pour ambition de diversifier l’économie du pays, notamment en attirant des investisseurs étrangers. Aussi le royaume s’est-il lancé dans une grande campagne de relations publiques à destination des États et des entreprises.

Cependant, cette véritable opération séduction contraste terriblement avec le bilan désastreux que le royaume voudrait faire oublier en matière de droits humains.

MEE : Qu’en est-il, justement, de ce bilan ?

CC : Il est catastrophique : les autorités saoudiennes arrêtent et poursuivent en justice des défenseurs des droits humains, censurent la liberté de parole, limitent la liberté de circulation et infligent des tortures et des mauvais traitements aux journalistes et militants incarcérés. Les lois antiterroristes, formulées en termes vagues, sont utilisées pour réduire au silence les détracteurs du gouvernement, qui sont parfois condamnés à mort.

Les reformes pour les droits des femmes ne doivent pas servir de simple vitrine pour attirer les investisseurs

Par ailleurs, les femmes subissent une discrimination systématique en droit comme en pratique. Et les femmes défenseures des droits humains qui osent défendre les droits des femmes sont soumises à des persécutions judiciaires, des arrestations et des détentions arbitraires, et parfois même à des mauvais traitements.

MEE : Le prince héritier Mohammed ben Salmane a annoncé plusieurs réformes en matière de libertés, notamment pour les femmes. Comment les évaluez-vous à la lumière de l’emprisonnement et du harcèlement que subissent des militantes comme Loujain al-Hathloul ?

CC : Des réformes importantes telles que l’assouplissement de certaines restrictions sociales et du système de tutelle [qui accorde légalement aux hommes la possibilité de contrôler certains domaines de la vie d’une femme] ont été récemment adoptées par les autorités saoudiennes. Mais les femmes sont toujours en butte à des discriminations systématiques en droit et en pratique dans des domaines tels que le mariage, le divorce, l’héritage et la possibilité de transmettre la nationalité à leurs enfants.

Elles restent aussi insuffisamment protégées contre les violences, sexuelles entre autres.

Des manifestantes tiennent des pancartes et des découpages de caricatures de femmes incarcérées en Arabie saoudite, devant l’ambassade d’Arabie saoudite à Paris, le 8 mars 2019 (AFP)
Manifestation en soutien aux femmes incarcérées dans le royaume saoudien, devant l’ambassade d’Arabie saoudite à Paris, le 8 mars 2019 (AFP)

Par ailleurs, derrière ces réformes extrêmement médiatisées, l’État mène actuellement une campagne de répression à l’encontre des femmes qui ont précisément fait campagne pour obtenir ces changements.

Des militantes de renom, comme Loujain al-Hathloul, Nassima al-Sada, Samar Badawi, Mayaa al-Zahrani et Nouf Abdulazi sont en prison pour avoir lutté pour que les femmes obtiennent le droit de conduire ou pour mettre fin au système répressif de tutelle masculine.

Les reformes pour les droits des femmes ne doivent pas servir de simple vitrine pour attirer les investisseurs. Si les autorités saoudiennes entendent mettre en œuvre de véritables changements, elles doivent mettre fin au système de tutelle masculine et à la persécution des militantes des droits des femmes.

MEE : Et l’affaire du journaliste Jamal Khashoggi, tué dans l’enceinte du consulat saoudien à Istanbul le 2 octobre 2018 ? La rapporteuse des Nations unies Agnès Callamard a révélé des éléments incriminant des responsables saoudiens, dont le prince héritier Mohammed ben Salmane.

CC : La condamnation par un tribunal saoudien de cinq personnes à la peine capitale et de trois autres à des peines de prison pour le meurtre du journaliste est une tentative d’étouffer l’affaire qui n’apporte ni justice ni vérité pour Jamal Khashoggi et ses proches.

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L’implication des autorités saoudiennes dans ce crime odieux n’a pas été prise en compte. Le procès a été interdit au public et aux observateurs indépendants, et aucune information n’a été communiquée sur la manière dont l’enquête s’était déroulée.

Étant donné le manque de transparence de la part des autorités saoudiennes et en l’absence d’une justice indépendante, seule une enquête internationale, indépendante et impartiale permettra de rendre justice à Jamal Khashoggi.

MEE : Comment évaluez-vous le conflit au Yémen et le rôle de la coalition menée par l’Arabie saoudite dans ce conflit ?

CC : Depuis 2015, toutes les parties au conflit au Yémen ont commis des violations répétées et graves du droit international humanitaire.

La coalition emmenée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis continue, pour sa part, de bombarder des infrastructures civiles et de mener des attaques aveugles, faisant des milliers de morts et de blessés parmi la population civile.

Pourtant, la France continue ses livraisons irresponsables d’équipement militaire à la coalition, au risque que ces armes ne servent à commettre des crimes de guerre. Cette hypocrisie de la France doit cesser.

MEE : L’Arabie saoudite est le troisième client des industriels français de l’armement.

CC : La défense des droits humains ne doit en aucun cas être conditionnée aux intérêts économiques ou stratégiques de la France. Le président Macron doit placer les enjeux liés aux droits humains au cœur de ses relations avec les autorités saoudiennes.

Le président français Emmanuel Macron accueille le prince héritier d’Arabie Saoudite Mohammed ben Salmane à son arrivée au palais présidentiel de l’Élysée, à Paris, le 10 avril 2018 (AFP)
Le président français Emmanuel Macron accueille le prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane à son arrivée au palais présidentiel de l’Élysée, à Paris, le 10 avril 2018 (AFP)

La France s’est déjà exprimée seule, ou avec d’autres pays, sur la situation des militantes saoudiennes. Elle a également souvent rappelé son engagement en faveur des défenseurs des droits humains.

Elle doit passer de la parole aux actes en demandant à ses alliés saoudiens de libérer immédiatement et sans condition les militantes persécutées en raison de leur combat pacifique pour les droits des femmes dans le royaume.

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