Malgré l’opposition de la France, les pays du Sahel négocient avec les groupes armés
Le 16 février, à l’occasion d’un sommet de deux jours entre les dirigeants d’Afrique de l’Ouest à N’Djaména, au Tchad, le président français Emmanuel Macron est apparu en visioconférence depuis le palais doré de l’Élysée pour donner l’opinion de la France sur l’insurrection endémique dans la région.
Après s’être adressé aux chefs d’État du Mali, du Burkina Faso, du Tchad, du Niger et de la Mauritanie, Macron – qui a récemment porté le nombre de troupes françaises au Sahel à plus de 5 000 soldats – a annoncé aux journalistes que les dirigeants avaient convenu qu’ils ne pouvaient pas négocier avec les commandants de deux des plus importants groupes armés de la région.
Ils « sont ennemis », a-t-il assuré, en référence à Iyad Ag-Ghali, le chef touareg d’Ansar Dine, et Amadou Koufa, le chef de la katiba Macina, tous deux Maliens. « Ils ne sont en aucun cas de possibles interlocuteurs. »
Il ne faisait que réitérer une position française : « Avec les terroristes, on ne discute pas. »
Trois jours plus tard, Moctar Ouane, Premier ministre par intérim du Mali, a révélé que son gouvernement avait créé un organisme pour mener des discussions avec les groupes de combattants qui ont dévasté des régions au nord et au centre du Mali et ailleurs au Sahel.
« De plus en plus de voix s’élèvent au Mali pour appeler au dialogue avec nos frères ayant rejoint les groupes radicaux », a-t-il déclaré.
La violence s’est emparée du Mali en 2012, lorsque des groupes islamistes armés ont, selon Paris, avancé vers la capitale, Bamako, après s’être emparé de larges pans des déserts du nord du pays.
Les Touaregs au Mali se rebellent ponctuellement contre l’État depuis son indépendance en 1960. Mais ce dernier soulèvement s’est enfermé dans une spirale, aboutissant à une série brutale de conflits qui ont fini par submerger une grande partie du Sahel.
Un cocktail meurtrier
Un accord de paix signé en 2015 par le gouvernement malien et les groupes rebelles a fait naître une lueur d’espoir, mais ce dernier n’a jamais été totalement mis en œuvre. Les militants n’ont pas tardé à se regrouper et à s’étendre.
En 2017, la menace a empiré. Iyad Ag-Ghali, principale cible de la France dans ce conflit, a unifié divers groupes de combattants, notamment la katiba Macina et al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), sous la bannière du Groupe pour le soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM).
Ce groupe a depuis surpassé son ennemi juré, le groupe affilié à l’État islamique, devenant la plus grande menace au Sahel et l’une des filiales d’al-Qaïda les plus actives au monde.
Les violences se font particulièrement sentir au Mali, au Burkina Faso et au Niger, mais menacent de s’étendre dans les pays côtiers tels que le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Ghana.
Du fait de la désagrégation de l’État de droit et de l’absence quasi totale de l’État en dehors des capitales nationales, de plus en plus de gens se procurent des armes et forment des groupes armés locaux.
Les combattants jouent sur les tensions séculaires entre les différentes communautés ethniques et exploitent les doléances locales fermement ancrées. Ajouté à la grande pauvreté, aux changements climatiques rapides et à la corruption politique, cela s’avère un cocktail meurtrier.
Près de 7 000 personnes sont mortes en raison des combats l’année dernière selon le Armed Conflict and Location Event Data Project, tandis que l’ONU a déclaré récemment que plus de 2 millions de personnes ont été contraintes de fuir leur domicile à cause du conflit, un nombre qui a quadruplé depuis 2019.
Plus de quatorze millions de personnes au Mali, au Niger et au Burkina Faso ont aujourd’hui besoin d’une aide humanitaire urgente.
Les forces françaises se battent au Sahel – aux côtés des forces de l’ONU, des États-Unis et de leurs partenaires européens – depuis huit ans.
Pas de retrait « immédiat » des troupes françaises
La France a lancé l’opération Serval début 2013, suite à une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU et à une demande d’assistance militaire du Mali. Celle-ci a été remplacée par l’opération Barkhane en 2014, opération toujours en cours impliquant de plus de 5 000 soldats.
Il y a un an, continuant à se concentrer sur les solutions militaires, Macron a envoyé quelque 600 soldats supplémentaires dans la région et a promis de multiplier les interventions dans la zone des « trois frontières » où se rejoignent le Mali, le Burkina Faso et le Niger.
Malgré certains succès, notamment l’élimination du chef d’al-Qaïda Abdelmalek Droukdel et du bras droit d’Iyad Ag-Ghali, Bah Ag Moussa, les violences sont pires que jamais.
Lors de sa récente réunion avec les dirigeants sahéliens, Macron a affirmé qu’il n’y aurait pas de retrait « immédiat » des troupes françaises, mais a clairement fait savoir qu’il voulait réduire la présence au fil du temps et que les forces locales endossent plus de responsabilités.
Après avoir dépensé des milliards de dollars et perdu 55 soldats dans un conflit supposé durer « quelques semaines », la France cherche à se dégager de cette « guerre perpétuelle ».
Beaucoup au Sahel, y compris les élites laïques sur lesquelles la France se repose depuis des décennies, sont sceptiques quant aux mobiles de l’armée française.
L’opposition à la présence de l’ancien colonisateur monte. En France, un sondage publié le mois dernier révèle pour la première fois qu’une courte majorité de Français se disent défavorables à l’intervention militaire au Sahel.
Cependant, un retrait total pourrait rapprocher la menace de la France, un pays traumatisé par une série d’attentats ces dernières années. Bernard Émié, directeur de la DGSE, rapportait en février que les militants au Mali envisageaient des attaques en Europe.
Avec l’hostilité croissante du gouvernement envers les musulmans français depuis les attentats de l’année dernière, Macron pourrait avoir du mal à convaincre l’opinion publique française de la nécessité de négociations à huis clos avec les groupes armés.
Au Mali cependant, les politiciens, les chefs religieux et les groupes de la société civile réclament de plus en plus de telles négociations, qu’ils considèrent comme une solution politique qui irait de pair avec les opérations militaires menées par la France.
Les demandes de négociation avec les groupes armés ne sont pas nouvelles. En 2017, des participants à la Conférence d’entente nationale au Mali, un sommet réunissant des représentants du gouvernement, des groupes armés et de l’opposition, avaient estimé que les autorités devaient collaborer avec Iyad Ag-Ghali et Amadou Koufa.
Une solution politique à long terme
En 2019, lors de négociations baptisées « dialogue national inclusif », qui rassemblait des grandes personnalités nationales, notamment le président de l’époque Ibrahim Boubacar Keïta, la proposition a été mise sur la table une fois de plus. Keïta a publiquement reconnu pour la première fois l’année dernière que le gouvernement était entré directement en contact avec Ag-Ghali et Koufa.
Keïta a été évincé en août 2020, mais les négociations nationales à la suite du coup d’État ont approuvé l’idée de parlementer avec les groupes violents aux niveaux national et local.
Pour Boubacar Sangaré, chercheur indépendant basé dans la capitale malienne Bamako, tous ceux qui rejoignent des groupes armés ne sont pas des fanatiques religieux. Face aux violences récurrentes sans protection de l’État, certains les rejoignent pour protéger leur famille et leur communauté.
Les dirigeants et les simples combattants ont des motivations différentes, explique Boubacar Sangaré à Middle East Eye. Par conséquent ces négociations « doivent inclure les simples combattants des groupes pour négocier un nouveau contrat social… l’État doit avant tout être accepté par les communautés ».
Faisant écho à la position adoptée par les autorités au Mali, le Burkina Faso a indiqué pour la première fois en février qu’il était lui aussi ouvert à l’idée de négocier avec les combattants.
« Si nous voulons mettre fin à la crise sécuritaire, nous devrons trouver de nouveaux moyens de parler avec les responsables des attentats terroristes afin de ramener la paix », a déclaré au Parlement le Premier ministre Christophe Dabiré.
« Le gouvernement a compris que diverses dynamiques [notamment le manque d’infrastructures et de présence de l’État] ont exacerbé les violences et que celles-ci peuvent être résolues par la négociation », confie à MEE Mahamadou Savadogo, chercheur spécialiste de l’extrémisme violent au Sahel basé à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso.
Les récentes discussions entre les dirigeants locaux à Djibo, une ville du nord du Burkina Faso contrôlée pendant des mois par des combattants liés à al-Qaïda, ont réussi à réduire les violences dans la région, relate Savadogo. « Cela a permis aux habitants de retourner chez eux, certaines écoles ont même rouvert. »
Pour Alex Thurston, professeur de science politique à l’université de Cincinnati, même un minimum de dialogue vaut la peine. « Cela pourrait donner un cessez-le-feu à court terme qui pourrait aboutir à une solution politique à long terme », explique-t-il à MEE.
Pour Boubacar Sangaré, « il y a une différence entre vaincre les groupes terroristes et faire la paix ».
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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