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« Coupée en deux » : le calvaire d’une mère gazaouie séparée de ses enfants par Israël

Selon des groupes de défense des droits de l’homme, la « politique de séparation » israélienne prive des dizaines de familles palestiniennes de la possibilité de vivre unies
Niveen Gharqoud a soumis cinq demandes d’autorisation de sortie de la bande de Gaza aux autorités israéliennes depuis 2018 dans l’espoir de rejoindre son mari et ses enfants en Cisjordanie (MEE/Mohammed A. al-Hajjar)
Par Maha Hussaini à GAZA, Territoires palestiniens occupés

Depuis quatre ans, Niveen Gharqoud ne voit qu’un seul de ses cinq enfants. Elle est séparée des autres depuis qu’elle les a envoyés vivre avec leur père à une centaine de kilomètres de là, à Qalqilya, une ville de Cisjordanie occupée.

Niveen et Ameer ne peuvent communiquer avec le reste de la famille en Cisjordanie que par téléphone, comme ici, en mars 2021 (Mohammed A. al-Hajjar)
Niveen et Ameer ne peuvent communiquer avec le reste de la famille en Cisjordanie que par téléphone, comme ici, en mars 2021 (Mohammed A. al-Hajjar)

Niveen Gharqoud, une mère de 39 ans qui vit avec ses parents et son plus jeune fils dans le village de Juhor ad-Dik, dans le centre de la bande de Gaza, a soumis cinq demandes distinctes d’autorisation de sortie aux autorités israéliennes depuis 2018 dans l’espoir de rejoindre son mari et ses enfants en Cisjordanie.

Aucune n’a été acceptée.

« Cela fait quatre ans que je n’ai pas vu mes enfants. Avant, je dormais avec eux cinq dans un même lit, et maintenant, je ne peux les voir qu’à travers l’écran d’un téléphone portable », confie-t-elle à Middle East Eye.

« C’est difficile d’accepter l’idée que mes quatre enfants se débrouillent sans leur mère, alors que leur père travaille la plupart du temps. »

Une « politique de séparation »

Les habitants de la bande de Gaza sous blocus ont besoin d’une autorisation de sortie délivrée par les autorités israéliennes pour entrer en Cisjordanie occupée en passant par le poste frontalier d’Erez, contrôlé par les Israéliens ; il s’agit du seul point de passage terrestre pour les personnes souhaitant se déplacer entre Gaza et les territoires palestiniens occupés.

En 2007, un an après avoir remporté les élections législatives, le Hamas a pris le contrôle de la bande de Gaza. Israël a rapidement imposé un blocus étouffant à l’enclave côtière, limitant la circulation des personnes et des biens aux entrées et aux sorties de Gaza, dans le cadre de ce que le gouvernement israélien décrit comme une « politique de séparation ».

D’après le gouvernement israélien, cette politique vise à restreindre les déplacements entre Gaza et la Cisjordanie afin d’éviter qu’un « réseau terroriste humain » ne quitte la bande.

« Même si le gouvernement israélien veut réduire ce qu’il décrit comme un transfert de terroristes vers les territoires occupés, sa politique de séparation imposée à plus de deux millions de Palestiniens dans la bande de Gaza est tout simplement une punition collective interdite par le droit humanitaire international », explique à MEE Mohammed Emad, directeur du département juridique de Skyline International for Human Rights, une ONG de défense des droits de l’homme établie à Stockholm.

« Ces restrictions sont imposées arbitrairement à des civils pris au hasard et séparent de dizaines de familles. »

La famille Gharqoud en fait partie.

Une famille divisée

Niveen a épousé Sami Gharqoud à Gaza il y a dix-huit ans. Depuis qu’ils sont mariés, Sami occupe divers emplois de manœuvre en Israël.

« Il allait et venait entre Gaza et la Cisjordanie », raconte Niveen. « Il travaillait là-bas et venait me rendre visite de temps en temps. »

« Il n’a assisté à aucune des naissances de nos cinq enfants et ne m’a jamais vue enceinte, sauf sur des photos et lors d’appels en visio », confie la jeune femme à MEE.

« Je me rendais à l’hôpital avec ma mère, j’endurais seule toutes les douleurs, j’accouchais et je rentrais à la maison. Il ne nous rendait visite qu’après l’accouchement, il restait quelques semaines puis repartait en Cisjordanie. »

Niveen et Sami Gharqoud, sur une photo montrée en mars 2021 (MEE/Mohammed A. al-Hajjar)
Niveen et Sami Gharqoud, sur une photo montrée en mars 2021 (MEE/Mohammed A. al-Hajjar)

Mais depuis le début du blocus, Sami n’a rendu visite à sa famille à Gaza qu’une seule fois.

« Avant la dernière guerre contre Gaza [en 2014], je lui ai rendu visite en Cisjordanie, je suis restée environ six mois et je suis tombée enceinte de mon dernier enfant, Ameer », raconte Niveen. Ce séjour s’est avéré être la seule fois où elle a pu rendre visite à Sami.

« J’ai ensuite dû retourner à Gaza, car [les autorités israéliennes] ne m’avaient laissée emmener que deux de mes quatre enfants en Cisjordanie. Ils m’ont délibérément interdit d’emmener les quatre enfants. Ils voulaient me forcer à retourner à Gaza. J’ai donc été obligée de revenir. »

« Ils m’ont délibérément interdit d’emmener les quatre enfants. Ils voulaient me forcer à retourner à Gaza »

– Niveen Gharqoud, habitante de Gaza 

Sami n’a jamais rencontré son fils cadet, Ameer, désormais âgé de 6 ans.

Niveen tente de rejoindre son mari depuis la naissance de leur dernier enfant en 2014, mais les autorités israéliennes l’empêchent d’aller en Cisjordanie.

En 2016, elle a décidé d’envoyer d’abord ses enfants chez leur père, puisque ses parents et ses amis lui avaient dit que cela l’aiderait à obtenir une autorisation pour les rejoindre plus tard.

« Mon père est parti avec mes quatre enfants en Jordanie en passant la frontière [avec l’Égypte] à Rafah. Mais il les a laissés au pont Allenby [qui relie la Jordanie à la Cisjordanie] parce qu’il ne pouvait pas passer – sa carte d’identité indique qu’il vit à Gaza, contrairement à mes enfants et à leur père, puisque leur carte d’identité précise qu’ils vivent en Cisjordanie.

« Maintenant, je ne peux pas envoyer Ameer rejoindre ses frères et sa sœur. Mon aînée, qui a désormais 17 ans, assume déjà la responsabilité de ses trois frères et s’occupe d’eux. Elle est encore une enfant, mais elle est accablée par toutes ces responsabilités. »

Les quatre enfants de Niveen vivant à Qalqilya ne voient leur père qu’à peine une ou deux fois par semaine en raison de son travail et passent le reste du temps seuls. Lorsqu’ils ont besoin de quelque chose, les enfants appellent leur mère à Gaza.

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« Il y a environ deux ans, ma fille m’a appelée en hurlant », se souvient Niveen Gharqoud. « Elle m’a dit que son petit frère avait reçu de l’eau bouillante sur le visage alors qu’elle lui cuisait des œufs. Je ne savais pas quoi faire – j’ai appelé leur voisine et je l’ai suppliée d’aller les aider. »

« Ce n’est pas la dernière fois qu’une telle chose s’est produite », poursuit Niveen. « Il y a quelques jours, Malak [l’aînée] m’a appelée, effrayée. Elle m’a dit que quelqu’un essayait d’ouvrir la porte de leur appartement. Je n’ai rien pu faire d’autre que de lui dire de bien verrouiller la porte et d’allumer la télévision pour faire du bruit. »

« J’ai les numéros de leurs voisins en cas d’urgence car je suis impuissante ici, alors que leur père est absent la plupart du temps. »

Niveen Gharqoud espère toujours pouvoir rejoindre ses enfants et son mari à Qalqilya, même si elle concède que les autorités israéliennes « ne répondent même pas à [ses] demandes d’autorisation de sortie et les laissent en suspens ».

Lorsqu’une autorisation de sortie est refusée ou en suspens, les Palestiniens de la bande de Gaza doivent attendre trois mois avant de pouvoir soumettre une autre demande.

Une longue histoire de séparations

En juillet 2003, le Parlement israélien a adopté une loi qui interdit le regroupement familial pour les citoyens israéliens mariés à des Palestiniens des territoires occupés.

Selon Amnesty International, cette « loi représente une nouvelle étape de la politique menée de longue date par Israël en vue de restreindre le nombre de Palestiniens autorisés à vivre en Israël et à Jérusalem-Est ».

Israël est critiqué depuis longtemps pour sa politique séparant les enfants palestiniens de leurs familles, notamment ceux de la bande de Gaza qui reçoivent un traitement médical en territoire palestinien occupé.

« Depuis qu’il a vu ses frères et sœurs partir, il est tellement en manque d’affection qu’il me suit partout – pour s’assurer que je ne l’abandonne pas »

- Niveen Gharqoud

Les chiffres compilés par l’ONG Physicians for Human Rights Israel révèlent que plus de la moitié des demandes de parents pour accompagner leurs enfants qui suivent un traitement médical en territoire occupé déposées en 2018 ont été refusées. 

En 2019, un cinquième des enfants transférés pour traitement médical depuis la bande de Gaza ont voyagé sans leurs parents.

Une note publié par le groupe de défense des droits de l’homme Gisha en 2020 affirmait qu’en isolant la bande de Gaza et en imposant des restrictions de circulation aux Palestiniens entre les villes et villages, Israël « poursuiv[ait] une stratégie consistant à diviser pour mieux régner » afin de perturber la capacité des Palestiniens à maintenir une vie familiale et sociale unie.

MEE a sollicité les autorités israéliennes sur le sujet, en vain.

Séparation traumatique

Le plus jeune fils des Gharqoud, Ameer, a accompagné son grand-père et sa fratrie au poste-frontière de Rafah lorsqu’il avait 3 ans. Lorsqu’ils sont arrivés à la frontière, il a réalisé que son frère le plus proche, Muhammed, et ses trois autres frères et sœurs partaient sans lui. Contrairement à eux, Ameer était trop jeune pour voyager sans parents.

« Lorsqu’il est revenu à la maison, il était tellement choqué qu’il s’est évanoui », raconte Niveen. « Depuis lors, il a tellement peur d’être laissé seul qu’il ne va même pas à l’école.

« Il y a quelques mois, je suis allée assister au mariage d’un proche. Lorsque je suis partie, il s’est mis à crier et s’est évanoui, persuadé que tout le monde lui mentait et que j’étais partie en Cisjordanie en l’abandonnant. »

Craignant que l’anxiété de son fils Ameer ne s’aggrave, Gharqoud lui fait l’école à la maison. Mars 2021 (MEE/Mohammed A Alhajjar)
Craignant que l’anxiété de son fils Ameer ne s’aggrave, Gharqoud lui fait l’école à la maison. Mars 2021 (MEE/Mohammed A Alhajjar)

Pour éviter de le laisser seul à l’école, et craignant l’aggravation de son anxiété, Niveen Gharqoud lui fait l’école à la maison.

« Depuis qu’il a vu ses frères et sœurs partir, il est tellement en manque d’affection qu’il me suit partout – pour s’assurer que je ne l’abandonne pas. »

« Les plats de maman me manquent »

« Ta sœur m’a dit que tu n’es pas allé à l’école l’autre jour, pourquoi ça ? », demande Niveen à Muhammed (10 ans) dans un appel vidéo.

« Je me suis réveillé et j’ai cherché mon pantalon mais je ne l’ai pas trouvé, alors je ne pouvais pas y aller », répond-il.

« Si sa mère vivait avec lui, cela n’arriverait pas », déplore Niveen à MEE, assise dans son salon.

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Alors que Sami est en quarantaine après avoir été diagnostiqué positif au coronavirus, Niveen s’assure que ses enfants ont mangé leur déjeuner.

« On mange généralement des sandwichs ou on commande à manger car nous n’avons personne pour cuisiner pour nous. Mais Malak appelle parfois maman et lui demande des recettes pour nous nourrir », rapporte Muhammed, quatrième enfant des Gharqoud.

Niveen dit éviter d’envoyer des photos de réunions de famille à ses enfants pour qu’ils n’aient pas l’impression qu’ils ne leur manquent pas ni qu’ils aient envie de « nourriture qu’ils ne peuvent avoir ».

« Malak cuisine bien », indique Muhammed, « mais les plats de maman me manquent, elle seule peut les faire aussi bien. »

Malak, qui a fêté son 17e anniversaire en février, a endossé le rôle de sa mère : garder un œil sur les études de ses frères et les aider dans leur quotidien.

« Il y a quelques semaines, son voisin de 23 ans lui a demandé sa main », annonce Niveen. « En temps normal, je n’aurais jamais accepté l’idée de laisser ma fille se marier à cet âge. Mais puisqu’elle n’a personne pour prendre soin d’elle, je veux qu’elle se sente stable sur le plan émotionnel et qu’elle ait quelqu’un sur qui elle puisse compter. »

« Pourquoi est-il si compliqué de me permettre à moi et à mon fils de 6 ans d’être réunis avec le reste de notre famille ? »

- Niveen Gharqoud

« Nous avons donné notre accord de principe pour leurs fiançailles, mais Malak refuse d’officialiser tant que je ne peux pas les rejoindre et rencontrer cet homme. »

Niveen indique que ses enfants pourraient aisément revenir à Gaza, mais elle refuse de les ramener et de les faire vivre loin de leur père. Elle n’est pas sûre qu’ils obtiendraient l’autorisation de partir une fois de plus s’ils revenaient, et le voyage – via la Jordanie et l’Égypte – est trop cher.

« Mes enfants grandissent et ils ont besoin de leur père dans leur vie. Je suis coupée en deux : je les veux ici avec moi, mais je veux également qu’ils vivent dans un environnement sain avec leur père et moi ensemble », confie-t-elle à MEE.

« Pourquoi est-il si compliqué de me permettre à moi et à mon fils de 6 ans d’être réunis avec le reste de notre famille ? »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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