11 septembre : pourquoi le documentaire de Netflix est une déception
Le 1er septembre, une semaine et demie avant le vingtième anniversaire des attentats du 11 septembre, Netflix a sorti la série documentaire Turning Point : Le 11 septembre et la guerre contre le terrorisme.
Cette série du réalisateur primé Brian Knappenberger raconte ces attentats odieux et la « guerre contre le terrorisme » menée par les États-Unis qui les a suivis et qui, malgré le récent retrait américain d’Afghanistan, se poursuit à ce jour.
Avant sa sortie, le réalisateur de We Are Legion (film sur le collectif d’hacktivistes Anonymous) et The Internet’s Own Boy:The Story of Aaron Swartz avait déclaré vouloir comprendre comment ces attentats avaient transformé la psyché américaine.
« Aujourd’hui, avec le retrait des troupes américaines pour le 20e anniversaire, il est temps de respirer profondément, de prendre du recul et de se demander le plus honnêtement possible : comment ce jour nous a-t-il changés ? », estimait-il.
Il ajoutait qu’ayant voyagé en Afghanistan en tant que jeune réalisateur un an après les événements, il n’aurait jamais imaginé que la guerre durerait vingt ans.
Cette incapacité à prévoir n’est pas due à un manque d’accès à certains des acteurs les plus importants du conflit. Le film bénéficie d’un casting enviable de spécialistes, y compris d’anciens seigneurs de guerre, des chefs talibans, d’anciens officiers de la CIA et des responsables de la Maison-Blanche.
Ajoutez à cela les récits de survivants et de soldats américains qui ont combattu pendant la guerre. La série prétend offrir « des perspectives éclairantes et des récits personnels sur la façon dont les événements catastrophiques de ce jour-là ont changé le cours de l’histoire de la nation », ainsi que sur le coût élevé de l’après.
Néanmoins, ces grands noms ne compensent pas les échecs. Malgré les tentatives d’incorporation de voix variées et d’exploration de certains des scénarios les plus inconfortables entourant les attentats, la série élude les questions difficiles, compte trop sur l’élite de Washington pour expliquer ses échecs et recourt à des stéréotypes et des caricatures pour garder les téléspectateurs intéressés.
Voici trois raisons pour lesquelles Turning Point : Le 11 septembre et la guerre contre le terrorisme est une telle déception.
Centré sur le traumatisme américain
Le 11 septembre 2001 a été extrêmement traumatisant, près de 3 000 personnes ont été tuées dans la série d’attaques survenues ce triste mardi-là.
Beaucoup de ces victimes étaient des Américains lambda, dans les avions détournés ou travaillant dans les tours jumelles du World Trade Center. C’étaient aussi des pompiers, des ambulanciers, des policiers – ceux qu’on désigne par l’expression « premiers intervenants » aux États-Unis.
Pendant des jours et des semaines, mères et pères ont cherché leurs filles, fils, frères ou conjoints disparus. Le centre-ville de Manhattan était recouvert des cendres des tours, et des panaches de fumée s’élevaient encore des squelettes calcinés des bâtiments longtemps après que la poussière ne fut retombée.
Aussi légitime que soit l’horreur ressentie par les Américains lambda, la série accorde une place disproportionnée à la douleur des Américains, reconstituant souvent leurs peurs, leurs préjugés et leur ignorance sans les remettre en question. Au détriment des victimes ultérieures de la réponse américaine aux attentats, qui sont quasiment exclues.
Les attentats du 11 septembre se sont après tout déroulés en l’espace d’une seule journée. Les guerres ultérieures étiquetées « guerre contre le terrorisme » sont une série d’événements marquants qui ont duré vingt ans, coûté la vie à près d’un million de personnes et entraîné le déplacement de 37 millions de personnes à travers le monde.
Alors que la série aborde les combines des élites de Washington cherchant à se venger et les jeux de pouvoir bellicistes qui ont abouti à et suivi l’invasion de l’Irak, au fond, c’est toujours une histoire d’échec américain et de douleur américaine. Les victimes des guerres post-11 septembre ne sont pas américaines dans l’immense majorité des cas, mais Knappenberger et son équipe sont tout bonnement incapables de regarder au-delà du traumatisme américain.
Comme le titre de la série l’indique clairement, pour les réalisateurs, le 11 septembre est un point d’inflexion, c’est-à-dire un tournant dans l’histoire. Même s’il y a une tentative de contextualisation historique, les actes qui ont nourri la colère à l’égard des États-Unis sont largement minimisés.
On nous donne l’impression que toute cette colère est motivée par la présence américaine dans le soi-disant monde musulman. Peu d’efforts sont faits pour expliquer ce qui motive cette obsession à intervenir dans ces pays, ou ce que cette présence signifie matériellement et politiquement pour les personnes qui y vivent ; un angle qui aurait pu contraindre les producteurs du film à une introspection plus désagréable. Le mécontentement ressenti par les membres d’al-Qaïda envers l’Amérique, ou d’ailleurs l’expansion de l’empire américain, qui implique la déstabilisation de gouvernements ou l’invasion de nations, ne fournit guère plus que des images de b-roll.
Semer les « graines du doute » sur les abus
Bien que la série présente une grande diversité d’interviewés, allant de l’ancien chef des moudjahidines Gulbuddin Hekmatyar à la députée américaine Barbara Lee, en passant par la politicienne pakistanaise Hina Rabbani Khar, les voix qui prédominent sont des conseillers du gouvernement américain, d’anciens responsables du FBI et de la CIA, des dirigeants politiques d’Afghanistan, et quelques journalistes et militants des droits de l’homme.
Là où le documentaire avait amplement l’occasion de faire comprendre la réalité de l’immense échec moral et politique de ces guerres, il se concentre plutôt sur une série de « mauvaises décisions » qui ont conduit l’Amérique à les perdre
L’histoire est guidée par leurs voix et perspectives, mais sans narrateur, le documentaire fournit un guide définitif sur les événements du 11 septembre, un récit ambigu et compliqué de la « guerre contre le terrorisme ».
Toute prétention que le film pourrait avoir à une lecture équilibrée des guerres en Afghanistan et en Irak est minée par la tribune accordée à certains des plus grands partisans de ces invasions, notamment David Petraeus, ancien directeur de la CIA, et le général John R. Allen, ancien chef des troupes américaines et de l’OTAN en Afghanistan. Ils sont présentés comme aussi spécialistes que les victimes des attentats et les universitaires : c’est une approche qui leur donne un vernis injustifié d’impartialité, et les détache de leur responsabilité dans les échecs et abus commis sous leur commandement.
Leur inclusion est surprenante, étant donné que ces hommes ont toujours eu un intérêt direct à promouvoir un récit spécifique sur ces guerres – un récit qui reste en grande partie le même que lorsqu’ils y prenaient part. On ne sait pas trop pourquoi nous devrions entendre parler d’eux maintenant sans mise en garde concernant leurs échecs, ou pourquoi nous devrions faire confiance à leur « expertise ».
Alors que la série fait un immense effort pour éduquer le public sur la façon dont le gouvernement américain sous George W. Bush a semblé instrumentaliser le traumatisme américain, a détourné la loi pour étendre ses pouvoirs, surveillé les citoyens chez eux et mené des guerres sans fin à l’étranger, elle offre toujours aux partisans de ces politiques suffisamment d’espace pour semer le doute sur des questions où il ne devrait vraiment pas y en avoir.
Sur la question de la torture et des abus sur les sites noirs de la CIA ou à Guantánamo, que les États-Unis ont été accusés à plusieurs reprises de pratiquer, Alberto Gonzales, ancien conseiller de George W. Bush à la Maison-Blanche, assure dans le troisième épisode : « Nous sommes revenus en arrière et avons examiné la convention contre la torture, qui a été la genèse de la loi anti-torture […] Le chef de la Division criminelle du Département de la Justice a écrit que la torture était l’activité dont la mention même fait frissonner, comme les aiguilles sous les ongles, comme le perçage du globe oculaire, comme les chocs électriques sur les organes génitaux. On était bien loin de cela. »
La définition très claire de la torture, à savoir blesser une personne mentalement et physiquement pour en tirer des informations ou la punir, en est donc réduite à l’expérience subjective de « faire frissonner », et cette formulation est livrée par un membre de cette même administration accusée de se livrer à de tels abus.
Se concentrer et s’en remettre aux souvenirs des décisions des représentants du gouvernement, plutôt que de se concentrer principalement sur une plus grande variété d’activistes, de journalistes et d’universitaires afghans sur l’impact de ces décisions, est vraiment de l’arrogance.
En outre, les voix susceptibles d’offrir des perspectives critiques, et qui ont survécu au montage, ne bénéficient tout simplement pas d’une tribune égale. Lorsque Pardiss Kebriaei du Centre pour les droits constitutionnels et Zahra Billoo du Conseil des relations américano-islamiques sont interviewés sur les droits des « détenus » de Guantánamo, ou sur la surveillance des Américains musulmans, leurs témoignages et leurs connaissances n’ont pas le même espace pour contrer le projet de la « guerre contre la terreur » que celui dont disposent des responsables comme Gonzales pour le défendre.
Là où le documentaire avait amplement l’occasion de faire comprendre la réalité de l’immense échec moral et politique de ces guerres, il se concentre plutôt sur une série de « mauvaises décisions » qui ont conduit l’Amérique à les perdre, abandonnant son objectif déclaré de « civiliser » la région et donc perdant sa stature, ou compromettant l’idée de la « promesse de l’Amérique ».
Se concentrer et s’en remettre aux souvenirs des décisions des représentants du gouvernement, plutôt que de se concentrer principalement sur une plus grande variété d’activistes, de journalistes et d’universitaires afghans sur l’impact de ces décisions, est vraiment de l’arrogance
Fondamentalement, l’armée américaine ne fait pas l’objet d’un examen minutieux en tant qu’institution. Les idées de certains sont enfouies si profondément dans le film, et laissées sans examen, qu’on a l’impression d’après coup déconnectés, comme les réflexions de Brittany Ramos DeBarros, ancienne capitaine dans l’armée américaine, qui confie que son expérience en Afghanistan lui a appris que « vous ne pouvez pas prendre une institution conçue pour la violence et l’utiliser pour construire des communautés saines et sûres ». Et Jason Wright, l’ancien avocat militaire de la défense du cerveau présumé du 11 septembre, Khalid Sheikh Mohammed, qui affirme que « la politique du gouvernement américain n’était clairement pas un procès équitable pour qui que ce soit ».
Dans le quatrième épisode, la série ressemble à une lamentation libérale face à la perte de la puissance américaine et de la supériorité morale que les événements horribles du 11 septembre avaient offerte au complexe militaro-industriel du pays. Les avantages dont jouit l’industrie américaine de l’armement sont eux aussi complètement négligés par les réalisateurs.
À aucun moment au cours des cinq heures de la série ne se pose la question de savoir si les architectes de la « guerre contre le terrorisme » de l’Amérique devraient rendre des comptes. Au lieu de cela, alors que le film approche du générique final, on a droit à une interprétation au piano d’America the Beautiful sur un montage d’images de guerre.
Il faut encore avoir peur des musulmans
À l’image du discours du président américain Joe Biden après la prise de contrôle de la capitale afghane par les talibans en août, la série est incapable d’éviter cette même logique orientaliste, raciste et civilisationaliste dans sa représentation du 11 septembre et de la « guerre contre le terrorisme » qui s’est ensuivie.
Le générique d’ouverture du documentaire, par exemple, commence par l’image d’une musulmane en burqa avec un pistolet à la main. Les dirigeants d’al-Qaïda sont présentés, avec des photos d’identité judiciaire sur une musique de fond inquiétante, comme des méchants sanglants dans un film de Quentin Tarantino. Ces méchants furent autrefois aidés par l’Amérique, mais ce sont des monstres qui ont dépassé la durée prévue de leur utilisation. Ils n’ont pas d’autre complexité. « Nous n’avons pas réussi à comprendre et à saisir le pouvoir de la religion », déclare Bruce Hoffman, chercheur principal au Council on Foreign Relations, dans le premier épisode.
Ce faisant, la représentation bidimensionnelle des pirates de l’air du 11 septembre et des combattants d’al-Qaïda ne sert qu’à soutenir et renforcer les représentations de la méchanceté musulmane qui ont rempli nos écrans sur les chaînes d’infos du câble et à Hollywood ces vingt dernières années. Nous ne découvrons rien de nouveau sur ces agents d’al-Qaïda. Le documentaire ne semble pas non plus particulièrement soucieux de poser de nouvelles questions.
La série fait également disparaître l’impact que les guerres américaines ont eu sur les Américains musulmans, y compris la façon dont les opérations de contre-insurrection visaient à remodeler la façon dont les musulmans pratiquent leur religion, pensent ou parlent de l’empire américain.
Depuis les attaques, les musulmans aux États-Unis font l’objet d’un examen minutieux dans les aéroports, de l’infiltration par le FBI de leurs communautés et de leurs mosquées dans le cadre d’une chasse à de prétendues cellules terroristes, ainsi que de lois discriminatoires contrôlant leur entrée dans le pays. Au-delà des États-Unis, il y a eu des exécutions extrajudiciaires, des déplacements sans fin, la torture, l’ingérence.
Cela a toujours été le test ultime de la prétendue promesse de liberté et de démocratie de l’Amérique. Dommage que les producteurs de Turning Point soient trop investis dans ce mythe pour bien le comprendre.
Turning Point : Le 11 septembre et la guerre contre le terrorisme est disponible sur Netflix.
- Azad Essa est journaliste pour Middle East Eye à New York. Il a travaillé pour Al-Jazeera English de 2010 à 2018, couvrant le sud et le centre de l’Afrique. Il est l’auteur de The Moslems are coming (HarperCollins India) et de Zuma’s Bastard (Two Dogs Books). Il a reçu une bourse de la Fondation Nieman pour le journalisme de l’Université Harvard en 2019.
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Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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