Mustapha s’en va-t-en guerre : trois décennies de l’histoire française et maghrébine en un thriller
Quand, à l’été 2015, David Hury, journaliste et photographe, ancien correspondant de presse à Beyrouth durant dix-huit ans, se réinstalle pour un an en Normandie, une figure mystérieuse du passé familial remonte à la surface de la mémoire. Un nom, Gustave, un homme qu’il a connu enfant et dont il n’avait que de vagues souvenirs, au parcours pour le moins exceptionnel.
Après des discussions avec des proches, des interviews avec des témoins et des recherches dans les archives françaises de l’armée et de la police, David Hury commence à retracer la vie de l’homme mystérieux dont la vie, comme il la qualifie, est « un véritable roman ».
David Hury a croisé ce personnage parent du côté maternel dans les années 1990, mais l’homme n’a commencé à livrer son histoire à ses proches que tardivement dans sa vie, laissant planer le mystère sur ses aventures…
Après deux ans de travail acharné, l’auteur profite du premier confinement en France, au printemps 2020, pour s’atteler à l’écriture et, un an plus tard, après neuf réécritures, le manuscrit est fin prêt et sera publié le 16 septembre aux éditions Riveneuves. Le titre ? Mustapha s’en va-t-en guerre.
Qui est donc ce Mustapha, ou plutôt Gustave, ou encore Mimoun Marcel ? D’où vient-il ? D’Oran ou de Figuig (Ksar Oulad Sliman précisément) ? Héros ou bandit ? Résistant ou complice des « terroristes » du Front de libération nationale algérien (FLN) ?
Une histoire souvent peu glorieuse de la France
Peut-être tout cela à la fois : la saga que raconte David Hury nous entraîne dans un vertigineux circuit où se mêlent la grande et la petite histoires, des oasis au sud de l’Atlas marocains au Londres où patiente de Gaulle, des salles d’interrogatoire de la préfecture de police collabo aux salles de boxe parisiennes, de la campagne normande et son maquis de résistants aux caches du FLN…
Difficile de résumer le roman sans trop dévoiler les différentes intrigues qui charpentent ce récit haletant, rythmé, bien frappé si l’on ose dire.
« Décembre 1961
Gustave cligna de l’œil. Autour de lui, la pluie battante effaçait tout. Même l’immeuble en face, dans l’étroite rue Mouffetard. À sa gauche, la devanture du café, au rez-de-chaussée de son hôtel, éventrée. La pluie lui fouettait le visage, violente, sans bruit. Il n’entendait rien mis à part un long sifflement qui lui perçait le tympan. Il tenta de se relever, de prendre appui sur son bras gauche. Il n’en eut pas la force, lui qui s’était pourtant toujours relevé de tout. Autour de lui, sur les pavés, des tomates écrasées, des gravats fumants, des carottes fendues en deux, des éclats de verre. Et puis des corps. »
Nous sommes à Paris, fin décembre 1961, et Gustave, alias Mustapha, échappe de peu à la mort dans l’explosion de son hôtel rue Mouffetard. C’est un attentat de l’OAS. Pourquoi cette organisation armée clandestine des ultras de l’Algérie française le cible-t-elle, et qui est ce policier qui semble le connaître depuis si longtemps et qui se tient là, debout devant lui, alors qu’il agonise sous son regard ?
C’est ainsi que démarre en trombe ce récit qui va faire plusieurs allers-retours dans l’histoire récente de la France, épousant les soubresauts de la colonisation et des combats pour l’indépendance du Maroc et de l’Algérie, mais traversant aussi l’épisode de la Seconde Guerre mondiale, la collaboration avec les nazis en France et l’héroïsme de la résistance française.
On plonge ainsi dans cette histoire souvent peu glorieuse de la France et de ses figures fictives ou bien réelles, comme Hubert Lyautey, premier résident général du protectorat français au Maroc, Maurice Papon, préfet de police de Paris à partir de ou encore l’abbé Lambert, maire d’Oran dans les années 1930-1940, admirateur de Hitler et de Franco…
« Février 1944
Marcel Mimoun souffla sur ses mains bleuies, puis remonta le col de son manteau. Il ne savait plus comment guérir les minuscules crevasses tracées à la lame de rasoir au bout de ses doigts gercés. Un vent glacial soufflait fort sur Paris depuis le matin. En sortant de la station Boucicaut, dans le 15e arrondissement, il partit vers l’est sur la rue de la Convention, en prenant bien soin de modifier sa démarche. Il savait que des policiers en planque faisaient souvent attention à ce genre de détails pour reconnaître une cible. Dix minutes plus tôt, à la station La Motte-Picquet, il avait croisé un homme sortant de la rame du métro au moment où lui y montait. Un homme qu’il ne connaissait que de vue et à qui il avait donné un journal contenant une liste de membres de la Gestapo française. Avec leurs adresses personnelles et leurs descriptions physiques. En une fraction de seconde, la liste avait changé de propriétaire. Ce qu’il adviendrait ensuite ne le concernait plus. Il savait que d’autres réseaux que le sien s’étaient spécialisés dans l’élimination de ces Français qui avaient prêté allégeance à Hitler ».
Les combats pour la liberté sous-tendent ce texte nerveux du début à la chute du récit. Il y a chez l’auteur – et chez son personnage réel et fictif à la fois – un attachement viscéral à ces combats, à ces luttes qui ont traversé l’histoire de la France et du Maghreb et bien au-delà.
Cet aspect historique a poussé l’auteur à monter, avec son éditeur, des partenariats avec des lycées parisiens et avec l’association Citoyenneté Jeunesse en Seine-Saint-Denis pour organiser des discussions et des ateliers d’écriture autour de trois thèmes : la colonisation, la Seconde Guerre mondiale et la guerre d’Algérie.
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