« La France construit des murs » : colère chez les binationaux maghrébins après l’annonce de la réduction des visas
Hamid est posté devant la porte F aux arrivées de l’aéroport d’Orly (sud de Paris). L’ingénieur domicilié tout près, dans la ville de Thiais (Val-de-Marne), scrute, fébrile, la silhouette de son vieux père parmi les passagers du vol Air Algérie qui vient d’atterrir ce mercredi 29 septembre à la mi-journée, après plus d’une heure de retard.
L’avion arrive d’Alger où Hamid ne s’est pas rendu depuis janvier 2020, en raison de la crise sanitaire. Même après la reprise des dessertes aériennes entre la France et l’Algérie en mai dernier, toutes ses tentatives pour trouver un billet d’avion ont échoué.
« Les vols sont encore très restreints. Soit ils sont déjà pleins, soit ils sont annulés. Alors j’ai demandé à papa de faire le voyage. C’est plus simple », explique l’expatrié à Middle East Eye.
Ce dernier est soulagé d’avoir pu obtenir à temps un certificat d’hébergement, document nécessaire pour permettre à son père de se faire délivrer un titre de séjour, juste avant l’annonce par le gouvernement français de la réduction du nombre de visas délivrés pour l’Algérie, le Maroc et la Tunisie.
Le 28 septembre, Paris a prévenu que le nombre de visas accordés aux ressortissants maghrébins serait revu à la baisse en raison du « refus » des autorités de ces pays de délivrer les laissez-passer consulaires nécessaires au retour des immigrés refoulés de France. Une décision dénoncée à la fois par Rabat et Alger.
« Si j’avais attendu, mon père n’aurait peut-être pas pu me rendre visite. Son dossier, bien que complet, aurait été rejeté, avec plein d’autres demandes », déplore Hamid, qui accuse la France de sanctionner les binationaux originaires du Maghreb en les privant de leurs proches.
« Macron a peur d’Éric Zemmour »
« Ce n’est pas parce que les autorités algériennes refusent de délivrer des laissez-passer aux sans-papiers qu’il faut se venger sur les demandeurs de visas ! », s’énerve-t-il, avant de confier dans un murmure qu’auparavant, ses parents venaient à deux, régulièrement, lui rendre visite, mais que sa mère est décédée il y a un an sans qu’il ait pu lui dire adieu.
« Beaucoup d’Algériens ont vécu des drames comme le mien. Mais finalement, qui s’en préoccupe ? Ni l’Algérie ni la France, qui construisent, chacune, des murs entre nous et nos familles. Nous ne pouvons pas partir à cause de vols autorisés au compte-goutte et très chers. Maintenant, les nôtres ont 50 % de chances en moins d’obtenir des visas. C’est inhumain ! », dénonce l’ingénieur algérien.
Fatima, étudiante marocaine en communication de 26 ans, est tout aussi désarçonnée. Venue à Orly pour accueillir son frère cadet, qui vient d’être accepté à son tour dans une université parisienne, elle fulmine contre l’affaire des laissez-passer pour les sans-papiers.
« La France utilise un prétexte de plus pour fermer la porte aux Maghrébins »
- Fatima, étudiante marocaine
« La France utilise un prétexte de plus pour fermer la porte aux Maghrébins », dénonce-t-elle à MEE. « Fini le temps où elle les accueillait à bras ouverts pour les faire travailler dans les mines, les usines et les chantiers navals. Désormais, ils sont indésirables. »
La jeune femme sait de quoi elle parle. Son grand-père défunt a usé sa vie, pendant une vingtaine d’années en France, dans les mines de Lorraine, dans l’est de la France. Pour ne pas inquiéter sa famille restée au pays, il décrivait un pays idéal qui a donné plus tard à son fils, le père de Fatima, l’envie d’envoyer ses propres enfants en France pour qu’ils suivent des études.
« Que dois-je dire maintenant à papa ? Qu’il a peu de chance d’avoir un visa pour venir nous voir mon frère et moi ? Que la France le punit ? Tout cela est affligeant. Vraiment ! », s’emporte Fatima.
Tout heureux de fouler le sol de l’aérogare et de Paris, son frère la rassure. Il pense qu’il y a des motivations électorales derrière la décision de diminuer le nombre de visas pour les Maghrébins.
« Macron a peur qu’Éric Zemmour [polémiste de la droite identitaire pressenti pour la candidature à la présidentielle de 2022] et Marine Le Pen [présidente du Rassemblement national, parti d’extrême droite, elle aussi candidate] lui volent des voix. Alors il tient le même discours contre les étrangers. Mais je suis sûr que cette mesure sera levée tôt ou tard », pense-t-il, l’air très optimiste.
Avant de quitter l’aéroport, frère et sœur prennent un selfie qu’ils envoient immédiatement à leurs parents.
« Heureusement qu’il y a WhatsApp pour garder le contact », ironise Fatima, qui accompagne la photo d’un émoji affectueux.
À Orly, les embrassades parfois très émues se succèdent au rythme des arrivées. Dans le vol TU 772 de la compagnie Tunisair de 15 h 50, se trouvait Amina, la femme de Moncef, médecin urgentiste dans un hôpital du Val de Marne.
Après de longues démarches, interrompues par la pandémie de coronavirus, la jeune femme a pu obtenir son visa de regroupement familial et prendre le départ pour une nouvelle vie en France.
« J’ai dû patienter deux ans avant de rejoindre mon mari. Le COVID n’est pas le seul d’ailleurs à avoir mis de la distance entre nous. Il y a eu aussi la politique. Alors que les conjoints des ressortissants français et européens avaient la possibilité de se rendre en France, les autres étaient empêchés sous prétexte de crise sanitaire », relate Amina, qui ne s’étonne pas de la diminution drastique des visas au détriment des ressortissants maghrébins.
« Du chantage »
« C’est une nouvelle forme de discrimination », observe-t-elle, dépitée. Son mari acquiesce en faisant remarquer que les États maghrébins ne sont pas traités avec respect.
« À quoi faut-il s’attendre maintenant, à la construction d’un mur en Méditerranée sur le modèle de celui qui sépare les États-Unis du Mexique ? »
- Abderrahmane, un passager algérien
« La décision unilatérale de réduire les visas montre que les relations entre la France et ces trois pays ne se font pas d’égal à égal », fait remarquer le médecin à MEE.
Rachid, qui vient aussi d’arriver à Orly dans un vol d’Air Algérie, fait quant à lui le choix de la plaisanterie pour exprimer son avis sur l’affaire des visas.
« La France est-elle bien placée pour faire du chantage aux pays du Maghreb qui refusent de rapatrier leurs sans-papiers alors qu’elle est restée en Algérie pendant 132 ans en situation irrégulière ? », questionne-t-il sur un ton léger.
Abderrahmane, un ami avec lequel il a fait le voyage, renchérit plus sérieusement en s’indignant contre la politique migratoire de la France, toujours plus dure et plus restrictive, d’après lui, vis-à-vis du Maghreb.
« À quoi faut-il s’attendre maintenant, à la construction d’un mur en Méditerranée sur le modèle de celui qui sépare les États-Unis du Mexique ? », s’interroge le passager, en faisant remarquer que son visa pour venir en France n’était pas un cadeau.
« J’ai payé environ 20 000 dinars [125 euros] en divers frais et ceux-ci ne sont pas remboursables même lorsque le dossier est rejeté », souligne l’Algérien.
Selon lui, la réduction du nombre des visas ne va pas empêcher des milliers d’Algériens d’en faire la demande et de payer le prix fort, pour un sésame qui sera délivré, dorénavant, avec parcimonie.
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