Iran-Azerbaïdjan : que se cache-t-il derrière les dernières tensions ?
Les tensions entre l’Iran et l’Azerbaïdjan, qui partagent 700 km de frontière, se sont accrues ces dernières semaines.
Téhéran mène des exercices militaires d’envergure le long de sa frontière avec son voisin du Caucase depuis début octobre, quelque semaine après que l’Azerbaïdjan et ses alliés, la Turquie et le Pakistan, ont réalisé des exercices militaires conjoints à Bakou.
Ces exercices ont eu lieu alors que l’Iran prétend que l’armée israélienne est déployée sur le sol azéri.
Lors de la guerre au Haut-Karabakh l’année dernière, l’Azerbaïdjan a déployé des drones israéliens « Kamikaze » sur le champ de bataille, tandis que la Turquie a fourni des armes et un soutien technique à Bakou, ce qui a contribué à la victoire militaire du pays sur l’Arménie.
Si les tensions actuelles entre l’Azerbaïdjan et l’Iran se sont confinées jusqu’à présent à une guerre des mots et à des exercices militaires le long de leur frontière commune, d’aucuns craignent que cela pourrait dégénérer en conflit total.
Le nord de l’Iran, à la frontière sud de l’Azerbaïdjan, accueille une considérable population azérie, considérée comme la plus grande minorité d’Iran, une escalade entraînerait donc des conséquences désastreuses.
Mardi, les deux pays ont convenu de tenir des pourparlers pour résoudre leurs différends. Le ministre azéri des Affaires étrangères, Djeyhoun Baïramov, a annoncé qu’il s’était entretenu avec son homologue iranien Hossein Amir Abdollahian.
« Les parties ont noté que la rhétorique récente avait nui aux relations bilatérales et que tout différend devait être réglé par le dialogue », a déclaré Baïramov dans un communiqué, ajoutant que son homologue iranien avait souligné que les deux gouvernements devaient « éviter les malentendus et renforcer les relations ».
« Téhéran et Bakou ont des ennemis et les deux gouvernements ne devraient pas leur donner la possibilité de perturber leurs relations », a déclaré le ministre lors de l’appel.
Middle East Eye revient sur les causes de cette récente querelle.
Le Haut-Karabakh
La plupart des problèmes entre l’Iran et l’Azerbaïdjan tirent leur origine dans la guerre de l’année dernière au Haut-Karabakh entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie.
Le Haut-Karabakh est une région montagneuse disputée d’Azerbaïdjan qui fut aux mains des forces arméniennes pendant près de 30 ans avant la guerre de 2020.
Dans les années 1990, la région s’est séparée de l’Azerbaïdjan, mais elle n’est pas reconnue par la communauté internationale pour l’instant.
Depuis longtemps, les séparatistes arméniens soutenus par le gouvernement à Erevan veulent se couper de l’Azerbaïdjan et faire partie de l’Arménie, en vain pour l’instant.
À la suite des 44 jours de guerre l’année dernière, qui s’est achevée par un cessez-le-feu négocié par la Russie, l’Azerbaïdjan a proclamé avoir repris une grande partie des terres du Haut-Karabakh et aux alentours, perdues lors de la guerre de 1991-1994 qui avait tué environ 30 000 personnes.
L’Iran, frontalière des deux pays, a gardé le silence lors des hostilités, mais a reconnu vers la fin que cette région disputée était un territoire azéri, bien qu’elle soit un allié traditionnel de l’Arménie.
Exercices militaires
Le 12 septembre, l’Azerbaïdjan a organisé des exercices militaires conjoints avec la Turquie et le Pakistan, une initiative qui semble avoir provoqué davantage Téhéran.
Baptisé « Trois frères 2021 », cet exercice trilatéral, selon le ministère des Affaires étrangères iranien, viole les dispositions de la Convention sur le statut juridique de la mer Caspienne, lequel stipule que seules les forces armées appartenant à l’Azerbaïdjan, à l’Iran, au Kazakhstan, à la Fédération de Russie et au Turkménistan peuvent être présentes en mer Caspienne. Cependant, cet accord n’est pas entré en vigueur parce que l’Iran ne l’a pas encore ratifié.
L’objectif affiché de ces exercices était de renforcer les liens bilatéraux existants et la coopération en matière de lutte contre le terrorisme.
Lors de la cérémonie d’ouverture de ces exercices, le lieutenant-général Hikmat Mirzayev, commandant des forces spéciales de l’Azerbaïdjan, a reconnu le soutien de la Turquie et du Pakistan à l’Azerbaïdjan lors des 44 jours de guerre contre l’Arménie.
Sécurité des échanges
Quelques jours après le début des exercices, il a été rapporté que l’Azerbaïdjan imposait des restrictions aux camions iraniens utilisant une route qui reliait auparavant l’Arménie et l’Iran, laquelle a été prise par l’Azerbaïdjan après la guerre de l’année dernière.
L’Iran utilisait cette route pour rejoindre la Russie et l’Asie occidentale sans restriction. Parmi les nouvelles restrictions figurent des check-points et une taxe routière pour les chauffeurs iraniens. Ces restrictions, couplées à l’arrestation de deux chauffeurs, contreviennent apparemment aux dispositions de l’accord de cessez-le-feu négocié par la Russie qui sauvegarde la libre circulation dans la région.
Le président azéri Ilham Aliyev a abordé le sujet lors d’une récente interview avec l’agence de presse turque Anadolu, affirmant que ces camions iraniens entraient « illégalement » au Karabakh avant même la guerre de 2020.
Il a indiqué qu’une soixantaine de camions iraniens avaient pénétré dans la région azérie du Karabakh sans autorisation entre le 11 août et le 11 septembre et que les nouveaux contrôles étaient une réponse à cette violation du territoire.
« Nous avons commencé à contrôler la route traversant le territoire azéri, et le flux des camions envoyés par l’Iran au Karabakh a cessé », a-t-il déclaré, ajoutant qu’ils devaient payer des taxes en pénétrant sur le territoire azéri.
Dans le même temps, les médias iraniens ont avancé que l’Arménie avait l’intention de concéder la province stratégique de Syunik à l’Azerbaïdjan.
Le Syunik, province la plus au sud de l’Arménie, se situe entre l’enclave azérie de la République autonome du Nakhitchevan à l’ouest, l’Azerbaïdjan à l’est, et l’Iran au sud. Elle constitue la frontière arménienne avec l’Iran.
Selon le chercheur iranien Fardin Eftekhari, Bakou « n’est pas satisfait du projet » prévu par l’accord de trêve de 2020 garantissant un corridor à l’Azerbaïdjan reliant le Nakhitchevan au reste de l’Azerbaïdjan via le Syunik.
« Si la Turquie décide de concrétiser son ambition à long terme de créer un lien direct vers la République d’Azerbaïdjan en éliminant l’accès de l’Iran à l’Arménie, alors le risque d’escalade sera multiplié »
- Shireen Hunter, université de Georgetown
Celui-ci fait valoir que Bakou « garde l’objectif ambitieux de s’emparer de l’ensemble de la province de Syunik, ce qui pourrait placer l’Iran dans une position géopolitique défavorable ».
« Téhéran perdrait son lien avec l’Arménie et un accès pratique à la région, tout en étant obligé de négocier avec une nouvelle puissance régionale enhardie qui est très soutenue par l’ennemi juré de l’Iran, Israël », ajoute Eftekhari.
D’un autre côté, la Turquie qui n’a pas de frontière avec l’Azerbaïdjan, cherche depuis longtemps à créer un lien direct à l’Azerbaïdjan en coupant l’accès de l’Iran à l’Arménie, indique l’intellectuelle irano-américaine et ancienne diplomate Shireen Hunter.
« La Turquie veut depuis longtemps une route terrestre vers l’Azerbaïdjan et, de là, vers le nord de l’Iran et l’Asie centrale », explique-t-elle à MEE.
« Si la Turquie décide de concrétiser son ambition à long terme de créer un lien direct vers la République d’Azerbaïdjan en éliminant l’accès de l’Iran à l’Arménie, alors le risque d’escalade sera multiplié », indique-t-elle.
Présence militaire israélienne en Azerbaïdjan
Israël, ennemi juré de l’Iran, a été l’un des principaux soutiens de l’Azerbaïdjan dans le conflit au Haut-Karabakh. C’est également le second fournisseur d’armes de Bakou après la Russie. Selon le Stockholm International Peace Research Institute, Israël est le principal fournisseur d’armes de l’Azerbaïdjan ces dernières années, avec des ventes d’armes estimées à 825 millions de dollars entre 2006 et 2019.
Le 6 octobre, un haut diplomate iranien a exprimé de « sérieuses inquiétudes » à propos de la présence présumée d’Israël dans le Caucase.
« Nous ne tolèrerons certainement pas un changement géopolitique et un changement de carte dans le Caucase », assurait le ministre des Affaires étrangères iranien Hossein Amir Abdollahian à des reporters à Moscou.
« Nous avons de sérieuses inquiétudes à propos de la présence de terroristes et de sionistes dans cette région. »
Bakou rejette cependant les allégations de présence militaire israélienne près des frontières iraniennes et les qualifie d’« infondées ».
Après ces exercices trilatéraux, l’Iran a mené ses propres exercices militaires près des postes frontières de Poldasht et Jolfa à la frontière avec l’Azerbaïdjan. Participaient à ces exercices des unités de blindés et d’artillerie, ainsi que des drones et des hélicoptères.
Le président azéri Aliyev a exprimé sa surprise face aux exercices iraniens.
« C’est un événement très surprenant. Chaque pays peut mener des opérations militaires sur son propre territoire. C’est son droit souverain. Mais pourquoi maintenant et pourquoi à notre frontière ? », s’interrogeait le président azéri face à l’agence de presse Anadolu.
« Pourquoi ces exercices n’ont-ils pas eu lieu lorsque les Arméniens étaient dans les régions de Jabrayil, Fizouli et Zangilan ? Pourquoi maintenant, après que nous avons libéré ces terres, après 30 ans d’occupation ? »
Aliyev a également déclaré le 5 octobre que Bakou « ne laissera[it] pas sans réponse » les accusations « infondées » de Téhéran concernant une quelconque présence militaire israélienne sur le sol azéri.
Dans le même temps, Amir Abdollahian a défendu le droit de son pays à organiser des exercices militaires sur son territoire.
Selon l’agence de presse publique iranienne, le ministre des Affaires étrangères a déclaré au nouvel ambassadeur azéri : « L’Iran ne tolère pas l’activité du régime sioniste contre sa sécurité nationale et prendra toute mesure nécessaire », en référence à la présence présumée des Israéliens aux frontières iraniennes.
Facteur ethnique : la minorité azérie du nord de l’Iran
En outre, l’Iran se méfie de l’impact des victoires de l’Azerbaïdjan et de ses alliances régionales sur sa population azérie dans le nord.
La région compte une importante population azérie, qui serait la plus grande minorité du pays.
« Le paysage peut changer si la crise dégénère et que des puissances externes s’y impliquent. La suggestion [du Premier ministre israélien] Naftali Bennett selon laquelle l’Iran pourrait subir “la mort par mille coupures” pourrait signifier un éventuel démembrement de l’Iran »
- Shireen Hunter
Les Azéris du nord de l’Iran ont célébré publiquement la victoire de l’Azerbaïdjan au Haut-Karabakh et exigé la fermeture des frontières entre l’Iran et l’Arménie après cette guerre.
« L’Iran s’inquiète assurément des ambitions de Bakou à l’égard de son territoire et de la propagande panturquiste émanant de Bakou et même de la Turquie », affirme Shireen Hunter. « Cependant, il n’y a actuellement aucune véritable menace de séparatisme chez les Azéris iraniens. »
« Mais le paysage peut changer si la crise dégénère et que des puissances externes s’y impliquent », ajoute-t-elle. « La suggestion [du Premier ministre israélien] Naftali Bennett selon laquelle l’Iran pourrait subir “la mort par mille coupures” pourrait signifier un éventuel démembrement de l’Iran. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].