Au Maroc, le gouvernement Akhannouch mise sur les femmes
Nommé par le roi le 7 octobre, le nouveau gouvernement marocain mené par Aziz Akhannouch a apporté une grande nouveauté. Non pas tant par la nature de ses portefeuilles que par sa composition féminine : sept femmes sur une équipe de 24 ministres, soit un taux de 29 %. Une première.
D’autant que les sept femmes ministres n’ont pas hérité, comme il est de coutume, de portefeuilles secondaires mais de départements stratégiques.
Ainsi, c’est l’ancienne directrice régionale de la santé Nadia Rmili qui a été nommée ministre de la Santé avant qu’elle ne décide de se consacrer à la gestion de la métropole, où elle a été élue maire en septembre, devenant ainsi la première présidente du conseil de la ville de Casablanca.
Elle a été remplacée par Khalid Ait Taleb, qui occupait le même poste au gouvernement de Saâdeddine el-Othmani.
« Cette nomination intervient conformément aux exigences constitutionnelles, et sur la base de la demande soumise par Aziz Akhannouch de relever de ses fonctions gouvernementales la nouvelle ministre, qui a déposé une demande pour se consacrer pleinement à ses fonctions de maire de Casablanca », indique un communiqué du cabinet royal le 14 octobre.
Six femmes restent depuis aux commandes de portefeuilles importants : les Finances, le Tourisme, l’Énergie, l’Urbanisme et l’Habitat, la Solidarité et l’Insertion sociale, la Transition numérique et la Réforme administrative.
« Un tiers du nouveau gouvernement [est] constitué de femmes à la tête de départements structurants. Encourageant pour la parité au Maroc. Beaucoup reste à faire », s’est félicitée le 8 octobre sur Twitter Amina Bouayach, la présidente du Conseil national des droits de l’homme.
Tributaires de leur tutelle
Une manière de se démarquer des deux gouvernements précédents dirigés par les islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD). Dans sa version première, le gouvernement Saâdeddine el-Othmani, nommé en mars 2017, comptait une seule ministre et sept autres femmes secrétaires d’État.
Problème : six secrétaires d’État n’avaient jamais reçu leurs arrêtés d’attribution, un texte publié au bulletin officiel qui délimite leur pouvoir et leur champ d’action. Incapables de prendre officiellement la moindre décision, elles étaient tributaires de la signature du ministre de tutelle.
Une situation à laquelle a mis fin un remaniement en 2018, où tous les secrétariats d’État ont été supprimés.
« Il faut reconnaître que ces postes de secrétaires d’État avaient été créés pour donner un visage féminin au gouvernement mais il n’y avait aucune volonté de leur donner le pouvoir »
- Un ancien membre du gouvernement Othmani
« Il faut reconnaître que ces postes de secrétaires d’État avaient été créés pour donner un visage féminin au gouvernement mais il n’y avait aucune volonté de leur donner le pouvoir. C’est pourquoi les ministres n’avaient pas signé les arrêtés d’attribution », témoigne un ancien membre de l’équipe Othmani.
Une incohérence à laquelle le gouvernement Akhannouch tente de remédier.
En témoigne la nomination d’une femme, pour la première fois dans l’histoire du Maroc, au ministère de l’Économie et des Finances. Ancienne ministre du Tourisme, Nadia Fettah Alaoui a un profil qui tranche avec celui de ses prédécesseurs.
Contrairement à ces derniers, comme Mohamed Benchaâboun et Mohamed Boussaid, tous deux de hauts commis de l’État ayant occupé sous le règne de Mohammed VI des postes importants dans l’administration, Nadia Fettah Alaoui, 50 ans, a fait l’essentiel de sa carrière dans le secteur privé.
Diplômée en 1994 de l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC Paris), l’ancienne ministre du Tourisme a occupé le poste de consultante pour le célèbre cabinet d’audit Arthur Andersen, avant de se lancer à son propre compte en créant, en 2000, Maroc Invest Finances Group, une entreprise de capital-investissement.
Cinq ans plus tard, elle a rejoint le groupe Saham de l’ancien ministre de l’Industrie Moulay Hafid Elalamy.
Désormais aux Finances, elle aura la lourde tâche d’améliorer les équilibres macro-économiques en pleine crise tout en permettant au gouvernement de réaliser son ambitieux programme, qui prévoit entre autres un revenu minimum et des allocations familiales au profit des personnes âgées et des ménages démunis, ainsi qu’une augmentation des salaires des enseignants débutants de 2 500 dirhams (près de 240 euros).
Autre poids lourd de ce gouvernement : Leila Benali, nommée ministre de la Transition énergétique et du Développement durable. Économiste en chef de l’International Energy Forum, passée par le géant saoudien Aramco, l’Arab Petroleum Investments Corporation et le World Economic Forum, elle est depuis 2018 membre du groupe d’experts en énergies fossiles auprès de l’ONU.
L’ingénieure devra entre autres gérer le projet de construction d’une station de transformation du gaz liquéfié en gaz naturel.
« L’importance de ce projet et les conditions du marché national et régional ont suscité l’intérêt d’un nombre important de sociétés nationales et internationales », a annoncé un communiqué de son département le 15 octobre, deux semaines avant la fin du contrat de transit du Gazoduc Maghreb-Europe (GME) liant le royaume à l’Algérie.
« Pas là pour faire de la figuration »
Il en est de même pour le ministère du Tourisme confié à Fatima-Zahra Ammor. Ancienne directrice marketing du groupe Akwa (qui appartient à Aziz Akhannouch), cette ingénieure de l’École nationale supérieure des techniques avancées (ENSTA Paris) devra réanimer un secteur stratégique pour le royaume durement touché par la pandémie.
« Les négociations ont parfois été dures car chacun des partis [le Rassemblement national des indépendants, le Parti authenticité et modernité et le parti de l’Istiqlal] voulait arracher le maximum de portefeuilles, mais un principe était posé dès le début : que les femmes soient fortement représentées et qu’elles ne soient pas là pour faire de la figuration », confie à MEE une source qui a suivi les tractations.
Ces nominations répondent aussi aux recommandations du Nouveau modèle de développement (NMD), la nouvelle « bible » du gouvernement et des partis.
Élaboré par une commission d’experts nommée par Mohammed VI en 2019 pour dessiner un nouveau modèle de développement pour le royaume, le NMD aspire à ériger au rang de principe « l’attachement à l’égalité femmes-hommes et la consécration de la place et du rôle de la femme dans l’économie et dans la société ».
« L’égalité de genre et la participation de la femme dans la société sont aujourd’hui des marqueurs importants du développement. Leur renforcement constitue l’un des enjeux majeurs du Maroc moderne », indique le rapport, qui aspire à hisser le taux d’activité des femmes à 45 % à l’horizon 2035 au lieu de 22 % actuellement.
« La résorption des inégalités hommes-femmes, notamment en matière d’accès à l’emploi, générerait un supplément annuel de croissance du PIB entre 0,2 % et 1,95 %. »
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