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Football : l’« affaire Delort » ou la partie immergée d’une lutte commerciale

La mise à l’écart de l’attaquant de l’OGC Nice par le coach algérien Djamel Belmadi met en lumière le bras de fer entre les clubs européens et les sélections nationales africaines
Andy Delort, dans le maillot de l’OGC Nice, après un but contre l’AS Monaco, le 19 septembre 2021 (AFP/Valery Hache)
Andy Delort, dans le maillot de l’OGC Nice, après un but contre l’AS Monaco, le 19 septembre 2021 (AFP/Valery Hache)
Par Nazim Bessol à ALGER, Algérie

Des vidéos de séances de musculation et d’entraînement dignes d’un film américain, des posts et des déclarations d’amour pour la sélection algérienne savamment partagés sur les réseaux sociaux et, enfin, une photo avec le passeport algérien dans les mains à la sortie du consulat d’Algérie à Montpellier.

C’est ainsi qu’Andy Delort avait fait campagne au printemps 2019 pour rejoindre les Verts (l’équipe nationale de l’Algérie). Ses performances sous les couleurs du MHS Montepllier et la détermination qu’il affiche à jouer aux côtés de Riyad Mahrez et Sofiane Feghouli, deux stars de la sélection algérienne, vont payer.

En juin 2019, alors qu’Haris Belkebla, le joueur du Stade brestois, est exclu du groupe pour des raisons disciplinaires, Djamel Belmadi choisit Delort pour le remplacer.

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Pourtant, Delort ne figurait pas sur la liste des joueurs retenus par le patron des Verts, Djamel Belmadi, pour la 32e édition de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) en Égypte en 2022.

Dans la foulée, le nouveau venu dispute son premier match avec les Verts, face au Mali à Doha en amical (3-2), et signe son premier but pour sa première apparition. Quelques semaines après, il participe au sacre continental au Caire.

Transféré cet été à l’OGC Nice, Delort est l’auteur d’un bon début de saison. Appelé au mois de septembre pour le coup d’envoi des éliminatoires de la Coupe du monde Qatar 2022, son absence de la liste de Djamel Belmadi un mois plus tard soulève donc de nombreuses interrogations et vire à la polémique.

« Excessif »

Le 7 octobre, Djamel Belmadi, longtemps dans la retenue, décide, en conférence de presse, de lever le voile sur l’absence de son joueur.

« Il y a quatre à cinq jours, le joueur [Andy Delort] m’envoie un message en me disant ‘’privilégier son club dans une concurrence avec Dolberg et Gouiri’’ [deux autres joueurs de Nice] et ‘’mettre en pause la sélection pendant un an’’. Donc, évidemment, pas de CAN [Coupe africaine des nations]. Ce qui m’avait été dit un mois plus tôt a été confirmé par le joueur lui-même », explique-t-il.

L’annonce a l’effet d’une bombe en Algérie et bien au-delà. Le joueur, le club et son coach tentent d’atténuer cette version en évoquant l’absence d’un document signé.

Christophe Galtier, l’entraîneur de l’OGC Nice, juge même le sélectionneur algérien « excessif » : « Belmadi, je l’ai connu quand il était joueur. Il était déjà excessif. Hier, je l’ai encore trouvé très excessif. » 

Mais les témoignages de soutien à Djamel Belmadi et dénonçant le comportement de l’attaquant de l’OGC Nice sont aussi nombreux.

Tout comme l’ancien sélectionneur des Bleus, vice-champion du monde en 2006, Raymond Domenech, Carine Galli de la chaîne l’ÉquipeTV n’apprécie pas le choix de Delort : « Les Didier Drogba et Samuel Eto’o, c’était leur bonheur absolu de jouer avec leur sélection, même s’il y a des problèmes internes… La sélection, ce n’est pas un paillasson. Ce n’est pas par intérim », a taclé la journaliste.

Un bonheur que le Malien Frédéric Kanouté avait payé cash en 2004, puisqu’il avait été mis sur la touche et sommé par le club anglais de West Ham de trouver un nouveau point de chute pour avoir rejoint le nid des Aigles (la sélection malienne). 

Plus récemment, plusieurs internationaux camerounais sont passés à côté du sacre des Lions indomptables (équipe du Cameroun), champions de la CAN 2017 au Gabon, parce qu’ils avaient justement privilégié leur club.

Lobbying des grands clubs européens

Parfois, des blessures « diplomatiques » sont invoquées pour garder le joueur. Ce fut le cas de Sadio Mané, alors pensionnaire de Southampton. Alors que son club tentait de le retenir en prétextant une blessure, la fédération sénégalaise – autorisée par les règlements à constater une blessure – a fait venir le joueur. Et une contre-visite a permis par la suite à Sadio Mané de rester avec le groupe et de prendre part au tournoi. 

Des situations que ne peut ignorer le sélectionneur de l’Algérie, Djamel Belmadi, ex-joueur professionnel. 

Mais au-delà du cas individuel d’Andy Delort et des réactions suscitées, le coup de gueule du coach algérien lève le voile sur un comportement face auquel les fédérations se retrouvent souvent désarmées. Une véritable lutte qui tourne souvent au bras de fer.

Pour Issa Hayatou, ex-président de la la Confédération africaine de football, la CAN doit se jouer en hiver (AFP/Gabriel Bouys)
Pour Issa Hayatou, ex-président de la la Confédération africaine de football, la CAN doit se jouer en hiver (AFP/Gabriel Bouys)

Même si les dispositions de la FIFA obligent les clubs à mettre les joueurs à disposition des sélections, certains, réticents à laisser leurs joueurs partir en pleine saison, tentent encore de les retenir, surtout lorsqu’arrive la CAN.

Il arrive aussi que la compétition africaine fasse l’objet d’un deal, comme ce fut le cas pour l’autre international algérien, Islam Slimani. Approché par l’OGC Nice, le meilleur buteur de l’histoire des Verts a été catégorique lorsque le club lui a expliqué qu’il devait faire l’impasse sur la CAN pour signer.

« Slimani était demandé par Nice. Ils lui ont proposé la même chose qu’à Delort [de ne pas jouer avec l’Algérie]. Slimani a dit : ‘’Même pas en rêve.’’ Chacun place le curseur de son amour pour son pays où il veut », expliquait Djamel Belmadi au micro de RMC Sport le 14 octobre.

Le lobbying exercé par les plus grands clubs européens a fini par payer après la chute de Issa Hayatou en 2017 et l’arrivée d’Ahmad Ahmad à la tête de la Confédération africaine de football (CAF).

Le « glissement » de la CAN de l’hiver à l’été a été rapidement acté : l’Égypte a ainsi accueilli le premier tournoi à 24 équipes à l’été 2019.

Une décision motivée à l’époque par l’ex-président de la CAF Ahmad Ahmad : « C’est ce que les gens veulent. C’est ce qui rassure et donne plus de sérénité à nos joueurs. Et nous, on est là pour protéger ces joueurs », expliquait-il avant d’être suspendu et condamnée à cinq ans d’interdiction de toutes activités liées au football par la FIFA pour « manquement à son devoir de loyauté, détournements de fonds, acceptation et distribution de cadeaux ou autres avantages, et abus de pouvoir ».

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Mais la réalité climatique a rapidement renversé la situation et validé la position de l’ex-président de la CAF Issa Hayatou (1988 à 2017) qui a toujours refusé de déplacer la plus prestigieuse compétition africaine, défendant le fait qu’« il fait trop chaud en Afrique du Nord, trop humide en Afrique centrale et trop froid dans le sud ».

En janvier 2020, la CAN a, à nouveau, été programmée en hiver pour l’édition 2022 au Cameroun.

Un rétropédalage qui a fait dire à Jürgen Klopp, l’entraîneur de Liverpool qui compte dans ses rangs le Sénégalais Sadio Mané et l’Égyptien Mohamed Salah : « L’organisation de la Coupe d’Afrique des nations en janvier et février est une catastrophe pour nous, qui nous fait perdre trois joueurs », en invitant la FIFA, l’UEFA et les fédérations de chaque pays « à se réunir pour finir par régler ça ».

Bien avant lui, Christian Gourcuff, passé par la sélection algérienne (2014-2016) avant de poser ses valises au Stade de Reims, avait aussi qualifié la CAN d’« aberration » puisque « tous les joueurs [évoluent] en Europe ». 

Cette position pourrait se compliquer davantage avec le nouveau projet de la FIFA et de son président, Gianni Infantino, d’organiser la Coupe du monde tous les deux ans.

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