Le naufrage de la gauche révolutionnaire algérienne
« Honnêtement, nous n’avons pas d’implantation réelle dans la population. » La voix sereine, le verbe pesé et l’esprit toujours révolté, Mohand-Sadek Akrour garde son âme révolutionnaire malgré le poids des ans.
Issu du Parti socialiste des travailleurs (PST, troskyste), ce professeur d’université est maire de Barbacha (Béjaïa, Kabylie). Il est le seul maire élu dans les rangs de la gauche révolutionnaire algérienne depuis l’indépendance.
La sentence de Mohand-Sadek Akrour peut paraître sévère à l’encontre d’un courant politico-idéologique qui fait de la défense des plus faibles un sacerdoce. Mais la réalité est bien là : la gauche révolutionnaire algérienne est quasiment absente de la scène politique.
Et cela se vérifie davantage à l’orée des élections locales (municipales et départementales) qui se tiendront en Algérie le 27 novembre. Ces partis politiques ne sont pas les seuls à rejeter ce scrutin, notamment en raison de l’adoption par de nombreuses formations politiques de différents horizons d’une politique hostile à l’ensemble du processus électoral qu’organise l’actuel pouvoir.
Mais cela fait bien longtemps qu’ils ne peuvent plus se prévaloir d’une vraie présence sur le terrain. Pour preuve, en 2017, le Mouvement démocratique et social (MDS, issu de l’ancien Parti communiste algérien, PCA) n’était pas parvenu à trouver suffisamment de militants pour constituer une liste de candidats aux élections législatives dans la circonscription d’Alger.
Depuis la chute du mur
Pour comprendre ce recul, il faut remonter le cours de l’histoire. La chute du mur de Berlin en novembre 1989 a provoqué l’éclatement de l’Union soviétique, qui fit le lit de toutes les gauches mondiales.
« On ne peut pas prendre l’Algérie comme exemple en l’isolant de son contexte global, mondial. Le recul a eu lieu il y a de cela plusieurs années. Surtout après la disparition du bloc de l’Est en 1989, et l’éclatement de l’ex-URSS », explique à Middle East Eye Mohand-Sadek Akrour.
« Les partis de l’ex-bloc socialiste dont dépendait l’ex-PAGS [Parti d’avant-garde socialiste, issu du PCA], actuel MDS, se sont effondrés après la chute de l’ex-URSS car les intérêts des peuples, notamment ceux opprimés par l’impérialisme, étaient subordonnés à ceux du Kremlin », raconte à MEE un autre militant de gauche sous couvert d’anonymat.
« Après 1962, la plupart des mouvements révolutionnaires étaient basés en France, au sein de l’émigration. Ils étaient coupés de leur société. Leurs tentatives d’intervenir dans la clandestinité en Algérie étaient très limitées »
- Nedjib Sidi Moussa, docteur en science politique
Mais il n’y a pas que cela. « Si l’on veut comprendre la situation en Algérie, il serait éminemment réducteur de se restreindre à une analyse tronquée qui ignore les séismes politiques que le monde a vécus à la fin des années 1970 et 1980 et qui, de fait, ont façonné la scène politique internationale et pesé par ailleurs lourdement sur le cours des événements en Algérie », analyse pour sa part Moulay Chentouf, président du Parti pour la laïcité et la démocratie (PLD, une scission du MDS), à MEE.
« Après 1962, la plupart des mouvements révolutionnaires étaient basés en France, au sein de l’émigration. Ils étaient coupés de leur société. Leurs tentatives d’intervenir dans la clandestinité en Algérie étaient très limitées. Il leur était difficile de se réunir, de faire circuler des tracts, de s’implanter », argumente pour sa part le politologue Nedjib Sidi Moussa, auteur d’un livre sur les mouvements révolutionnaires en Algérie, Dissidences algériennes : une anthologie, de l’indépendance au hirak, paru cet été aux éditions Asymétrie.
Cet éloignement des partis révolutionnaires algériens de la population, Mohand-Sandek Akrour l’explique à sa manière.
« Organiquement, nous ne parvenons pas à recruter, à construire des appareils, des partis. Nous sommes beaucoup plus actifs dans les syndicats, dans les mouvements sociaux. C’est une forme d’opportunisme », admet-il.
Ce constat s’est d’ailleurs imposé lors du soulèvement populaire du 22 février 2019 (hirak) alors que les forces politiques de l’opposition échouaient à canaliser la déferlante populaire qui poussa l’ancien président, Abdelaziz Bouteflika, à la démission.
« À partir du moment où la classe politique n’a pas été à l’initiative du mouvement citoyen du 22 février et qu’elle a été incapable d’éclairer sa marche, elle a signé son acte de décès. C’est ce qui explique que ce mouvement populaire ne se reconnaît dans aucune de ses composantes politiques et qu’il les rejette, dans la mesure où elles prolongent le souffle d’un système [politique] à l’agonie », reconnaît Moulay Chentouf.
Dissensions internes
Malgré cet affaiblissement qui s’est vérifié durant de longues années, les rares cadres militants qui restent encore en activité sont confrontés à des dissensions internes qui minent leurs partis et appareils.
Après avoir alterné entre mouvement clandestin et soutien « critique », stratégie consistant à soutenir le système politique de Houari Boumediène durant les années 1960 et 1970 tout en se permettant quelques critiques à l’intérieur des institutions, le PAGS, aujourd’hui MDS, se retrouve en lambeaux.
En une dizaine d’années, il s’est scindé en trois groupes distincts. « Quel est l’enjeu politique primordial du pays désormais : le projet de société moderniste ou la question sociale, en d’autres termes, ces deux objectifs sont-ils à hiérarchiser comme par le passé ou bien à inscrire en synergie dans un seul combat ? », interroge Moulay Chentouf, lui-même issu de ces divisions au sein de l’ancien PCA.
D’autres partis ont fait le choix d’autres formes de lutte.
Issu du mouvement trotskyste, le Parti des travailleurs (PT), que dirige depuis 1990 Louisa Hanoune, a fait sa mue. Il se considère désormais comme un « parti socialiste » et compte en son sein des cadres qui n’ont pas forcément la culture de la gauche radicale.
C’est d’ailleurs le seul parti politique né de cette gauche révolutionnaire à avoir accepté de participer quasiment à toutes les échéances électorales en s’appuyant sur d’autres thèmes que la défense des intérêts ouvriers.
Si pour Sidi Moussa, ce parti « s’est décrédibilisé par son rapprochement avec les autorités, notamment sous le régime de Bouteflika », les militants du PT voient les choses autrement.
Pour l’un d’eux, qui compte plusieurs années de militantisme, le PT a « véritablement montré par ses campagnes politiques – sur les questions démocratiques, sociales et nationales, les droits des femmes, la lutte contre l’oligarchie et les privatisations des hydrocarbures des entreprises publiques – qu’il était ancré à gauche en défendant la souveraineté nationale ».
« Quel est l’enjeu politique primordial du pays désormais : le projet de société moderniste ou la question sociale, en d’autres termes, ces deux objectifs sont-ils à hiérarchiser comme par le passé ou bien à inscrire en synergie dans un seul combat ? »
- Moulay Chentouf, président du Parti de la laïcité et la démocratie
Si les militants de la gauche révolutionnaire étaient souvent assimilés à la classe ouvrière, le profil des militants de cette mouvance a beaucoup changé.
« De nos jours, les militants qui se revendiquent de la gauche gravitent pour l’essentiel dans certains milieux, ceux de la petite bourgeoisie ou des classes moyennes. Ils sont reconnaissables à leur mode de vie, leurs expressions, leur façon de s’habiller », affirme Nadjib Sidi Moussa, qui précise que même dans les syndicats, les adhérents ne « se recrutent pas dans les couches les plus précaires mais appartiennent à des catégories qui jouissent déjà d’un statut qui les protège, comme les fonctionnaires et les salariés du secteur public ».
Pour contourner cette réalité, des militants de cette mouvance réfléchissent à de nouvelles formes de lutte.
Pour Akrour, « il faut aller vers les citoyens » et « ne pas attendre » une action pour la récupérer. Mais pour cela, admet-il, il y un impératif : « Sans l’adhésion de la population, rien n’est possible. »
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