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L’Algérie face au spectre de la fin du pétrole

Face à l’explosion de la demande nationale en énergie et à la baisse de la production pétrolière, l’Algérie veut développer les énergies renouvelables, séduire les investisseurs étrangers et réduire les subventions. Mais n’est-il pas trop tard ? 
Aucun secteur de l’économie n’apparaît en mesure de remplacer même très partiellement et dans un délai aussi court les hydrocarbures, qui représentent encore aujourd’hui près de 95 % des recettes extérieures du pays (AFP/Ryad Kramdi)
Aucun secteur de l’économie n’apparaît en mesure de remplacer même très partiellement et dans un délai aussi court les hydrocarbures, qui représentent encore aujourd’hui près de 95 % des recettes extérieures du pays (AFP/Ryad Kramdi)

C’est dans son style très personnel que, le 21 novembre, le président algérien fixait, à l’occasion d’un Conseil des ministres, « un délai maximum de trois mois, pour la transformation énergétique, utilisant l’énergie solaire, dans certaines institutions et infrastructures de l’État, notamment les secteurs de la santé et de l’éducation ».

Abdelmadjid Tebboune a voulu souligner ainsi « l’importance de rationaliser la consommation interne de gaz, afin de préserver les ressources énergétiques et d’augmenter les capacités d’exportation ».

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Il a également exigé que « toutes les municipalités du pays utilisent l’énergie solaire pour l’éclairage public, y compris les autoroutes et les zones montagneuses » et annoncé la création d’un Haut Conseil de l’énergie. La même annonce, formulée exactement dans les mêmes termes, avait déjà été faite en juin 2020 à l’occasion d’un autre Conseil des ministres.

Si le président algérien se montre aussi impatient de voir se développer l’usage des énergies renouvelables, et si la création d’une institution chargée du pilotage du secteur de l’énergie apparaît aujourd’hui de plus en plus urgente, c’est qu’une inquiétude sourde monte au sein des milieux dirigeants algériens. 

Et pour cause : la production et les réserves d’hydrocarbures étant en baisse depuis près de quinze ans, les experts sont de plus en plus nombreux à prévoir le tarissement du surplus exportable d’ici à 2030.

Une consommation nationale qui absorbe 60 % de la production

Les exportations reculent déjà fortement en volume alors que la consommation interne explose, et c’est le président Tebboune lui-même qui assurait voici quelques mois que la consommation nationale de gaz absorberait bientôt près de 60 % de la production locale. 

Son ministre de l’Énergie, Mohamed Arkab, affirmait lui aussi devant les députés qu’à l’horizon 2025-2030, un déficit structurel entre l’offre et la demande « impacterait négativement les engagements du pays envers les clients étrangers ». 

D’ailleurs, en février, le très sérieux site Bloomberg se demandait : « L’Algérie est-elle encore un pays pétrolier ? », affirmant que sa production en baisse constante « représente à peine plus de 1 % de celle de l’OPEP ».

S’il y a un domaine dans lequel les Algériens n’ont pas à se plaindre de l’État, c’est bien celui des prix de l’énergie. Le litre d’essence ou de gasoil est vendu en moyenne plus de trois fois moins cher qu’au Maroc et deux fois moins cher qu’au Qatar

Comment en est-on arrivé là ? S’il y a un domaine dans lequel les Algériens n’ont pas à se plaindre de l’État, c’est bien celui des prix de l’énergie. 

En Algérie, le litre d’essence ou de gasoil est l’un des moins chers du monde, vendu en moyenne plus de trois fois moins cher qu’au Maroc et plus de deux fois moins cher qu’en Tunisie. Il est même deux fois moins cher qu’au Qatar, qui dispose pourtant de plus d’un siècle de réserves d’hydrocarbures. 

Sans parler de la Norvège, qui a beaucoup plus de pétrole que l’Algérie, et qui vend son carburant… dix fois plus cher.

L’écart avec le reste du monde est encore plus sensible pour le prix de l’électricité. En Algérie, un ancien ministre de l’Énergie, Mustapha Guitouni, calculait que le kilowattheure était facturé cinq fois moins cher qu’au Maroc.

Stimulée par des prix généreusement subventionnés, la croissance de la consommation des produits énergétiques est estimée à près de 10 % par an pour les carburants selon des chiffres officiels (AFP)
Stimulée par des prix généreusement subventionnés, la croissance de la consommation des produits énergétiques est estimée à près de 10 % par an pour les carburants selon des chiffres officiels (AFP)

Stimulée par des prix aussi généreusement subventionnés, la croissance de la consommation des produits énergétiques est carrément vertigineuse : près de 10 % par an pour les carburants selon des chiffres officiels. 

L’Algérie produit et consomme déjà plus de 15 millions de tonnes de carburants. Elle en a importé pour plus de 3 milliards de dollars supplémentaires par an en moyenne, entre 2011 et 2019. 

Un ancien ministre des Finances, Abdellatif Benachenhou, évalue le coût annuel des subventions énergétiques à près de 20 milliards de dollars (17 milliards pour l’électricité et les carburants et 3 milliards pour l’eau). 

Un impact sur les réserves d’hydrocarbures

En plus de son coût financier colossal au regard des ressources du pays, l’explosion de la consommation interne a également eu un impact important sur les réserves algériennes d’hydrocarbures et le surplus exportable.

Plus de 55 % du pétrole brut produit en Algérie est déjà transformé en carburants. C’est également le cas de près de la moitié de la production gazière qui est déjà consommée dans les centrales thermiques du pays en produisant la quasi-totalité de son électricité. 

En conséquence, l’Algérie, qui exportait près de 65 milliards de mètres cubes de gaz voici moins d’une décennie, peinera à exporter un volume de 40 milliards de m3 en 2021. 

Abdellatif Benachenhou annonçait déjà en 2015 que la consommation subventionnée du gaz et du pétrole, dont le taux de croissance ne cesse d’augmenter, « conduira[it] dans moins d’une dizaine d’années à l’épuisement du surplus exportable ».

Plus de 55 % du pétrole brut produit en Algérie est déjà transformé en carburants. C’est également le cas de près de la moitié de la production gazière qui est déjà consommée dans les centrales thermiques du pays

Pour un pays comme l’Algérie, qui n’a pas été capable d’exploiter la rente pétrolière pour diversifier significativement son économie au cours des décennies écoulées, les conséquences pourraient être dramatiques.

Aucun secteur de l’économie n’apparaît en mesure de remplacer même très partiellement et dans un délai aussi court les hydrocarbures, qui représentent encore aujourd’hui près de 95 % des recettes extérieures du pays.   

La problématique à laquelle sont confrontés les dirigeants algériens est donc de gagner du temps. Il s’agit d’infléchir les courbes de déclin de la production et de croissance accélérée de la consommation interne. 

Les pistes permettant d’éviter le scenario catastrophe d’un tarissement brutal de la rente pétrolière ont été identifiées de longue date. Il s’agit à la fois de relancer la production et l’exploration grâce au partenariat international, de promouvoir les énergies renouvelables et de freiner la consommation grâce à une réforme des subventions.

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En juin 2019, c’est en plein hirak et au sein d’une Assemblée nationale assiégée par les manifestants venus en nombre pour dénoncer un « bradage des ressources nationales » que les députés algériens avaient adopté dans l’urgence une nouvelle loi sur les hydrocarbures.

« Notre terre n’est pas à vendre et notre pétrole n’est pas à dilapider », avait scandé la foule à tue-tête en réclamant la dissolution de l’assemblée.

La confection d’une nouvelle loi était pourtant réclamée depuis des années par les cadres de Sonatrach, la société nationale des hydrocarbures, et du secteur de l’énergie. Car même les efforts du géant pétrolier national ne sont pas en mesure d’enrayer ce déclin pétrolier qui paraît irréversible, principalement en raison du vieillissement des grands gisements historiques.

Des appels d’offres infructueux

Confrontée à une baisse drastique de ses recettes, passées de 80 milliards de dollars en 2008 à 35 milliards de dollars en 2019 et à peine 20 milliards de dollars en 2020, Sonatrach ne peut pas non plus mener les efforts d’exploration susceptibles d’assurer un renouvellement des réserves et la relance de la production.

Le recours au partenariat international s’avère donc indispensable non seulement par son apport financier mais également technologique. 

« La façon d’exploiter les gisements, le volume du gaz réinjecté pour maintenir la pression sur les champs et surtout le taux de récupération des réserves existantes ont un urgent besoin d’innovation et de modernisation », confie à Middle East Eye un ancien dirigeant de Sonatrach. 

Malheureusement, la plupart des appels d’offres lancés par l’Algérie au cours des dernières années pour la recherche et l’exploration pétrolière se sont avérés infructueux. 

D’où la décision prise d’un nouveau toilettage du cadre juridique du secteur pétrolier finalement adopté au début de l’été 2019. Il doit surtout se traduire par une simplification de la réglementation et d’importantes incitations fiscales. 

Pour attirer les investisseurs étrangers dans le secteur pétrolier, l’État algérien a simplifié la réglementation et concédé d’importantes incitations fiscales (AFP/Ryad Kramdi)
Pour attirer les investisseurs étrangers dans le secteur pétrolier, l’État algérien a simplifié la réglementation et concédé d’importantes incitations fiscales (AFP/Ryad Kramdi)

« Le texte de loi sur les hydrocarbures, adopté par l’Assemblée nationale populaire [ANP], prévoit de réduire de plus de 20 % la pression fiscale supportée par Sonatrach et ses partenaires étrangers, la portant de 85 % actuellement à 60-65 % », indiquait en juillet 2019 le chef du groupe de travail chargé de l’élaboration de cette loi, Toufik Hakkar, depuis devenu le nouveau PDG de Sonatrach. 

Près de deux ans et demi après cet accouchement au forceps, la question du cadre juridique est loin d’être réglée et le secteur continue de subir le poids de ses lourdeurs administratives presque légendaires.

Les décrets d’application n’ont pas encore été publiés bien que trois ministres se soient succédé à la tête du secteur depuis l’adoption de la nouvelle loi par le Parlement. Ils sont annoncés désormais pour le premier semestre de l’année 2022.

Une étape qui sera cependant loin d’être suffisante pour garantir le succès de l’opération. C’est l’avis de l’Oxford Institute for Energy Studies qui considère, dans une récente étude, que « l’adoption d’une loi plus attrayante sur les hydrocarbures est une condition nécessaire, mais pas suffisante, pour relancer l’hydrocarbure algérien en amont ».

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Pour l’institut de recherche britannique, « l’un des principaux obstacles auxquels se heurtent les investisseurs internationaux en Algérie est la lourdeur du système administratif, qui retarde considérablement tous les processus de délivrance de permis et d’approbation permettant de développer et de mettre en œuvre des projets ».

Dans leur effort visant à associer les partenaires internationaux à la relance de la production, les responsables du secteur pétrolier algériens sont encore bien loin d’être au bout de leurs peines. Leurs initiatives récentes interviennent en effet sans doute au plus mauvais moment.  

Départ d’Anadarko et de BP

Au cours des dernières années, la crise liée au réchauffement climatique a mis l’ensemble de l’industrie pétrolière mondiale sous forte pression. 

L’énergie fossile n’a plus la cote auprès des banquiers, les pétroliers internationaux regardent désormais du côté de l’électricité verte. Par ailleurs, les financements disponibles pour de nouveaux investissements dans l’énergie fossile deviennent plus rares. 

En Algérie, des partenaires internationaux importants ont annoncé leur départ du pays et cédé leurs participations. C’est le cas de l’américain Anadarko, responsable du redémarrage de la production algérienne dans les années 1990, qui a décidé de quitter l’Algérie en 2019, plaçant Sonatrach dans l’obligation de racheter ses participations.

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En juin 2021, c’est British Petroleum qui a annoncé la vente de ses actifs algériens, finalement repris in extremis par l’italien ENI.

Le patron de Sonatrach Tewfik Hakkar prenait récemment acte de façon désabusée de ce nouveau climat de l’investissement au sein du secteur pétrolier, affirmant que « quand bien même les textes de loi relatifs à la nouvelle législation sur les hydrocarbures adoptée en 2019 auraient été élaborés à temps, cela ne changerait rien à la situation actuelle du processus de désinvestissement. Les investissements dans les hydrocarbures ont baissé de 1 000 milliards de dollars ces dernières années ». 

En février 2021, Abdelmadjid Attar, alors ministre de l’Énergie, s’exprimait avec une franchise inhabituelle pour un responsable algérien de ce niveau. Il affirmait dans une émission de la radio publique que « l’Algérie a[vait] raté la transition énergétique à en juger par la part de la production de l’énergie renouvelable dans le mix [répartition des différentes sources d’énergies primaires] national ».  

Il faut dire que depuis l’année 2011, date à laquelle l’ex-président Bouteflika avait érigé le développement des énergies renouvelables en « priorité nationale », les choses évoluent avec une lenteur désespérante en matière d’énergies renouvelables. 

Abdelmadjid Attar, ex-ministre de l’Énergie, avait dénoncé l’existence d’un « lobby gazier » (AFP/Ryad Kramdi)
Abdelmadjid Attar, ex-ministre de l’Énergie, avait dénoncé l’existence d’un « lobby gazier » (AFP/Ryad Kramdi)

En 2010, l’objectif était de 22 000 MW à l’horizon 2030. Le programme a été revu à la baisse en 2019, avec un objectif de 4000 MW à l’horizon 2024 et 15 000 MW à l’horizon 2035.

« Au bout de dix ans, on n’a rien réalisé ou presque, soit moins de 400 MW. Le lancement d’un appel d’offres à destination des opérateurs privés pour une nouvelle tranche de 150 MW en juin 2019 a donné un résultat insignifiant avec seulement 50 MW de retenus, mais non démarrés à ce jour », soulignait Attar au début de l’année. 

C’est ce constat accablant qui lui vaudra sans doute son poste (il sera limogé quelques semaines plus tard) : l’ancien ministre avait aussi ouvertement critiqué les options excessivement « gazières » des gouvernements algériens, qui les ont conduits à adopter dès 2013 un gigantesque programme d’investissement estimé à 40 milliards de dollars dans la construction de centrales thermiques. 

Abdelamadjid Attar avait jugé publiquement ce programme « surdimensionné », critiquant à demi-mot l’existence d’un « lobby gazier » et estimant qu’une partie de ce montant aurait dû être consacré aux énergies renouvelables.  

Il était allé jusqu’à boycotter l’inauguration en octobre 2020 d’une vaste usine de production de turbines à gaz installée à Batna, dans l’est du pays, dans le cadre d’un partenariat entre le monopole public Sonelgaz et l’américain Général Electric, principal bénéficiaire des contrats de réalisation de centrales thermiques algériennes au cours de la décennie écoulée. 

Une réforme des subventions « imminente »

Fin novembre, on pensait qu’une étape importante venait d’être franchie sur la voie de la réforme des subventions qui grèvent littéralement les finances du pays. 

En adoptant la loi de Finances pour 2022, les députés approuvaient également une disposition historique prévoyant la levée progressive des subventions actuelles et leur remplacement par un système de transfert monétaire direct au profit des catégories sociales les plus pauvres. 

Cette réforme, qui alimente le débat public depuis plus de dix ans, est annoncée comme « imminente » par les gouvernements successifs depuis le milieu de la décennie écoulée.

À peine quelques jours plus tard, Abdelmadjid Tebboune indiquait au cours d’une rencontre télévisée avec des journalistes algériens que « les mécanismes de cette révision n’étaient pas encore arrêtés », soulignant que cette réforme « nécessite un certain niveau de numérisation et des statistiques précises sur les revenus en vue de classer les catégories pauvres, moyennes et riches ». 

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Ce sont les mêmes arguments qui avaient déjà conduit en 2015 et en 2016 à renvoyer à des jours meilleurs la réforme des subventions, pourtant déjà inscrite au programme du gouvernement algérien.

À l’époque déjà, le think tank algérien Nabni avait réagi en avertissant : « Cette temporisation sine die de la réforme des subventions nous expose au risque d’être plus tard obligés de la mettre en œuvre dans l’urgence, sur un échéancier plus serré et sous contrainte budgétaire sévère. » 

Si les différentes parades à l’extinction brutale de la rente pétrolière algérienne existent dans le débat public et font même partie des programmes gouvernementaux depuis près d’une décennie, aucune d’entre elles n’a pour l’instant reçu un début d’application significatif. 

Le changement de personnel politique intervenu depuis deux ans ne semble dans ce domaine n’avoir rien apporté de nouveau, si ce n’est le ton de plus en plus alarmant des déclarations des dirigeants algériens.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Hassan Haddouche est un journaliste algérien. Après avoir effectué des études d’économie en France et en Algérie, il débute sa carrière dans l’enseignement supérieur avant de rejoindre la presse nationale au début des années 1990. Il a collaboré avec de nombreux journaux (L’Observateur, La Tribune, La Nation, Liberté) et sites électroniques (Maghreb émergent, TSA) algériens.
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