Poutine « ne fait que se défendre » : à Alger, le cœur balance plutôt du côté russe
« Je pense que Poutine a raison de se montrer ferme. » Sereine, réfléchie et convaincue, Sarah explique à Middle East Eye que si les images des bombardements russes sur les villes ukrainiennes « ne sont pas belles à voir », la stratégie de Vladimir Poutine est « bonne ».
Pour cette étudiante en médecine à l’université de Constantine, originaire de la région de M’sila (est), « cela fait des années que les pays de l’OTAN provoquent la Russie ». « Il est donc normal que Moscou riposte. Que les Occidentaux arrêtent de donner des leçons sur les droits de l’homme, eux qui ont tué des milliers de civils en Irak, en Syrie et Libye ! »
À Alger, il n’est pas rare d’entendre des opinions favorables à la politique russe, nourries en grande partie par l’amitié entre les deux pays.
« Depuis son indépendance en 1962, le tropisme idéologique de l’Algérie a privilégié le système économique et politique soviétique et le pays, jusqu’à son ouverture au multipartisme à la fin des années 1980, a largement fait appel à l’assistance et à la supervision de Moscou », expliquait l’historienne Mansouria Mokhefi dans la revue Politique étrangère.
« L’effondrement de l’URSS et la guerre civile qui a ravagé l’Algérie dans les années 1990 ont refroidi les relations russo-algériennes durant une décennie. Après l’arrivée au pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika en 1999, les deux pays se sont rapprochés et les relations se sont renforcées sous la présidence de Vladimir Poutine. »
« Le plan diabolique des Occidentaux »
Salah, commerçant quinquagénaire, se dit « non partisan » mais pense que cette guerre « a mis à nu le plan diabolique des Occidentaux, pour ne pas dire les membres de l’OTAN, qui ont encouragé et poussé le président [ukrainien] Volodomyr Zelensky à bomber le torse devant une force allergique à toute menace stratégique ».
Cette « menace » se caractérise par « la volonté de l’OTAN d’avancer et de placer ses troupes et son matériel aux frontières de la Russie », analyse-t-il pour MEE.
« La Russie, qui se voit menacée par le bouclier qui se met en place à ses portes par l’OTAN, a voulu montrer sa puissance militaire avec cette guerre et surtout afficher qu’en ce moment, elle est la première puissance militaire mondiale », analyse aussi Mourad, la quarantaine, informaticien dans une administration publique.
Il qualifie la situation actuelle de « nouvelle guerre froide ». « Les États-Unis et la Russie sont en train de se livrer une autre guerre froide », avance-t-il, avant de rappeler que « cette guerre est perdue d’avance pour les Américains et les Européens », qui seront « les premiers à être affectés » par « les sanctions infligées à la Russie ».
Installé depuis quatre ans à Rostov, une ville située à quelques kilomètres de l’Ukraine, dans le sud-est de la Russie, Saïd est une star de YouTube.
Sur sa chaîne, il raconte sa vie depuis le début de la guerre. Accompagné de Zay, sa femme russe, il tente d’expliquer les raisons du conflit par la volonté du président ukrainien de « ramener l’OTAN » aux « frontières de la Russie ».
S’adressant à ses concitoyens qui lui demandaient une explication sur les raisons du conflit, il résume la situation ainsi : « Imaginez votre voisin ramenant votre ennemi devant votre porte : vous réagissez automatiquement. » Saïd se ressaisit vite : « Je ne suis en faveur d’aucune des parties », nuance-t-il.
« La responsabilité sur les épaules de l’OTAN »
Si d’autres Algériens ont une lecture critique de l’invasion russe en Ukraine – à l’instar de Djaffer Lakhdari, activiste politique, qui regrette sur sa page Facebook qu’« aucune voix en Algérie ne prenne en considération la culture des pays d’Europe centrale qui ont toujours considéré, et pour cause, la Russie comme une menace mortelle » –, la critique de l’impérialisme occidental n’est jamais très loin.
Le célèbre sociologue algérien Lahouari Addi écrit ainsi le 2 mars dans le journal Liberté : « Si un animal se sent menacé, il attaque pour se défendre et pour défendre son territoire. C’est à la lumière de cette grille anthropologique que doit être lue l’invasion de l’Ukraine par la Russie. »
Et il note que « si la Russie a tort d’envahir son voisin, la responsabilité pèse sur les épaules de l’OTAN qui, après la disparition de l’URSS, a élargi son espace en y incluant des pays de l’Europe de l’Est au lieu de se dissoudre ».
Sur le site Algérie Patriotique, une tribune défend même le choix de l’invasion russe en la qualifiant de « nécessaire » : « Elle [la guerre] constitue un front de résistance à la montée du fascisme en Occident et le danger qu’il fait peser sur la paix dans le monde et le salut de l’humanité, elle est surtout nécessaire parce qu’en s’attaquant à un allié génocidaire de l’Occident, elle constitue un affront à la propension de celui-ci à se considérer le maître du monde, s’auto-attribuant la prérogative de désigner des États souverains par le qualificatif d’États voyous, légitimant leur destruction et le massacre aveugle de leurs populations dans l’impunité et l’inaction totale des institutions internationales. »
Du coté officiel, les autorités algériennes ne se sont pas exprimées sur la guerre en Ukraine. Elles ont juste exigé de l’ambassade d’Ukraine, qui avait diffusé le 27 février un post pour appeler les Algériens à partir combattre les Russes, que la publication soit retirée.
Alliée traditionnelle de la Russie, dont elle est le premier client pour l’achat d’armement (près de deux milliards de dollars en 2020), l’Algérie fait partie des 37 nations qui se sont abstenues de voter, le 2 mars, la résolution « exigeant que la Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine »
Alliée traditionnelle de la Russie, dont elle est le premier client pour l’achat d’armement (près de deux milliards de dollars en 2020), l’Algérie fait partie des 37 nations qui se sont abstenues de voter, le 2 mars, la résolution « exigeant que la Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine ».
L’Association des journalistes sportifs algériens (AJSA) a réagi à l’interdiction de diffusion des chaînes de télé russes RT et Sputnik prise par l’Union européenne en exprimant son refus « d’exclure des confrères sous prétexte politique ».
Elle a aussi rejeté la proposition introduite par l’Association des journalistes ukrainiens auprès de l’Association internationale de la presse sportive (AIPS) d’exclure l’Association des journalistes sportifs russes et biélorusses.
« Nous condamnons bien évidement la guerre et l’usage de la force, mais exclure des confrères au motif que leur pays est impliqué dans une guerre est inacceptable et impensable », a commenté son représentant, Nazim Bessol, propriétaire du quotidien sportif Botola et du site d’information Foot Afrique. « Pourquoi donc ne pas exclure l’association sioniste [d’Israël] et celle d’autres pays impliqués dans des conflits armés ? »
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