Mosquée al-Aqsa : zoom sur les incursions et raids israéliens
Les colons et activistes d’extrême droite israéliens, presque toujours protégés par la police, pénètrent dans la mosquée al-Aqsa quasi quotidiennement, affichant un mépris total pour l’administration musulmane palestinienne du site et pour les milliers de fidèles généralement présents.
Les incursions controversées sont depuis longtemps source de tensions et de violences contre les Palestiniens à Jérusalem-Est et au-delà.
Pour les Palestiniens, elles s’inscrivent dans une stratégie israélienne de plusieurs décennies visant à judaïser la ville et à la débarrasser de son patrimoine palestinien, chrétien comme musulman.
Pour les groupes israéliens d’extrême droite, il s’agit du premier pas pour poser les fondations d’un Troisième Temple qui sera construit sur les ruines de la mosquée, selon leurs croyances.
Middle East Eye revient sur l’histoire des incursions israéliennes à al-Aqsa et les raisons pour lesquelles elles sont controversées pour les Palestiniens et les musulmans en général.
Que sont les incursions israéliennes à al-Aqsa ?
Les Palestiniens qualifient l’entrée non approuvée de tout Israélien dans le complexe de la mosquée al-Aqsa d’incursion de colons.
Dans le cadre d’un accord entre la Jordanie (gardienne des sites islamiques et chrétiens à Jérusalem) et Israël, les non-musulmans sont autorisés à visiter al-Aqsa sous la supervision du Waqf, institution islamique jordano-palestinienne qui gère la mosquée.
L’accord stipule que seuls les musulmans sont autorisés à prier à l’intérieur, tandis que les juifs peuvent prier au mur des Lamentations (aussi appelé Mur occidental). Les autorités israéliennes, quant à elles, contrôlent la sécurité de la mosquée.
Cependant, Israël ignore cet arrangement précaire, souvent surnommé « statu quo », et passe outre le Waqf.
Ces dernières années, les forces israéliennes, des colons et des personnalités politiques ont fait irruption à plusieurs reprises dans la mosquée, sans autorisation des Palestiniens.
Ces incursions ont parfois mené à d’importants affrontements, puis à une répression israélienne des Palestiniens.
Avant l’an 2000, le Waqf contrôlait les visites des non-musulmans sur le site via un système de réservation. Celui-ci a été abrogé par Israël après la Seconde Intifada, qui s’est achevée en 2005. Aujourd’hui, des dizaines de colons et d’activistes d’extrême droite israéliens visitent l’esplanade des Mosquées quasi quotidiennement, escortés par les forces israéliennes.
Que veulent les groupes israéliens d’extrême droite ?
Plusieurs groupes d’extrême droite, principalement sioniste religieux, organisent des incursions à al-Aqsa.
On les surnomme parfois les « groupes du Temple » et parmi eux figurent des organisations telles que l’Institut du Temple et le mouvement des Fidèles du mont du Temple et d’Eretz Yisrael.
Les Israéliens appellent ces incursions l’« ascension au mont du Temple » et certains demandent qu’Israël affirme la souveraineté juive totale sur le site, autorisant les prières juives et les sacrifices rituels.
Certains plaident en outre pour la destruction de la mosquée al-Aqsa, persuadés que deux antiques temples juifs se dressaient là autrefois, afin de faire place à un troisième temple.
Des adeptes d’autres branches du judaïsme, principalement ultra-orthodoxes, interdisent ces visites en raison de la sainteté du site dans la tradition juive.
Que se passe-t-il lors des incursions ?
Ces incursions sont planifiées tous les jours, à l’exception des vendredis et samedis. Par le passé, les colons évitaient d’entrer dans la mosquée lors des fêtes musulmanes, mais les choses ont changé ces dernières années.
Protégés par des policiers lourdement armés, les colons pénètrent sur l’esplanade des Mosquées en deux groupes pour réciter des prières, effectuer des rituels et présenter le site à leurs visiteurs.
La première visite se passe généralement entre 7 h 30 et 10 h 30 (heure locale) et la seconde entre 13 h 00 et 14 h 00. Il n’y a pas de prière musulmane à ces moments-là et la mosquée est normalement quasi vide.
Chaque visite dure environ d’une demi-heure à une heure, et commence à la porte des Maghrébins (Bab al-Magharba) au sud-ouest du complexe.
Les colons se dirigent ensuite vers la partie sud-est et passent par la salle de prière Qibli avec le dôme d’argent, bâtiment principal du site où ont lieu les prières en assemblée. Puis, ils prennent la direction du nord-est et de l’ouest avant de revenir à leur point de départ et de sortir par la porte de la Chaîne (Bab al-Silsila).
Par le passé, les visites duraient dix à quinze minutes, commençaient à la porte des Maghrébins et s’achevaient à la porte de la Chaîne, à quelques mètres de là. Les visites se sont allongées progressivement au fil des ans, en dépit des objections répétées des Palestiniens.
Pour éviter les tensions, la police israélienne tentait auparavant d’empêcher les visiteurs juifs de prier à al-Aqsa, car la prière non musulmane est un sujet particulièrement sensible.
Cependant, aucune loi israélienne n’empêche explicitement les juifs de le faire, et la police semble avoir changé de politique récemment.
Le Waqf a documenté des exemples de prières et rituels juifs lors d’incursions. En août 2021, le New York Times a rapporté que le gouvernement israélien avait « sans bruit » autorisé la prière juive, sans en faire la publicité.
Quand ont commencé les incursions ?
Les incursions dans le complexe de la mosquée al-Aqsa ont commencé dès l’occupation israélienne de la partie est de la ville en 1967, en plus de la Cisjordanie et de la bande de Gaza.
Les soldats qui ont pris la ville ont pénétré sur l’esplanade des Mosquées le 7 juin 1967, érigeant le drapeau israélien et interdisant la prière musulmane pendant une semaine.
En 1982, le juif israélo-américain Alan Goodman, qui avait des liens avec le mouvement violent pro-colons Kach, a pénétré dans le complexe avec un fusil automatique et a tiré sans discrimination à l’intérieur du dôme du Rocher, tuant deux Palestiniens et en blessant neuf autres.
En 1990, un groupe israélien, le mouvement des Fidèles du mont du Temple et d’Eretz Yisrael, a tenté de placer une pierre angulaire pour le Troisième Temple dans le complexe. Les forces israéliennes ont répondu par des tirs à balles réelles pour mettre un terme aux affrontements et manifestations des Palestiniens, tuant plus d’une vingtaine de personnes et en blessant au moins 150 autres.
Plus tard, le gouvernement israélien a autorisé l’ouverture d’un tunnel vers le mur des Lamentations, sous les fondations du complexe d’al-Aqsa, et continue de financer des fouilles archéologiques aux abords de la mosquée, lesquelles sont gérées par des groupes de colons juifs.
En septembre 2020, Ariel Sharon, alors leader de l’opposition, a fait irruption dans le complexe de la mosquée al-Aqsa, soutenu par des centaines de policiers lourdement armés. Sa visite, considérée par les Palestiniens comme une grande provocation et un manque de sensibilité quant au caractère sacré de la mosquée, a déclenché la Seconde Intifada, qui a duré cinq ans.
Citant des raisons de sécurité, Israël a révoqué l’administration des visites par le Waqf après l’Intifada.
Cela a ouvert la voie à des visites plus organisées de colons et activistes d’extrême droite israéliens, protégés par la police. À compter de 2017, ces incursions ont été organisées sous le format quotidien qu’on connaît actuellement.
Des dizaines de personnes assistent à chaque visite, leur nombre s’élevant à plusieurs centaines lors des fêtes juives telles que Pessah, Pourim, la Journée de Jérusalem et autre. Par exemple lors de la Journée de Jérusalem en 2018, plus de 1 600 colons ont fait irruption dans la mosquée.
Le nombre de visiteurs a progressivement augmenté au fil des ans. En 2009, 5 658 colons étaient entrés dans la mosquée par le biais de ces visites. En 2019, juste avant la pandémie de covid, ce nombre s’est élevé à 30 000 selon certaines estimations.
Comment les Palestiniens voient-ils ces incursions ?
Pour les Palestiniens, ces incursions constituent une tentative de judaïser la mosquée al-Aqsa, troisième lieu saint de l’islam, révéré par les musulmans à travers le monde et symbole de la culture et de l’existence des Palestiniens.
Selon les traditions islamiques, prier sur le site engendre une plus grande récompense divine et les musulmans économisent généralement plusieurs années pour se rendre sur ce lieu saint. Pour de nombreux Palestiniens, le protéger est un devoir à la fois religieux et national.
Étant donné qu’Israël alloue des périodes spécifiques à l’entrée des juifs et leur permet d’y prier, les Palestiniens craignent qu’il s’agisse de mesures visant à diviser la mosquée entre juifs et musulmans, comme ce qui s’est passé pour la mosquée d’Ibrahim à Hébron, divisée dans les années 1990.
Le contrôle d’Israël sur Jérusalem-Est, y compris la vieille ville, va à l’encontre de plusieurs principes du droit international, lesquels stipulent qu’une puissance occupante n’a aucune souveraineté sur le territoire occupé et ne peut y apporter de changements permanents.
Pour mettre un terme aux incursions, les Palestiniens organisent depuis longtemps ce qu’on appelle le « ribat », un sit-in social et religieux au cours duquel les fidèles se rassemblent dans la mosquée pendant de longues heures, voire des jours.
Le but du ribat est d’occuper les lieux à tout moment pour empêcher les colons israéliens d’entrer dans la mosquée, en particulier lors des fêtes musulmanes.
À plusieurs occasions, la police israélienne a fait irruption sur le site de la mosquée al-Aqsa pour évacuer les fidèles participants au ribat, en particulier avant les fêtes juives.
Les incursions les plus récentes ont eu lieu en mai 2021, lorsque les forces israéliennes ont utilisé des gaz lacrymogènes, des grenades assourdissantes et des balles recouvertes de caoutchouc sur l’esplanade des Mosquées lors du Ramadan, faisant des centaines de blessés.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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