Bistrots modernes et livres de recettes, le renouveau de la gastronomie palestinienne
Depuis les ruelles millénaires de la vieille ville de Jérusalem jusqu’aux cuisines d’établissements branchés à l’étranger, un vent de renouveau souffle sur la gastronomie palestinienne, qui reste attachée à ses traditions ancestrales et rencontre un franc succès.
Dès la porte d’entrée de Taboun, les effluves du pain cuit dans le four traditionnel en terre cuite chatouillent les narines des gourmets, qui se pressent dans le bistrot du quartier chrétien de la vieille ville.
Au menu : des focaccias italiennes mais surtout des mets locaux, aubergines généreusement recouvertes de tahini (crème de sésame) et de grenade, manoushé au zaâtar (pain plat recouvert d’un mélange d’épices au thym) et pizzas arméniennes au bœuf haché, le lahmajoun, des plats locaux typiques et populaires qui s’arrachent aujourd’hui comme des petits pains, souligne Nassar Odeh, interrogé par l’AFP en juillet et propriétaire de l’établissement.
La scène culinaire locale est en train de « changer pour le mieux », estime-t-il. « De nombreux Palestiniens sont désireux de promouvoir leur cuisine », loin des gargotes de la vieille ville souvent spécialisées dans un seul type de plat, ici des falafels, là des sandwichs shawarma.
« Lorsqu’elles viennent de Gaza, elles ont meilleur goût »
En ouvrant Taboun l’an passé dans ce qui était la boutique familiale de souvenirs, M. Odeh ambitionnait de mettre en avant les produits palestiniens. Dans ce restaurant à la décoration moderne et avec un bar aux pierres apparentes sont proposés des vins et bières en provenance de Cisjordanie occupée.
« C’est extrêmement important car cela met l’accent sur la présence palestinienne et l’entrepreneuriat. Nous devons être fiers de nos produits », affirme-t-il.
Pour Dalia Dahdoub, manager de Taboun et propriétaire de bars à Bethléem et Jéricho, il s’agit aussi de cuisiner « davantage des produits que les gens ne connaissent pas », en provenance de zones locales.
Ainsi sa carte sera bientôt enrichie d’aubergines provenant des terrasses de Battir près de Bethléem, site inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, et de tomates venant de Gaza, enclave sous blocus israélien d’où sont autorisés à sortir quelques produits agricoles.
« Lorsqu’elles viennent de Gaza, elles sont réellement rouges et elles ont meilleur goût », explique Dalia Dabdoub.
Les établissements palestiniens branchés ont récemment essaimé, autant à l’intérieur de la vieille ville que dans le quartier palestinien de Sheikh Jarrah, dans le secteur oriental occupé et annexé par Israël, ou encore jusqu’à Ramallah en Cisjordanie occupée.
« C’est un super départ, nous n’en sommes qu’au début », s’enthousiasme Izzeldin Bukhari, qui organise des cours de cuisine et des visites guidées sur la gastronomie locale.
« Tout le monde faisait quasiment la même chose mais récemment je vois des gens lancer de nouvelles idées », dit-il à l’AFP.
Des livres par dizaines
Chef palestinien renommé installé à Londres depuis plus de vingt ans, Sami Tamimi se rappelle qu’« il y a dix ans, si vous alliez voir un éditeur pour publier un livre de recettes palestiniennes, il répondait ‘’mais qui va l’acheter ?’’ ».
Aujourd’hui, les livres se comptent par dizaines. En 2020, il a signé avec Tara Wigley Falastin (Palestine en arabe), grandement inspiré de ses souvenirs culinaires, lui qui est imbattable lorsqu’il s’agit de vanter l’exquisité des feuilles de vigne et des chou-fleurs frits glissés dans du pain, son encas lorsqu’il était écolier.
À Londres, il a plusieurs restaurants chics avec son associé, le chef israélien Yotam Ottolenghi.
Les Israéliens se sont montrés plus performants pour promouvoir la gastronomie locale, souligne Izzeldin Bukhari, faisant référence à l’image répandue d’un sandwich falafel dans lequel est planté un petit drapeau israélien.
Les Palestiniens n’ont jusqu’à présent pas suffisamment exploité leur cuisine, et un « vide » s’est créé dans lequel les Israéliens se sont engouffrés, explique-t-il. « Plus on parlera de notre culture et de notre nourriture et plus on comblera ce vide », dit-il.
Le mouvement a d’ores et déjà débuté. Le chef Fadi Kattan, de Bethléem, va ouvrir un restaurant à Londres cette année.
Sami Tamimi est lui attendu en octobre au prestigieux hôtel American Colony à Jérusalem, où il officiera pendant deux semaines. Une expérience qu’il renouvelle après un premier passage au cours duquel il avait adapté la carte du restaurant à la cuisine locale.
« C’était la première fois que je travaillais avec une équipe complétement palestinienne », dit-il. « C’est une bonne chose. »
Par Rosie Scammell.
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