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Les pétillants turcs s’invitent à la table des fêtes

Derrière ce succès se cache une fabrication presque entièrement manuelle à partir du « Pinot noir turc », qui était menacé de disparition dans les années 1980, mais qui a été ressuscité grâce aux efforts des chercheurs et vignerons turcs
La Turquie a perdu depuis près d’un siècle sa réputation d’antan, assise sur une tradition millénaire, de grand pays producteur de vin (AFP/Adem Altan)
La Turquie a perdu depuis près d’un siècle sa réputation d’antan, assise sur une tradition millénaire, de grand pays producteur de vin (AFP/Adem Altan)
Par AFP à ANKARA, Turquie

Grâce à des producteurs engagés qui misent sur les cépages autochtones, les vins pétillants turcs font une percée sur les tables de fêtes en Turquie et dans le monde.

Le succès ne semblait pourtant pas évident au départ, la Turquie ayant perdu depuis près d’un siècle sa réputation d’antan, assise sur une tradition millénaire, de grand pays producteur de vin.

« Notre production s’épuise très vite. On n’arrive pas à répondre à la demande croissante. Surtout à l’approche du Nouvel An », assure Candas Mısır, directeur du domaine Vinkara qui, le premier en 2006, a élaboré des pétillants blancs et rosés selon la méthode champenoise traditionnelle, à partir de ses vignes de Kalecik, à 80 km d’Ankara, la capitale turque. 

Traduction : « Pris dans la symphonie de la production, un aperçu de ‘’Yaşasın’’ sur le tapis roulant. Alors que nous nous préparons pour les fêtes de fin d'année, le rythme de fabrication de ‘’Yaşasın’’ scintille de promesses de célébration. »

Depuis, d’autres vignobles turcs ont suivi et proposent des bruts, qui rappellent le célèbre champagne sans pouvoir en utiliser l’appellation, ultra-contrôlée, mais élaborés selon les mêmes critères.

« On a eu un accueil très réservé au début. Les gens s’interrogeaient : ‘’Comment cela, un vin pétillant turc ?’’ », se souvient Candas Mısır. « Mais une dégustation suffit à faire disparaître ces préjugés. »

Offrant un arôme très floral avec des notes fruitées, rappelant les crémants d’Alsace, « Yaşasın » (« Vive ! » en turc) a ainsi remporté en 2020 la médaille d’or au concours des Effervescents du Monde organisé en France.

« Le Pinot noir turc »

Derrière ce succès se cache une fabrication presque entièrement manuelle à partir du cépage autochtone Kalecik Karası (le « Noir de Kalecik », en turc), surnommé « le Pinot noir turc », qui était menacé de disparition dans les années 1980, mais qui a été ressuscité grâce aux efforts des chercheurs et vignerons turcs.

Pour Burak Demirel, œnologue et enseignant en vinification à l’université Namık Kemal, la redécouverte des cépages locaux a joué un rôle clé dans le succès récent des vins tranquilles et effervescents turcs.

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« Les universités et les vignerons font un travail extraordinaire. Ils ont recensé plus de 800 cépages autochtones. C’est un potentiel énorme que la Turquie a sous-exploité pendant des années. Elle était pour cette raison connue comme la géante assoupie de la viticulture », raconte-t-il.

« On assiste aujourd’hui à son réveil, avec pratiquement un lancement tous les deux ans d’un vin produit à partir d’un nouveau cépage ».

Ainsi, entre 2004 et 2022, la production de vins tranquilles a triplé. Elle a même été multipliée par cinq pour les pétillants, atteignant respectivement 78 millions de litres et 2,4 millions de litres en 2022, selon les chiffres officiels.

Pour Andrea Lemieux, installée depuis onze ans à Istanbul et auteure d’un guide sur les vins turcs, tout en misant sur la qualité, les vignerons ont aussi soigné le marketing, surtout auprès des blogueurs spécialistes du vin qui ont fleuri ces dernières années.

« Il y a tellement de gens qui écrivent sur les vins turcs et qui viennent spécialement en Turquie pour les déguster. Grâce à eux, les vins pétillants turcs sont de plus en plus connus », indique-t-elle.

« La Turquie est au sixième rang mondial des producteurs de raisin avec 4,1 millions de tonnes. Mais seulement 4 % de cette récolte est destinée à la vinification »

- Ali Basman, président de l’Association des producteurs de vin

« Je connais deux boutiques de vin à Washington, aux États-Unis, qui ont été très vite en rupture de stock après avoir commencé à vendre le Yaşasın de Vinkara. Il y a un intérêt réel », estime-t-elle.

Cependant l’exportation reste pour l’instant limitée, avec seulement 30 000 litres en 2022, selon les statistiques officielles.

La concurrence est rude il est vrai avec leurs rivaux européens, espagnols, italiens, souvent moins chers.

« Les gens sont soucieux du prix, surtout lorsqu’ils connaissent mal. Pourtant, la qualité est là », affirme Andrea Lemieux. 

« La Turquie est au sixième rang mondial des producteurs de raisin avec 4,1 millions de tonnes. Mais seulement 4 % de cette récolte est destinée à la vinification. Nous sommes loin d’accomplir notre potentiel », avait déploré en 2021 le président de l’Association des producteurs de vin Ali Basman dans la presse turque.

Produire ou consommer du vin est par ailleurs devenu plus cher et plus difficile sous le gouvernement islamo-conservateur du président Recep Tayyip Erdoğan, qui a durci la législation et augmenté les taxes sur les boissons alcoolisées.

Le réveil de la « géante assoupie » prendra encore du temps mais Burak Demirel demeure confiant.

« Il y a une jeune génération de producteurs et d’œnologues turcs qui font beaucoup de recherches et sont à la pointe des nouveautés. L’avenir des vins turcs, pétillants et tranquilles est brillant », affirme-t-il. 

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