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L’arrivée du guide Michelin à Istanbul, une bénédiction et une malédiction à la fois

Bien que le guide culinaire de renommée mondiale ait relancé le secteur de la restauration après deux années difficiles en raison de la pandémie, il fait également monter la pression
Le chef Fatih Tutak en cuisine à Istanbul (document fourni/Ibrahim Özbunar)
Le chef Fatih Tutak en cuisine à Istanbul (document fourni/Ibrahim Özbunar)

Le rêve de chaque chef est d’obtenir des étoiles au prestigieux guide Michelin, réputé dans le monde entier. Étant donné qu’Istanbul est de plus en plus encensée pour sa scène culinaire, il n’est pas surprenant que la Turquie ait récemment fait la une des journaux après la reconnaissance de plus d’une cinquantaine de restaurants de la ville : cinq restaurants ont décroché un total de six étoiles au Michelin.  

Au fil des ans, Istanbul est devenue un melting pot des cuisines arménienne, roumaine, circassienne, juive, russe et des Balkans, ce qui lui a valu une place confortable en tant que 38e destination de choix dans le petit livre rouge. 

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En plus des étoiles Michelin, une dizaine d’établissements turcs ont également reçu un Bib Gourmand, décerné aux restaurants pour leur excellent rapport qualité-prix. 

Ces étoiles n’auraient pas pu mieux tomber et on espère qu’elles stimuleront les secteurs de la restauration et du tourisme qui ont subi un coup dur en raison du covid.

Rien qu’en 2021, trois restaurants par jour en moyenne ont mis la clé sous la porte à Istanbul.

« Je ne m’attendais pas à ça, je suis très enthousiaste… il est très difficile de faire ce travail dans ce pays aujourd’hui, c’est une grande motivation », a déclaré Zeynep Pınar Taşdemir, première cheffe à obtenir une étoile Michelin en Turquie, lors de la cérémonie. 

Étoiles et surprises 

Pour Defne Tüysüzoğlu, directrice pour la Turquie du Cordon Bleu, cours de cuisine de renommée internationale, l’arrivée du guide Michelin en Turquie présente de nombreux avantages. 

« Voir le guide arriver en Turquie est important pour nous, cela fait connaître Istanbul et la cuisine turque. Les touristes voyageant à l’étranger consultent ce livret pour choisir les restaurants où ils vont. Bien sûr, cela entraînera une augmentation des revenus », confie-t-elle à Middle East Eye.

« Mais cela permettra également de rehausser plus largement les normes du secteur. Les chefs et les restaurateurs ont maintenant un nouvel objectif, à savoir entrer dans le guide », ajoute-t-elle.

Les étoiles du Michelin ont créé un buzz autour des restaurants à Istanbul. Sade a reçu un Bib Gourmand du Guide Michelin (document fourni/Sade Restaurant)
Les étoiles du Michelin ont créé un buzz autour des restaurants à Istanbul. Sade a reçu un Bib Gourmand du Guide Michelin (document fourni/Sade Restaurant)

Déjà, les restaurants qui viennent d’être étoilés suscitent l’intérêt. Par exemple, Türk, désormais deux étoiles au Michelin, a actuellement une liste d’attente de six mois pour une table. 

La cheffe Deniz Şahin, titulaire d’un Bib Gourmand, dit connaître un regain d’intérêt similaire et n’avoir même pas eu le temps de se remettre du choc de la récompense avant que son téléphone ne commence à sonner encore et encore, avec au bout du fil des gens souhaitant réserver dans son petit restaurant, spécialisé dans les plats régionaux et de saison. 

 Selon la cheffe Deniz Şahin, il y a maintenant de longues listes d’attente pour obtenir une table depuis l’attribution des étoiles Michelin (document fourni/Sade Restaurant)
Selon la cheffe Deniz Şahin, il y a maintenant de longues listes d’attente pour obtenir une table depuis l’attribution des étoiles Michelin (document fourni/Sade Restaurant)

« Je suis en plein marathon. Je n’avais absolument pas imaginé que je constaterai l’effet de la récompense dès le lendemain matin. J’ai été particulièrement surprise le soir de la remise des prix, puis par l’impact de celle-ci au restaurant le lendemain matin. Ma clientèle a triplé », assure-t-elle à MEE

Pour d’autres lauréats, comme Sofyalı 9, le regain d’intérêt n’est peut-être pas aussi extrême, mais toute augmentation des réservations est toujours la bienvenue, car de nombreux restaurants ont été durement touchés pendant la pandémie. 

« Pour moi, Michelin signifie gastronomie et je n’aurais jamais pensé que nous pourrions être sélectionné », explique Didem Çolakoğlu Hoşgör, copropriétaire du restaurant, à Middle East Eye.

Elle dit qu’elle n’arrivait pas à y croire quand elle a entendu le nom de leur restaurant lors de la célébration diffusée en direct et a fondu en larmes.  

Le kaki mûr séché est l’un des desserts au menu de l’un des nombreux restaurants très appréciés d’Istanbul, le restaurant Türk (document fourni/Türk media)
Le kaki mûr séché est l’un des desserts au menu de l’un des nombreux restaurants très appréciés d’Istanbul, le restaurant Türk (document fourni/Türk media)

« Cinq restaurants de notre quartier ont été distingués par le Michelin. Cela seul fera renaître de ses cendres le secteur marqué par la pandémie. J’aimerais vraiment que nos clients turcs reviennent à Beyoğlu. »

Beaucoup pensent que les étoiles seront une source d’inspiration pour d’autres établissements. 

« Les gens qui veulent des étoiles au Michelin ou qui veulent une place sur la liste analyseront ce que nous avons fait ici et l’utiliseront comme exemple pour améliorer leurs normes et leur cuisine », prédit le chef Fatih Tutak à MEE.

Supporter la pression 

Alors que les chefs en Turquie apprécient les étoiles, on ne peut nier que les normes du Michelin sont difficiles à respecter. 

Le processus d’examen rigoureux et les critères ont poussé de nombreux chefs au bord du gouffre, certains ayant du mal à garder leur place. 

Didem Çolakoğlu Hoşgör, propriétaire de Sofyalı 9, affirme que le manque de main-d’œuvre fait qu’il est encore plus compliqué de les respecter. 

« Lorsque la pandémie a frappé, les personnes qui travaillaient en salle et en cuisine ont dû quitter Istanbul et retourner dans leur famille. Aujourd’hui, avec la flambée des prix des loyers et les hausses de prix, il est difficile pour eux de revenir à Istanbul », explique-t-elle.

« Nous avons perdu une main-d’œuvre précieuse. Nous ne trouvons pas de personnel. J’ai dû faire la vaisselle ces trois derniers jours parce que mon lave-vaisselle était en panne et que je n’arrivais pas à trouver quelqu’un à embaucher. » 

Les ingrédients locaux et de saison utilisés dans le restaurant primé Türk sont exposés (document fourni/Türk media)
Les ingrédients locaux et de saison utilisés dans le restaurant primé Türk sont exposés (document fourni/Türk media)

La cheffe Deniz Şahin dit avoir été prise au dépourvu le lendemain de la remise des prix.

« Bien que j’aie une équipe de base, il est difficile de trouver de la main-d’œuvre qualifiée pour des emplois auxiliaires, comme des plongeurs ou des serveurs. Les gens vont et viennent, il y a une forte rotation du personnel », déplore-t-elle.

Outre la main-d’œuvre, une autre préoccupation croissante est l’augmentation du coût des produits. Le prix de nombreux ingrédients change maintenant presque chaque semaine en raison de l’inflation, obligeant de nombreux restaurants à réévaluer les prix du menu. 

Rêver grand 

Malgré ces défis, de nombreux chefs sont déterminés à poursuivre leurs rêves.

Les étoiles du guide Michelin donnent à de nouveaux chefs l’envie de poursuivre leurs ambitions et d’ouvrir des restaurants réputés. 

« Je n’ai plus l’impression d’avoir à quitter la Turquie parce que je peux réaliser mon rêve ici, dans mon propre pays »

Ömer Farukhan Yalçin, étudiant et chef

Ömer Farukhan Yalçin, étudiant en troisième année à l’université, est l’un de ces chefs qui voient les étoiles Michelin comme une occasion de s’améliorer et d’apposer sa marque dans l’industrie culinaire.

Le jeune chef suit les tendances culinaires mondiales et est un habitué des restaurants gastronomiques. 

Aujourd’hui, son rêve d’avoir un restaurant étoilé au Michelin semble plus réalisable, dit-il.

« Je n’ai plus l’impression d’avoir à quitter la Turquie parce que je peux réaliser mon rêve ici, dans mon propre pays. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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