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Réduction de la production de pétrole par l’OPEP+ : les Saoudiens et les Émiratis testent-ils les limites d’un nouvel ordre mondial ?

Les deux pays du Golfe et leurs partenaires d’Asie de l’Ouest trouvent leur voie dans un monde qui n’est plus unipolaire
Des représentants de pays membres de l’OPEP participent à une conférence de presse à l’issue de la 45e réunion du Comité ministériel conjoint de suivi et de la 33e réunion ministérielle des pays membres et non membres de l’OPEP à Vienne (Autriche), le 5 octobre 2022 (AFP)
Des représentants de pays membres de l’OPEP participent à une conférence de presse à l’issue de la 45e réunion du Comité ministériel conjoint de suivi et de la 33e réunion ministérielle des pays membres et non membres de l’OPEP à Vienne (Autriche), le 5 octobre 2022 (AFP)

Le 5 octobre, les membres de l’OPEP+ ont annoncé un plan visant à réduire les objectifs de production de pétrole de 2 millions de barils à partir de novembre, ce qui constitue la première réduction de grande ampleur depuis 2020.

Avec une réduction effective de moins de la moitié de ce chiffre, les marchés pétroliers ont pour l’essentiel haussé les épaules, ne se renforçant que modestement. L’impact réel de la réduction sur le marché sera inférieur à la baisse annoncée.

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Étant donné que de nombreux pays membres du groupe sont déjà en dessous de leurs objectifs, la réduction nette de la production devrait se situer entre 600 000 et 900 000 barils par jour, ce qui n’est pas négligeable compte tenu des tendances récentes, mais pas aussi important que l’objectif affiché.

Toutefois, l’impact de cette réduction sur les politiques énergétiques et les relations entre les États-Unis et le Conseil de coopération du Golfe (CCG) et entre l’Occident et le CCG est bien plus important.

Cette décision renforce le climat de méfiance entre ces grandes économies en matière de politique énergétique et affaiblit la résilience en ce qui concerne la question latente de l’approvisionnement en combustible russe et les questions à plus long terme entourant la transition énergétique et les investissements.  

Au-delà de la réduction en soi, il y a les postures politiques et géopolitiques entourant l’annonce, qui soulignent la fragilité et la volatilité accrues du marché en amont d’un embargo de l’UE et d’un plafonnement des prix du pétrole russe par le G7.

Une demande faible

Malgré les efforts déployés pour se concentrer sur les aspects « techniques » de cette décision, les ministres de l’OPEP+ et les États-Unis n’ont guère contribué à désamorcer la situation.

Ainsi, les raisons partiellement économiques et commerciales de la réduction, notamment la faiblesse de la demande dans le monde, étaient perdues dans un océan de récriminations et de préoccupations au sujet de l’avenir. 

Du côté de la demande, les réductions décidées par l’OPEP+ reflètent des préoccupations relatives à la faiblesse de la demande mondiale, en particulier chinoise, toujours restreintes par les mesures de confinement sélectives liées au covid-19, à la faible demande des consommateurs et aux difficultés rencontrées par le marché immobilier.

Les réductions décidées par l’OPEP+ reflètent des préoccupations relatives à la faiblesse de la demande mondiale, en particulier chinoise, à la faible demande des consommateurs et aux difficultés rencontrées par le marché immobilier

L’annonce de cette réduction jusque fin 2023 implique un revirement majeur par rapport à l’opinion antérieure de l’OPEP selon laquelle une forte demande stimulerait la sollicitation du pétrole de l’OPEP l’année prochaine.

Les déceptions continuent en grande partie de venir de la Chine, où la politique « zéro covid » déprime encore la demande intérieure et la mobilité et où les difficultés rencontrées par le marché immobilier limitent d’autres segments de la demande à l’échelle nationale.

Compte tenu d’une certaine dégradation de la demande observée cet été, une part de cette réduction reflète les fondamentaux, même si les prix sont loin d’être bas. Les producteurs de pétrole rejettent une partie de la responsabilité sur d’autres éléments du complexe énergétique, notamment la forte hausse des prix du gaz naturel, qui exacerbe la faiblesse de la demande mondiale.

Les banques centrales étant contraintes d’adopter une attitude plus défensive, y compris dans les économies développées, le risque est que le ralentissement mondial soit plus important et frappe également la demande de pétrole.

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Dans l’ensemble, les pays continuent de préférer des coûts plus élevés pour des volumes plus faibles, d’autant qu’un grand nombre d’entre eux n’ont pas la flexibilité nécessaire pour procéder à une intensification. Confrontés à une baisse potentielle de leurs revenus après un début d’année 2022 solide, ils choisissent de privilégier des coûts plus élevés du baril plutôt que les parts de marché. 

L’argument selon lequel un prix plus élevé inciterait à investir davantage dans les pays de l’OPEP+ semble moins réaliste étant donné que les problèmes liés à une augmentation de l’offre sont loin d’être purement économiques.

Il s’agit notamment de problèmes intérieurs affectant un certain nombre de pays producteurs, conjugués à une demande intérieure croissante en Afrique.

Certains pays membres de l’OPEP+, notamment les Émirats arabes unis, ont augmenté leur capacité de production, qui reste largement supérieure à la production, tandis que certains pays non membres de l’OPEP, comme les États-Unis, augmentent également leur offre en fonction des arguments commerciaux, qui sont toutefois plus convaincants pour le gaz naturel.

Trouble-fête

La réunion a renforcé la préférence des dirigeants de l’OPEP, en particulier ceux du CCG, pour que la Russie fasse partie du groupe plutôt que d’en être exclue. Ce positionnement pourrait jouer le rôle de trouble-fête.

Celui-ci reflète les leçons tirées de la crise financière asiatique et de la crise financière mondiale, à savoir qu’il est préférable de préserver l’alignement des principaux producteurs.

Par ailleurs, ils montrent également qu’ils ne sont pas disposés à faciliter les efforts déployés par le G7 pour chasser le pétrole russe. Contrairement à des pays plus petits comme l’Iran et le Venezuela, il n’existe pas, loin s’en faut, de capacité de réserve suffisante au niveau mondial pour remplacer les volumes significatifs en provenance de Russie.

Le maintien des sanctions à l’encontre de ces deux pays est également une source de préoccupation. Alors que des volumes supplémentaires ne seraient pas les bienvenus à l’heure actuelle, le recours persistant de l’Occident aux sanctions pour restreindre l’approvisionnement en énergie demeure un motif d’inquiétude pour les producteurs.

Si les affirmations selon lesquelles les Saoudiens, les Émiratis et les autres pays membres de l’OPEP+ auraient un parti pris en faveur la Russie semblent exagérées, il est clair qu’ils ne cherchent pas à l’éviter.

Ils font partie de ces économies qui cherchent à préserver leurs liens avec la Russie et les États-Unis en même temps et qui sont prêts à opérer dans les zones grises, en s’engageant dans des flux commerciaux et financiers qui n’enfreignent pas directement les sanctions américaines mais qui présentent des risques et pourraient faire l’objet de futures restrictions.

Si les affirmations selon lesquelles les Saoudiens, les Émiratis et les autres pays membres de l’OPEP+ auraient un parti pris en faveur la Russie semblent exagérées, il est clair qu’ils ne cherchent pas à l’éviter

On y retrouve notamment la décision de conserver des investissements et des joint-ventures en Russie plutôt que de s’en retirer, en dépit de leur complicité dans la guerre, mais aussi, pour les Émirats arabes, le renforcement de son rôle de refuge.

En ce qui concerne l’Inde et la Turquie, le commerce avec la Russie a augmenté. Une grande partie de ces échanges est encore légale mais pose problème et ces pays subiront davantage de pressions pour se conformer aux contrôles des exportations élargis du G7.

Le cartel de producteurs a peu d’intérêt à faciliter la création d’un outil de fixation des prix provenant des acheteurs, qui plus est d’un outil qui pourrait être employé à d’autres fins géopolitiques.

De plus, ces pays s’inquiètent également de l’incertitude liée à la mise en place d’une série de nouvelles règles de conformité et de diligence raisonnable qui pourraient se traduire par des coûts supplémentaires pour le marché.

Des changements de cap majeurs peu probables

L’approche du G7 relative au plafonnement tire parti de la domination actuelle dans le domaine des services d’assurance et autres services s’adressant au commerce du pétrole. De nouveaux acteurs sont susceptibles d’apparaître pour fournir au moins certains de ces services d’assurance. 

Malgré leur méfiance à l’égard du plafonnement des prix, les pays membres de l’OPEP+ disposant de capacités chercheront probablement à tirer parti de l’arbitrage en achetant du combustible à prix réduit à la Russie et en vendant d’autres cargaisons sur les marchés mondiaux à des prix plus élevés. L’éventualité d’un mécanisme officiel demeure toutefois un sujet de préoccupation.

Les bruits émanant de Washington au sujet d’une refonte des relations ne feront que s’intensifier avec les discussions sur les ventes d’armes, l’emploi d’outils antitrust vis-à-vis de l’OPEP et les politiques régionales

Pourtant, cette décision ne fait que ramener à la surface certains des griefs et des différends qui s’accumulent depuis un certain temps. De nombreux pays membres de l’OPEP+, en particulier au sein du CCG, justifient leur démarche en soulignant que les objectifs de transition énergétique de l’UE et des États-Unis entraîneraient un sous-investissement dans le secteur de l’énergie.

Exprimant par ailleurs des préoccupations quant au potentiel d’un recours à la Strategic Petroleum Reserve (SPR), il était davantage dans leur intérêt d’assurer leurs arrières et de préserver un alignement moins manifeste avec l’Occident.

En parallèle, les États-Unis continuent de s’attendre à ce que des relations en matière de sécurité soient synonymes d’alignement et de soutien en faveur de leurs objectifs en matière de politique étrangère et économique. Mais ce lien est susceptible de se détériorer et de devenir potentiellement plus transactionnel, autour de domaines présentant un intérêt commun réel.

Les bruits émanant de Washington au sujet d’une refonte des relations ne feront que s’intensifier avec les discussions sur les ventes d’armes, l’emploi d’outils antitrust vis-à-vis de l’OPEP et les politiques régionales.

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Il est toutefois peu probable que des changements de cap majeurs se produisent, étant donné que les États-Unis accordent la priorité à leurs efforts visant à affaiblir le gouvernement russe et sa capacité militaire pour mettre fin à son conflit en Ukraine, en plus de se focaliser sur la concurrence avec la Chine.

Alors que les CCG et ses partenaires d’Asie de l’Ouest couvrent de plus en plus leurs arrières et trouvent leur voie dans un monde qui n’est plus unipolaire, ils s’apprêtent à tester ces limites.

Les producteurs d’énergie non membres de l’OPEP, comme le Qatar, pourraient également voir leur position renforcée, même si eux aussi couvrent leurs arrières et recherchent les meilleures opportunités de développement dans le secteur énergétique et en dehors.

Ces tendances sont susceptibles d’accroître la volatilité non seulement des marchés pétroliers, mais aussi de la géopolitique, et d’augmenter ainsi le risque d’un recours à des outils grossiers tels que des sanctions secondaires.  

- Rachel Ziemba, fondatrice de Ziemba Insights (expertise des risques et géoéconomie), est chargée de recherche au Center for a New American Security et au Gulf International Forum.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Rachel Ziemba is founder Ziemba Insights and adjunct fellow at the Center for a New American Security and Gulf International Forum.
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