À Marrakech, toute la vitalité des cinémas d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient
Communautés ensevelies sous la superstition, femmes fortes et indépendantes, poids de la religion, déracinement, relations complexes entre parents et enfants : certains des films projetés lors du Festival international du film de Marrakech (FIFM) 2022, qui s’est tenu du 11 au 18 novembre, présentent des points communs intéressants.
Si le Maroc, pays d’accueil du FIFM, y a logiquement été représenté de façon assez exhaustive (signalons à ce titre qu’un hommage a été rendu à la réalisatrice Farida Benlyazid et qu’une autre réalisatrice, Laïla Marrakchi, figurait parmi les membres du jury ; avec aussi l’actrice et réalisatrice libanaise Nadine Labaki), la Tunisie, via les brillants Ashkal et Sous les figues, est assurément le pays qui a le plus étincelé cette année.
Les bonnes (et moins bonnes) surprises de la Compétition officielle
La Compétition officielle, dont le jury a été présidé cette année par le réalisateur italien Paolo Sorrentino, comprend des premiers et seconds longs métrages réalisés par des cinéastes souvent débutants.
Snow and the Bear de la jeune réalisatrice turque Selcen Ergun est un très beau film d’atmosphère, où le récit se dilue progressivement dans une ambiance froide et trouble favorisant l’hypothèse d’une menace qui ne se concrétise jamais.
Avec ses multiples références au conte (Blanche-Neige, la figure de l’ours…), il questionne les rapports entre hommes et femmes via notre rapport à l’animal ou plutôt à notre animalité. Un premier film très prometteur.
Le deuxième long métrage du Tunisien Youssef Chebbi, Ashkal, est un faux film policier et un vrai film de fantômes. Par le biais d’un travail sidérant sur les architectures, les surcadrages et les lumières, le cinéaste évoque une Tunisie contemporaine hantée par les révolutions et les abus policiers des années 2010.
Une œuvre envoûtante, qui pose des questions en prenant soin, en écho à la situation toujours instable du pays, de ne pas y apporter de réponses.
Le premier long métrage d’Emad Aleebrahim Dehkordi, Chevalier noir, est davantage un film de scénario que de mise en scène. Le récit est classique (le mythe éternel d’Abel et Caïn transposé en Iran) mais les personnages sont attachants et bien interprétés. On peut imaginer que c’est ce qui a motivé le jury à lui décerner l’Étoile d’or (l’auteur de cet article aurait préféré voir cette récompense remise à Ashkal). Un film sans surprise mais prenant et efficace.
Le second long métrage de Maryam Touzani, Le Bleu du caftan, présente les mêmes qualités et défauts que son précédent, Adam. Du côté des qualités, le film fait montre d’une réelle sensibilité et d’une grande pudeur dans son approche d’un sujet délicat. Tout est suggéré, rien n’est verbalisé, la réalisatrice marocaine distillant son discours par un travail habile sur les regards, gestes et autres non-dits. Une vive émotion affleure parfois.
Malheureusement, le film remplit tout de même le cahier des charges Ali n’ Productions qui vise prioritairement un certain public occidental avide d’exotisme (le milieu de la médina, le hammam, les traditions vestimentaires) et de paternalisme de bon aloi (les éternels thèmes rebattus de la liberté d’aimer et du statut des femmes chez les voisins arabes gentiment barbares).
L’ensemble n’est guère aidé par le casting : les comédiens principaux, non marocains mais populaires à l’échelle internationale, ont un accent qui ôte toute crédibilité à leurs personnages. Le film a remporté le Prix du jury, ex-aequo avec Alma Viva de la Franco-Portugaise Cristèle Alves Meira, tout aussi folkloriste mais qui questionne le folklore davantage qu’il ne l’entretient.
Avec son premier long métrage de fiction, The Taste of Apples Is Red, le réalisateur d’origine syrienne Ehab Tarabieh raconte l’histoire d’un vieux cheik vivant dans un village du plateau du Golan syrien, occupé par Israël.
Il retrouve son frère qui était parti du côté israélien et se retrouve face à un dilemme entre le cacher ou le dénoncer. Un film profondément et désespérément triste, mais aussi très humaniste, qui évoque avec beaucoup de force et de métaphores (la réincarnation, le loup dans sa caverne…) l’absurdité politique et morale de telles situations.
Que retenir de la section Le 11e Continent ?
La section Le 11e Continent accueille des films plus confidentiels que ceux de la Compétition officielle, mais tout aussi exigeants et accessibles.
Pour son second long métrage, le cinéaste documentariste Adnane Baraka s’intéresse aux météorites échouant sur le sol marocain. Son Fragments of Heaven est un authentique chef-d’œuvre, à mille lieues des facilités du genre.
Le réalisateur diplômé de l’ESAV Marrakech filme des hommes qui cherchent des bouts de météores des heures durant, le nez courbé vers le sol, et qui parallèlement expriment en voix off leurs pensées et interrogations sur l’origine de la vie sur Terre, leur raison d’être et de se battre pour continuer à vivre dans un monde où ils peinent à trouver leur place.
Il y a du Patricio Guzmán et du Terrence Malick dans cette quête mystique contemplative et hypnotique, transcendée par un extraordinaire montage sonore qui nous emporte corps et âme dans les étoiles. Du Documentaire avec un grand D.
Le Champ des mots est un film documentaire libanais de Rania Stephan consacré à l’écrivaine syrienne Samar Yazbek. Le cinéma et la littérature peuvent-ils rendre compte de la tragédie de la guerre ?
Le film tente de répondre à ces questions au moyen d’expérimentations de montage et de son prometteuses mais trop timides. Le sujet est cependant intéressant, la sincérité indéniable et le film a le mérite d’exister dans ce contexte si difficile.
Avec son film de montage Bobine n°21, le restaurateur d’archives palestinien Mohanad Yaqubi s’empare d’anciennes vidéos relatives au mouvement japonais de solidarité avec la Palestine.
Il en propose un montage qui donne un aperçu de l’esprit de l’époque. Le problème est que le réalisateur (improvisé) n’interroge pas ces images, ne cherche pas à leur donner un autre sens par la grâce du montage, comme ont pu le faire par exemple des Godard ou des Bouanani. Le résultat, aujourd’hui en 2022, est donc tout à fait identique à ce que disaient déjà ces images de propagande à l’époque de leur fabrication. Un film instructif mais assez vain.
Beaucoup d’émotion dans le Panorama du cinéma marocain
Comme son nom l’indique, le Panorama du cinéma marocain comprend une sélection de films marocains très récents (quand bien même le Maroc est également et paradoxalement représenté dans d’autres sections).
Le nouveau film de Faouzi Bensaidi, Jours d’été, est une adaptation très élégante de La Cerisaie de Tchekhov. Le cinéaste revient à ses premières amours théâtrales et démontre une fois de plus sa grande aisance dans la composition des cadres, la chorégraphie des comédiens et la distillation d’une douce absurdité au sein d’un réel toujours cruel.
Plus de dix ans après Rachel (2009), la réalisatrice documentariste franco-marocaine Simone Bitton revient avec un film plus apaisé et plus intime par lequel elle sillonne les quatre coins du Maroc pour remonter ses racines familiales et rendre compte, par là même, du formidable travail de mémoire collective réalisé par les gardiens musulmans de cimetières juifs.
Ziyara est un film de rencontres et de désir, empli de générosité et d’humanité et évitant soigneusement tout didactisme. En partant à la rencontre de ces femmes et hommes, Simone Bitton se livre à une introspection historique, culturelle et familiale ample et émouvante.
Une autre réalisatrice de documentaires marocaine, plus jeune, est également mise en avant par le FIFM. Avec La Carte postale, Asmae El Moudir part d’une carte postale retrouvée dans les archives familiales et revient dans le village de montagne où vivait sa mère avant qu’elle ne naisse.
À la recherche de ses racines, elle sympathises avec des femmes du village et dresse un discours plus universel sur l’exil et l’émancipation féminine. Le film n’échappe pas toujours à une imagerie involontairement évoquée par son titre mais touche par sa sobriété et sa pudeur.
Séances spéciales et de gala : Panahi et Saleh moins inspirés que d’habitude
D’autres films sont également proposés en Séances de gala, en Séances spéciales, en hommage à des personnalités du 7e art, en séances pour la jeunesse ou encore en séances en plein air sur la fameuse place Jemaa el-Fna.
Sans être le meilleur film de Jafar Panahi, Aucun ours témoigne avec toujours autant de brio de la malice et du sens de la mise en abyme du fameux cinéaste iranien. Il s’y montre plus cruel et misanthrope que d’ordinaire, mais sachant tout ce qui lui arrive depuis de nombreuses années, il est aisé d’en comprendre les raisons.
Entre documentaire et fiction, Sous les figues d’Erige Sehiri est une petite merveille de grâce, de sensualité et d’humanité. Un marivaudage en gros plans mené par de jeunes Tunisiens au fil d’une journée de cueillette de figues, du lever au coucher du soleil. Un film de rêves et de visages.
La Conspiration du Caire est moins un film qu’un scénario filmé. Tarik Saleh se repose trop sur son récit, certes très intéressant, et se contente de l’illustrer platement (à deux ou trois scènes près) à coups de dialogues très nombreux et filmés en de banals champs/contre-champs.
Il ne tire aucun parti du lieu pourtant très cinégénique dans lequel se déroule l’intrigue, l’université al-Azhar au Caire (en réalité la mosquée Süleymaniye en Turquie, du fait que le réalisateur est interdit de séjour en Égypte). Pour rester sur une bonne image de ce cinéaste qui semble-t-il est déjà acquis à la cause occidentalo-cannoise, mieux vaut donc se cantonner à son précédent opus, Le Caire Confidentiel, tout aussi prenant mais cinématographiquement bien plus inspiré.
Fièvre méditerranéenne de la Palestinienne Maha Haj, tourné en Israël, est une comédie dépressive d’excellente facture. Comme souvent dans cette cinématographie (Elia Suleiman en tête), l’insolite s’immisce dans le réel pour traduire subtilement, à travers les errances mentales et les plans farfelus de son héros écrivain en manque d’inspiration, les paradoxes d’une situation géopolitique qui fait tout autant de surplace. On rit jaune, on frémit parfois, on s’étonne toujours de la calme et pacifique inventivité de ce film singulier.
Vendu comme un Thelma et Louise à la marocaine, Reines de Yasmine Benkiran n’a fondamentalement rien de honteux. Bien mené et interprété, il divertit jusqu’au bout. Reste que s’il s’inscrit dans un genre peu exploité au Maroc, il s’avère bien plus convenu et inoffensif dans le champ du 7e art en général où ce genre de film a déjà été vu mille fois.
On y trouve également certains défauts propres aux premiers films : une note d’intention louable mais trop explicite, beaucoup de références, des symboliques un peu forcées (l’histoire de Kandisha)… Il convient donc d’attendre son second film pour voir si Yasmine Benkiran peut tenir ses promesses.
Après son premier long métrage, le très réussi Lynn + Lucy qu’il avait tourné en Angleterre, le réalisateur britannico-marocain Fyzal Boulifa revient à son pays d’origine. Ce second long, Les damnés ne pleurent pas, n’est pas inintéressant mais s’avère un peu décevant. Les situations sonnent assez faux, les clichés sont parfois de la partie et l’ensemble ressemble davantage à un film occidental sur le Maroc qu’à un film authentiquement marocain.
Les deux comédiens, dans les rôles de cette mère et de son fils en galère et qui s’adorent autant qu’ils se détruisent l’un l’autre, sont par contre formidables.
Tous ces films, quels que soient leurs qualités et défauts, témoignent de la vitalité et de la présence de plus en plus vive, sur la scène internationale, des cinémas d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.
L’auteur de cet article a concentré sa disponiblité de spectateur sur les films issus de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. En raison de ses engagements pédagogiques avec ses étudiants en cinéma de l’École supérieure des Arts Visuels (ESAV) de Marrakech, certains titres lui ont néanmoins échappé. Les paragraphes ci-dessus recensent ceux qui ont pu être visionnés.
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