Zoo de Gizeh : l’arrivée d’un investisseur émirati inquiète les Égyptiens
Au Caire, le zoo de Gizeh, le plus ancien d’Afrique et du Moyen-Orient, doit fermer ses portes avant la fin du mois pour la première fois depuis son ouverture en 1891.
Dans le cadre d’un projet d’une durée qui pourrait s’étendre à dix-huit mois, un milliard de livres égyptiennes (environ 31 millions d’euros) seront versées par un consortium égypto-émirati pour rénover le zoo, en retirant notamment les cages, ainsi qu’un jardin botanique voisin.
Une fois les travaux terminés, les animaux vivront dans des espaces ouverts et les visiteurs suivront des itinéraires prédéfinis. Les deux sites seront reliés par un système de télécabine, affirme le groupe, qui précise que les attractions historiques du site ne seront pas touchées.
En contrepartie, pendant les 25 prochaines années, le consortium bénéficiera d’un « usufruit » – un droit permettant à une partie de percevoir des revenus issus d’un bien appartenant à une autre partie – sur le zoo et le jardin botanique al-Orman qui le jouxte.
Le ministère de l’Agriculture indique qu’il restera propriétaire du zoo de Gizeh et que le consortium – composé de Worldwide Zoo Consultants, basé à Abou Dabi, d’un organisme égyptien dont le nom n’a pas été divulgué et d’une filiale du ministère égyptien de la Production militaire – verserait chaque année une somme supérieure au total des revenus annuels actuellement générés par des deux sites.
Consternation
Cette réorganisation suscite toutefois des réactions de consternation. Les craintes se font de plus en plus vives à l’idée de voir ce zoo traditionnellement prisé des Égyptiens à faible revenu rejoindre les autres biens publics vendus à des enchérisseurs étrangers alors que l’Égypte s’efforce de renflouer ses caisses vides.
Les habitants pensent que le zoo de Gizeh deviendra au mieux inaccessible aux plus défavorisés ou, au pire, finira entre les mains des Émirats arabes unis et suivra ainsi la trajectoire empruntée par de nombreuses autres institutions égyptiennes au cours des derniers mois.
Les gouvernements égyptiens successifs n’ont pas investi dans le site, dont la clôture en acier est toujours la même depuis son ouverture en 1891, de même que certaines cages d’animaux, de reptiles et d’oiseaux
Le prix de l’entrée pour visiter la citadelle de Saladin, une forteresse historique située dans le sud du Caire, a par exemple été multiplié par cinq en 2020 après le transfert de la gestion du site à un investisseur égypto-émirati.
« Le mot “réorganisation” est en train d’acquérir une connotation négative et fait peur à tout le monde », affirme à Middle East Eye Galal Shalabi, un employé du zoo de Gizeh, s’exprimant sous un pseudonyme par crainte de répercussions. « L’impression générale est que cette réorganisation ne fera qu’aggraver les choses. »
Abritant des dizaines d’espèces d’animaux et d’oiseaux et des milliers d’arbres rares, le zoo de Gizeh, qui s’étend sur environ 80 hectares, a été visité par des dizaines de millions d’Égyptiens depuis son ouverture à la fin du XIXe siècle.
Proche du centre de la capitale égyptienne et adjacent à l’université du Caire, le site comporte également plusieurs musées et un pont en acier conçu par l’ingénieur civil français Gustave Eiffel.
Le zoo abritait également une chambre à coucher appartenant à Farouk, le dernier monarque d’Égypte, membre de la dynastie de Méhémet Ali qui a régné sur l’Égypte de 1805 à 1952.
De nombreux Égyptiens, de toutes classes sociales, ont des souvenirs d’enfance dans ce zoo.
Des Égyptiens de tous âges le visitent : certains visiteurs y entrent souvent après leur journée de travail pour quelques livres égyptiennes. Les écoles de tout pays y organisent des visites et des milliers d’écoliers y entrent chaque jour.
« On craint que ce projet de modernisation ne finisse par détruire l’endroit », affirme à MEE Maged al-Rahib, président de la Société pour la préservation du patrimoine égyptien, l’organisation locale de défense du patrimoine. « Le zoo de Gizeh était autrefois un sanctuaire de divertissement pour les plus défavorisés. »
Malgré cela, le zoo tombe en ruine depuis des années.
Les gouvernements égyptiens successifs n’ont pas investi dans le site, dont la clôture en acier est toujours la même depuis son ouverture en 1891, de même que certaines cages d’animaux, de reptiles et d’oiseaux.
Par ailleurs, l’autorité en charge du site n’a pas été en mesure de remplacer de nombreux animaux, oiseaux et reptiles décédés ces dernières années, victimes de négligence ou de malnutrition.
Une meilleure gestion, pas une modernisation
D’autres animaux ont disparu ou ont été volés par des employés du zoo. Même la chambre du roi Farouk a été mystérieusement volée en 2013, de manière inexpliquée, avant de réapparaître plusieurs années plus tard aux États-Unis, en vente au prix d’un million de dollars.
Début janvier, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi a demandé que le zoo soit modernisé afin de répondre aux normes internationales.
« La fermeture du site sera une catastrophe pour des employés comme moi, qui ne percevront probablement plus leur salaire »
– Un employé du zoo à MEE
« L’Égypte mérite d’avoir un jardin zoologique du même niveau que ceux des États développés », affirme à MEE Saqr Abdel Fattah, membre de la commission en charge de l’agriculture au Parlement égyptien.
Mais selon des spécialistes qui suivent de près la transaction, le seul souci du consortium égypto-émirati est de rentabiliser ses investissements.
« Cette modernisation pourrait entraîner des changements radicaux dans le zoo, par opposition au travail de conservation qui devrait y être fait », indique à MEE Suhair Hawass, spécialiste en urbanisme.
« Les investisseurs moderniseront le site pour en tirer de l’argent, ce qui signifie qu’ils feront tout pour le récupérer, peu importe ce à quoi le jardin ressemblera à l’avenir. »
Les employés du zoo s’inquiètent pour leurs moyens de subsistance à court terme.
« La fermeture du site sera une catastrophe pour des employés comme moi, qui ne percevront très probablement plus leur salaire », affirme à MEE Mustafa Abdurrahman, qui souhaite utiliser un pseudonyme par crainte pour sa sécurité. « Ce zoo a besoin d’une meilleure gestion, pas d’une modernisation. »
Des questions relatives aux droits des animaux
Le projet est également critiqué pour son objectif, privilégiant le divertissement au détriment du bien-être animal.
Selon Dina Zulfiqar, une défenseure des droits des animaux, les responsables gouvernementaux qui évoquent la transaction négligent les fonctions modernes des parcs zoologiques, à savoir la sensibilisation du grand public à la vie sauvage et la protection des espèces menacées d’extinction.
« Ils le font délibérément », soutient celle qui est également membre d’une commission ministérielle chargée de superviser les parcs zoologiques d’Égypte. « Ils se focalisent plutôt sur les aspects du projet de réorganisation du zoo qui concernent le divertissement, ce qui est navrant. »
Les efforts déployés par Dina Zulfiqar et d’autres spécialistes pour améliorer les conditions de vie des animaux du zoo se sont heurtés par le passé à de nombreuses difficultés.
Certains organismes publics, dont le ministère du Tourisme et des Antiquités, ont imposé des restrictions à leur travail, notamment à l’intérieur ou à proximité de parties du zoo classées en tant qu’antiquités, souligne-t-elle.
Dina Zulfiqar demande également que le zoo soit déplacé du secteur très fréquenté où il se trouve actuellement, dans la mesure où la pollution et le bruit le rendent impropre à l’accueil d’animaux.
Selon Dina Zulfiqar, une défenseure des droits des animaux, les responsables gouvernementaux négligent les fonctions modernes des parcs zoologiques, à savoir la sensibilisation du grand public à la vie sauvage et la protection des espèces menacées d’extinction
Cet accord portant sur l’usufruit du zoo intervient alors que les autorités liquident de nombreux biens publics qu’elles confient à des organismes étrangers, notamment des fonds souverains détenus par des pays du Golfe.
Les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite et le Qatar ont acquis un grand nombre de biens publics égyptiens, notamment des banques, des entreprises et des usines, contre des milliards de dollars.
Fortement tributaire des importations de denrées alimentaires en provenance du marché international, l’Égypte doit désormais payer plus cher ses importations en raison de la guerre en Ukraine et a désespérément besoin d’argent pour compenser les pertes subies.
La perte des touristes russes et ukrainiens qui affluaient en Égypte par millions avant l’invasion a porté un coup brutal à l’économie du pays. Le secteur du tourisme représente 20 % du PIB de l’Égypte et emploie 10 % de ses 27 millions de travailleurs.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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