« Un crime contre l’Égypte » : un pont routier menace la somptueuse côte d’Alexandrie
À Alexandrie sur la côte septentrionale de l’Égypte, les autorités sont sous le feu des critiques en raison de la construction d’un pont routier. Pour certains habitants et experts, il fait peser des risques majeurs pour l’environnement et détruit une partie de sa côte.
Ce pont routier, baptisé pont Sadate, est en construction à Montazah, l’un des six quartiers d’Alexandrie, dans la partie orientale de la ville.
Il s’inscrit dans un projet plus important qui vise à fluidifier la circulation dans ce quartier et qui comprend aussi la construction d’un tunnel et d’une passerelle piétonne.
Les habitants accusent les concepteurs de ce pont et ceux qui le construisent de porter atteinte à la côte d’Alexandrie.
« Ce pont routier équivaut à un crime contre la côte de notre ville », déclare à Middle East Eye Wael Idriss, fonctionnaire qui habite à Montazah. « À cet endroit, la plage a déjà été détruite et transformée en simples blocs de ciment. »
Les responsables d’Alexandrie défendent le projet comme le fruit de plusieurs années d’étude. Il est, selon eux, nécessaire pour mettre fin aux bouchons dans la partie orientale d’Alexandrie, en particulier l’été, lorsque la ville attire de nombreux vacanciers de tout le pays.
« Ces projets s’ajouteront parfaitement à la route côtière d’Alexandrie », assure le chef de la municipalité de Montazah, le général Mohamed Sahloul, à MEE à propos d’une grande autoroute est-ouest.
Il balaie les accusations selon lesquelles les autorités transforment cette partie de la côte en jungle de béton, faisant remarquer que les alentours et le dessous du pont routier seront transformés en promenade où les piétons pourront profiter de la vue sur la mer.
Le général de division Mukhtar Hussein, chef de l’autorité de reconstruction de la côte nord, rejette également les informations selon lesquelles ce projet conduira à la fermeture de la populaire plage Beau Rivage pour mener à bien la construction.
« La plage reste telle qu’elle est », a-t-il récemment affirmé au site d’informations Masrawy en réaction à une campagne sur les réseaux sociaux contre ce projet, qui sera achevé en deux mois selon lui. Il a ajouté que la plage resterait accessible et visible pour les piétons.
« Quiconque empruntera cette route verra la mer sans obstacle et, pour les gens sur la plage, le pont servira de parasol. »
Il a assuré qu’il était « impensable que nous détruisions les plages d’Alexandrie.
« De l’ignorance complice »
Pour édifier ce pont, l’Agence centrale d’urbanisme, bras exécutif du ministère du Logement, a dû suspendre l’accès à Beau Rivage, la plus grande et populaire des plages publiques de l’Est d’Alexandrie.
Ce pont enjambe en grande partie la côte dans cette zone, surplombant ce qui était une plage publique et intégrant le rivage aux infrastructures de transport d’Alexandrie.
« Cela va au-delà de l’ignorance et c’est une provocation pour la population », tweete un opposant au projet.
Un autre écrit : « Pourquoi détruisent-ils Montazah, son histoire, son patrimoine et sa beauté ? C’est de l’ignorance complice. »
Mohamed Ibrahim Gabr, professeur d’urbanisme à l’université Ain Shams, fait valoir qu’il aurait été possible de mettre fin aux bouchons dans ce quartier sans empiéter sur la côte de Montazah et détruire l’une des plages publiques les plus prisées du coin.
« Les habitants auraient dû pouvoir proposer des solutions aux problèmes de circulation », suggère-t-il.
Une alternative, d’après Gabr, aurait été pour le gouvernement de mener des études sur les activités commerciales qui provoquent cette affluence dans le quartier et envisager leur déplacement contre compensation des propriétaires.
Préoccupations environnementales
Par ailleurs, le projet suscite des inquiétudes pour l’environnement alors même que le sommet annuel de l’ONU pour le climat, la COP27, doit se tenir dans la station balnéaire égyptienne de Charm el-Cheikh sur la mer Rouge en novembre.
Magdi Allam, secrétaire général de la Fédération égyptienne pour le développement durable, redoute les effets environnementaux de ces nouveaux projets, en particulier le pont routier qui empiète sur la côte.
« Ce pont routier avec ses colonnes en béton peut avoir des effets négatifs sur la faune et la flore marines locales », prévient l’ex-député et ancien ministre de l’Environnement.
« Les gaz d’échappement des véhicules empruntant ce pont routier vont aggraver ces effets. »
Alexandrie et le Delta du Nil voisin sont mal placés pour résister aux impacts des changements climatiques, en particulier l’élévation du niveau de la mer, et certains quartiers de la ville devraient finir par être submergés par la mer.
Pour Allam, de tels projets ne devraient pas être mis en œuvre si près de la côte d’Alexandrie.
« C’est pourquoi les agences chargées de la protection de l’environnement devraient agir pour empêcher ces projets. »
Surpopulation estivale
Surnommée « la fiancée de la Méditerranée » par les Égyptiens, Alexandrie est de loin la station balnéaire la plus populaire du pays. Outre ses plages, elle possède un certain nombre de monuments anciens, notamment une forteresse du XVe siècle et un amphithéâtre qui date de la période romaine.
Située à 300 km au nord de la capitale Le Caire, elle fut le lieu de villégiature estivale des élites pendant de nombreuses années.
Elle a été déclassée lorsque des milliards de dollars d’investissements touristiques ont été injectés dans d’autres régions côtières, notamment Charm el-Cheikh et Hurghada sur la mer Rouge, et sur certains littoraux de la côte méditerranéenne du Nord de l’Égypte, notamment Alamein, un site de la Seconde Guerre mondiale à l’ouest d’Alexandrie.
La ville est désormais la destination privilégiée de la classe moyenne et des Égyptiens plus pauvres, des centaines de milliers d’estivants s’y rendent entre juin et septembre-octobre pour échapper à la chaleur de l’intérieur des terres.
Des dizaines de milliers d’appartements de la ville sont proposés à la location à des prix abordables pour ces vacanciers, tandis que de nombreux hôtels 2 et 3 étoiles fournissent là aussi un hébergement peu onéreux.
Cependant, ces visiteurs s’ajoutent aux 5,5 millions d’Alexandrins et la ville est pleine à craquer l’été.
La partie orientale d’Alexandrie attire tout particulièrement car près des deux tiers des plages publiques gratuites de la ville s’y trouvent.
Étant donné les bouchons qui en résultent, certains d’habitants voient ces nouveaux projets comme une bonne solution aux problèmes de circulation.
« Ces projets seront idéaux pour résoudre les problèmes de circulation et de surpopulation dans le quartier, lesquels sont devenus intolérables l’été », rapporte Walid Keshk, un habitant, à MEE. « Personne ne peut imaginer ce que les gens endurent pour aller et revenir du travail en passant par l’Est d’Alexandrie l’été à cause des bouchons. »
Alexandrie a été fondée par Alexandre le Grand en 331 avant notre ère, et au fil des siècles, sa population est restée à peu près stable. Cependant, au cours du siècle passé, le nombre d’habitants a explosé, passant progressivement de 1,5 million en 1952 à 5,5 millions aujourd’hui. D’une superficie de 2 679 kilomètres carrés, Alexandrie est la 7e ville la plus densément peuplée du pays, avant même l’afflux de visiteurs estivaux.
La plupart de ceux qui veulent sortir de Montazah et de certains autres quartiers d’Alexandrie, notamment Mandara, pour rejoindre la route côtière se rencontrent à l’intersection de la route et de la rue 45, créant d’énormes bouchons, rapportent certains Alexandrins.
L’un d’eux a fait référence sur Twitter aux multiples précédentes tentatives de fluidifier le trafic en mandatant des policiers pour mieux gérer la circulation. Les policiers n’ont pas réussi à ramener un semblant d’ordre et « cette intersection a été éliminée par la suite ».
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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