« Que reste-t-il de notre dignité ? » : en Algérie, l’agression d’une enseignante relance le débat sur les conditions de travail dans l’éducation
L’agression a eu lieu le 11 janvier, quand un collégien a poignardé son enseignante de langue arabe, d’un coup de couteau dans le dos, à Batna, à 435 km au sud-est d’Alger.
L’enseignante a été transportée à l’hôpital et se trouve actuellement dans un état stable, tandis que l’élève a été placé en détention provisoire en attendant son procès.
L’information de l’attaque s’est rapidement répandue via les réseaux sociaux, suscitant émoi et condamnations.
« J’étais plus que choquée en lisant la nouvelle ! Il ne s’agit pas d’une simple agression mais d’une tentative de meurtre. L’enseignement, qui était l’un des métiers les plus sûrs, ne l’est plus », résume à Middle East Eye Hibet-Allah, enseignante en école primaire à Alger.
« L’enseignement, qui était l’un des métiers les plus sûrs, ne l’est plus »
- Hibet-Allah, enseignante en école primaire à Alger
« La situation dans le secteur de l’enseignement continue de se dégrader », poursuit-elle.
« Nous ne nous sentons plus en sécurité. L’agression de l’enseignante n’est malheureusement pas un cas à part. Nous avons déjà trouvé un couteau dans le cartable d’un élève de notre école et plusieurs de mes collègues ont été victimes d’agressions verbales et physiques par des parents d’élèves pour avoir osé donner une punition à leurs enfants. »
Le ministre de l’Éducation nationale, Abdelhakim Belabed, accompagné de la ministre de la Solidarité nationale, de la Famille et de la Condition de la femme, Kaouthar Krikou, s’est rendu au chevet de l’enseignante agressée.
« Cet incident exige une réflexion sur les changements à apporter aux règlements internes des établissements scolaires », a reconnu le chef du département de l’Éducation dans une déclaration rapportée par l’agence de presse officielle APS.
« Après les résultats de l’enquête, nous n’hésiterons pas à prendre les sanctions nécessaires et appliquer la loi contre tous ceux dont la responsabilité est établie dans ce tragique incident », a indiqué le ministre, en soulignant que « l’État déploie tous ses efforts pour assurer la sécurité nécessaire aux professionnels du secteur ».
Tomates, œufs et pierres
Plusieurs actions de solidarité ont été organisées dans les établissements scolaires, dans tout le pays, en soutien à la professeure agressée. Mais selon les employés du secteur, ces actions restent vaines si elles ne sont pas soutenues.
« Les appels à des sit-in de solidarité ont été lancés par les enseignants eux-mêmes sur les réseaux sociaux. Mais personne n’entend les syndicats, qui n’ont appelé à aucune protestation, mais dont la mission est pourtant de soutenir les professeurs et de protéger leurs droits », dénonce Hibet-Allah.
« Les actes de solidarité et de protestation restent insuffisants et ne sont pas assez entendus », ajoute Kahina, enseignante de langue anglaise en cycle moyen dans la wilaya (préfecture) de Tipaza, 61 km à l’ouest d’Alger.
« Même les journalistes n’ont que très peu rapporté l’agression. Ce qui n’aurait pas été le cas si la victime avait été un élève qui aurait suscité plus de sympathie. À la fin de chaque année, on voit nos efforts récompensés par des tomates pourries, des œufs et même des pierres qui nous sont jetés dessus par les élèves », poursuit-elle.
« Malgré nos dénonciations, rien n’a été fait. Je ne vois pas l’intérêt des déclarations du ministre de l’Éducation nationale qui affirme que la dignité de l’enseignant sera protégée, que reste-t-il de notre dignité ? »
La jeune femme appelle à ce que des mesures concrètes soient adoptées – notamment via un texte de loi – pour protéger l’enseignant à l’intérieur comme à l’extérieur des écoles.
« Les lois ne doivent pas être du noir sur blanc seulement. Elles doivent impérativement être appliquées », appelle-t-elle.
Cette revendication est soutenue par des parents d’élèves, qui sont nombreux à réclamer un renforcement des mesures de sécurité dans les établissements scolaires.
« Une arme blanche dans le cartable d’un élève n’est pas une menace pour les professeurs seulement, elle l’est pour nos enfants aussi. Les parents d’élèves doivent également faire entendre leurs voix pour protester contre cette violence », appelle Ahmed, père de trois enfants scolarisés à Alger.
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