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Algérie : l’introduction de l’anglais au primaire, critiquée mais jugée nécessaire

Le président algérien a décidé d’accélérer la cadence de l’enseignement de l’anglais dès la rentrée scolaire au primaire, suscitant des craintes chez les enseignants et spécialistes de l’éducation
Le ministre de l’Éducation nationale a affirmé que son département était « prêt » pour l’introduction de l’anglais dans l’école algérienne dès septembre (AFP)
Le ministre de l’Éducation nationale a affirmé que son département était « prêt » pour l’introduction de l’anglais dans l’école algérienne dès septembre (AFP)
Par Ali Boukhlef à ALGER, Algérie

« Chez nous, la langue française est un butin de guerre mais l’anglais est une langue internationale » qui va être enseignée dès la rentrée scolaire « pour que l’Algérie accède à l’universalité ».

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C’est par cette courte phrase que le président algérien Abdelmadjid Tebboune a annoncé le1er août lors d’une intervention télévisée, l’introduction de l’anglais dès l’enseignement primaire – il est actuellement enseigné à partir du collège – pour les écoliers algériens qui apprennent jusque-là le français comme première langue étrangère.

Il a aussi précisé que cette décision allait être appliquée « après une étude approfondie menée par des experts et des spécialistes ». Le ministère de l’Éducation nationale n’a pas perdu de temps : dès le lendemain, le ministre, Abdelhakim Belabed, a réuni par visioconférence les directeurs départementaux de son secteur pour leur annoncer l’application de cette « instruction » dès la rentrée scolaire, fixée au 21 septembre.

Dans la foulée, des appels ont été lancés en direction des diplômés en langue et littérature anglaises « désirant être recrutés » pour qu’ils déposent leurs dossiers de candidature à des postes « d’enseignants contractuels », dans l’immédiat. Plus de 60 000 prétendants ont déposé leurs dossiers selon les médias.

Mi-août, le ministre de l’Éducation a confirmé que l’anglais serait désormais enseigné à partir de la troisième année primaire, à raison de trois heures hebdomadaires avec le français.

« Une arrière-pensée politique et idéologique »

Pour les syndicalistes du secteur, interrogés par MEE, cette décision s’est faite « dans la précipitation ». Et alors que les experts se disent « intrigués » par la faisabilité d’un tel projet, sur les réseaux sociaux et dans les médias, les débats sont vifs.

L’option prise par le gouvernement « n’est pas suffisamment étudiée » et « est précipitée », objecte lui aussi Boualem Amoura, secrétaire général du Syndicat autonome des travailleurs de l’éducation et de la formation (SATEF), contacté par MEE.

« Une telle décision doit être soumise à une réforme profonde du secteur éducatif dans le primaire et à une refonte du système de l’éducation des langues »

- Messaoud Boudiba, porte-parole du syndicat CNAPESTE

Tout en relevant l’absence de manuels scolaires et de programmes, ce professeur de l’enseignement secondaire estime que même sur le plan logistique, « l’école n’est pas prête ». Selon lui, pour couvrir les besoins des 20 400 écoles primaires que compte le pays, il faudrait recruter près de « 30 000 enseignants ».

« Or il n’existe probablement pas autant d’enseignants dans le pays », précise-t-il. « Une telle décision doit être soumise à des études, conditionnée à des préparatifs et surtout à une réforme profonde du secteur éducatif dans le primaire et à une refonte du système de l’éducation des langues de sorte à ce que cela ne constitue pas une charge supplémentaire pour l’enfant », explique à MEE Messaoud Boudiba, porte-parole du Conseil national autonome du personnel enseignant du secteur ternaire de l’éducation (CNAPESTE, l’un des plus importants du pays).

Les deux enseignants ne s’opposent pourtant pas à l’introduction de l’anglais. Mais pour Boualem Amoura, cette décision cache « une arrière-pensée politique et idéologique » puisqu’elle constitue une revendication du courant islamiste et conservateur qui s’oppose au maintien du français dans l’école algérienne et plaide pour la généralisation de la langue de Shakespeare.

Ces craintes ne sont pas uniquement exprimées par des syndicalistes. Ahmed Tessa est un pédagogue au long cours. Cet enseignant et formateur a fini sa carrière comme conseiller de l’ancienne ministre de l’Éducation Nouria Benghabrit (2012-2017), et compte d’innombrables publications à son actif.

Il considère que « pour qu’une innovation pédagogique de cette envergure réussisse », elle doit « répondre à des normes tant méthodologiques que technico-pédagogiques ». Et pour cela, insiste-t-il auprès de MEE, « il faudrait une bonne année scolaire pour réfléchir et élaborer une stratégie ».

Une formation intensive pour les enseignants

Il pose également la condition, pour les responsables, de « se mettre d’accord sur les objectifs à viser » et « fixer les conditions de cohabitation avec les trois autres langues enseignées au primaire pour éviter l’embouteillage graphique, grammatical et phonétique ».

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En plus de l’arabe, langue de l’enseignement, les enfants algériens apprennent le français et, dans certaines régions, le berbère.

Anticipant ces critiques, le ministre de l’Éducation nationale a affirmé que son département était « prêt » pour l’introduction de l’anglais dans l’école algérienne dès septembre.

« Toutes les composantes du système éducatif seront mobilisées autour de cette démarche stratégique pour en assurer l’aboutissement », a assuré Abdelhakim Belabed, indiquant que « l’enseignement de cette matière sera confié à des spécialistes qui bénéficieront d’une formation intensifiée ».

L’annonce de l’introduction de l’anglais dans le système éducatif algérien a suscité des réactions contradictoires sur les réseaux sociaux. Certains estiment que faire de l’enseignement de l’anglais une priorité est une « bonne chose », d’autres considèrent que cela s’est fait de manière « hâtive » et « non réfléchie ».

Beaucoup de ceux qui se sont réjouis de cette annonce font le lien avec une éventuelle disparition du français des manuels scolaires algériens à long terme.

Ils y ont été encouragés par le remplacement des écriteaux en français des frontons des institutions publiques par d’autres en anglais, en réaction, en octobre 2021, à des déclarations du président français Emmanuel Macron qui avaient suscité la colère en Algérie. Ce dernier s’était interrogé sur la réalité de l’existence de la nation algérienne avant la colonisation française.

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