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Lettre à mes frères, ou les combats fratricides au Soudan

Le message d’un Soudanais à ses deux frères engagés chacun dans un camp dans les combats en cours révèle les déchirures de toute une société otage de ce conflit
Les populations civiles au Soudan vivent des conditions de stress et de dénuements de plus en plus dures (AFP)
Les populations civiles au Soudan vivent des conditions de stress et de dénuements de plus en plus dures (AFP)
Par MEE

Depuis un peu plus d’une semaine, les combats se poursuivent au Soudan entre les troupes du général Abdel Fattah al-Burhan, chef de l’armée et dirigeant de facto du pays depuis le putsch de 2021, et son numéro deux Mohamed Hamdan Dagalo, chef des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR). Tirs et explosions ont encore secoué dimanche Khartoum, selon des témoins.

Les violences, principalement dans la capitale et au Darfour, dans l’ouest, ont fait selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) plus de 420 morts et 3 700 blessés. Otages de ces combats, les Soudanais se terrent chez eux ou tentent de fuir Khartoum vers des villes et villages relativement plus calmes, alors que se détériorent jour après jour les conditions de vie – coupure d’eau et d’électricité, pénurie de denrées alimentaires.

Au milieu de ce chaos, les destins individuels semblent effacés, écrasés par la violence et les enjeux politiques. Mais des voix s’élèvent à travers le fracas des armes pour dire la vérité de la violence, de la guerre et des combats qui risquent de dériver vers une guerre civile.

Mohamed Gaaly, habitant de Khartoum, ne s’attendait pas à déclencher une onde de choc émotionnelle en publiant son messagesur son profil Facebook, le 18 avril. « À mon frère Mosâb Gaaly des forces armées, la nuit dernière Dieu a prodigué une bénédiction à notre frère benjamin Yaâcoub des Forces de soutien rapide qui vient d’avoir un fils, mais il n’est pas au courant. S’il tombe prisonnier entre tes mains ou si tu tombes toi-même prisonnier entre ses mains, informe-le. Je demande à Dieu de vous protéger tous les deux dans cette bataille où le seul perdant n’est que moi », écrit le jeune homme.

Ce post est devenu très vite viral, provoquant des centaines de réactions de solidarité et de compassion à travers le monde arabe.

Traduction : « Drames de la guerre au Soudan. Un frère se bat contre son propre frère. C’est une guerre destructrice et le perdant reste le peuple soudanais. Que Dieu nous protège de la discorde et qu’Il les réunisse dans le bien. »        

Un internaute réagit sur Twitter : « En Irak, quand l’Irakien a tué son frère, je me suis dit que c’était à cause des conflits entre confessions. Puis en Syrie, la scène s’est répétée, et j’ai dit la même chose. Puis en Égypte, une partie de la scène s’est répétée. Puis au Soudan, la scène se répète, et le citoyen tue son frère au son des encouragements, comme si l’arabité était devenue une malédiction. »

Après cette vague de messages et de réactions, Mohamed Gaaly a tenu à remercier tous ceux qui avaient réagi à son message adressé à ses deux frères soldats. « Merci pour vos nobles sentiments et vos réactions à ma lettre qui a été motivée par le désir de revoir mes frères et par l’inquiétude », écrit-il.

« Beaucoup d’entre vous ne savent pas ce que le Soudan a traversé ces dernières années et que les jeunes souffrent du chômage, ce qui les pousse vers le chemin le plus court pour gagner leur vie et assurer leur avenir, à savoir l’engagement dans la troupe », ajoute Mohamed Gaaly.

Dans une interview accordée au site Akhbar al-Ann, ce dernier détaille la situation de ses deux frères. L’aîné, Mosâb, berger enfant, n’a pu aller au bout de ses études et a rejoint l’armée à 19 ans. Le plus jeune, Yaâcoub, n’a même pas fini ses études primaires et rejoindre les Forces de soutien rapide était son seul débouché.

« Dans notre famille de trois garçons et sept filles, je suis le seul qui a eu la chance d’avoir un diplôme universitaire, tandis que les autres sont soit femmes au foyer, soit soldats », témoigne-t-il.    

Traduction : « Mohamed Gaaly raconte une histoire de fratricide dans la guerre au Soudan. »

Dans son post Facebook, Mohamed Gaaly dit comprendre « ceux qui ont été trompés par les sanguinaires qui ont utilisé les sentiments tribaux ou régionaux afin d’arriver au pouvoir ». Ces derniers « ne se soucient pas de ce que ressentent les familles pour leurs enfants » et « veulent juste conserver leurs privilèges, y compris au prix des larmes des mères et des pères ».

Plus tard, Mohamed Gaaly donne des nouvelles de ses deux frères : « J’ai pu contacter mes frères et ils sont très contents de la nouvelle de la naissance… Tous les deux se sont accordés à appeler le nouveau-né Mohamed, mon prénom. »

« Ils se sont moqués de mon anxiété et m’ont dit qu’ils se battaient selon leurs convictions, chose que je respecte bien malgré moi. »

« Ils m’ont dit, à la manière orientale, nous sommes des ‘’hommes’’ […] Un de mes frères m’a dit qu’ils se battraient jusqu’à leur dernier souffle », confie Mohamed Gaaly à Akhbar al-Ann.

Mosâb et Yaâcoub se sont-ils croisés lors des combats ? « Oui, ils m’ont dit qu’ils s’étaient rencontrés, qu’ils s’étaient salués puis étaient revenus au combat… Ils ont dit que, naturellement, ils ne se viseraient pas avec leurs armes… Mais cela reste étrange. »

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