En Tunisie, le caricaturiste Z, critique féroce du président Saied
Il dessine le président Kais Saied ventouse retournée sur la tête, le bras levé et sous les traits d’Hitler. Le caricaturiste « Z » est l’un des critiques les plus féroces de ce qu’il voit comme une « dictature » en Tunisie.
Lors d’un entretien avec l’AFP à Tunis, le dessinateur qui se fait appeler par la seule lettre « Z » a demandé d’apparaître visage caché sur les photos pour conserver un anonymat adopté depuis 2007 sous la dictature de Zine el-Abidine Ben Ali (1987-2011).
Étudiant, il venait d’ouvrir son site Debatunisie.com pour « questionner sur le plan de l’écologie et l’urbanisme » un méga-projet immobilier sur le lac de Tunis, qui accueille en hiver des centaines de flamants roses. Un animal – miroir de sa propre silhouette longiligne – devenu la signature de son blog de textes critiques et caricatures.
Sous Ben Ali, « l’anonymat était une nécessité, ensuite il y a eu la révolution, donc théoriquement j’aurais pu me révéler au public mais il y avait l’islamisme qui menaçait tout ce qui était un peu contre Dieu, alors que pour un caricaturiste, la religion est un terrain de jeu formidable », explique le dessinateur.
Aujourd’hui, après le coup de force du président Saied qui s’est arrogé tous les pouvoirs en juillet 2021 et a fait emprisonner depuis début février une vingtaine d’opposants, « l’anonymat devient vital car certains se font arrêter à cause d’opinions parfois juste exprimées sur Facebook. Que dire pour un dessinateur qui critique nuit et jour le président ! »
« Avec l’image, j’ai pu contourner la censure »
À cheval entre France et Tunisie, cet architecte de profession veut pouvoir circuler et s’exprimer librement. Il est peu publié en Tunisie mais ses comptes sur Twitter, Facebook ou Instagram sont très suivis.
Z assure être « tombé par hasard » dans la caricature quand son blog a été censuré sous Ben Ali : « Avec l’image, j’ai pu contourner la censure et atteindre un public qui, à la base, n’était pas porté sur la politique ou avait peur ».
Au fil des années, son trait, inspiré des BD de son enfance (Astérix ou Lucky Luke) s’est fait de plus en plus féroce et cru.
Dans ses dessins, outre la ventouse symbolisant des accès de folie d’un président voulant « purifier la Tunisie », Kais Saied chausse des claquettes, que portent aussi ses partisans dont Z dénonce le suivisme et « la bêtise » : il ont « en gros la tête dans les pieds, avec un bout de plastique pour boîte crânienne ».
À ses yeux, le pouvoir actuel en Tunisie « est une dictature qui a pris un virage fasciste » grâce « à la caisse de résonance » des réseaux sociaux, qui sont « la voix de cette masse que Saied appelle le peuple ».
À entonner un « discours de haine et discrimination », « il n’y a pas que Saied lui-même, on a l’impression qu’on peut se faire attaquer pour ses idées, dans la rue, par un oncle ou un cousin, qu’on est très vite taxé d’être islamiste ou un traître ».
« Une sorte de malédiction »
Aucun des dirigeants tunisiens depuis l’indépendance ne trouve grâce aux yeux de Z, pas même le « héros national » Habib Bourguiba avec lequel, dit-il, « tout a commencé : le népotisme et l’arrogance de la classe politique ».
« C’est une sorte de malédiction, à se demander s’il n’y a pas un fantôme qui habite les sous-sols du Palais [présidentiel] de Carthage, qui fait que tous ceux qui y entrent perdent la tête », dit-il.
Même s’« il n’a pas la prétention » de changer les mentalités, Z est heureux des réactions suscitées par ses dernières créations légendées en arabe au lieu du français, même si elles lui attirent aussi menaces et insultes.
« J’ai l’impression de doubler la visibilité de mes dessins, j’atteins des gens rétifs à l’idée-même de caricature et un nouveau public, des adolescents pas très portés sur le français ».
S’il s’est donné pour mission de publier au moins quatre caricatures par mois, il lui arrive d’en créer trois en une semaine, « quand l’actualité s’emballe comme en ce moment ».
Malgré les risques, « se retrouver en dictature [lui] procure plus d’adrénaline que pendant les dix ans de post-révolution ». « L’adrénaline de la peur me rappelle l’époque Ben Ali quand on jouait avec le feu, il y a quelque chose d’un peu jouissif », dit-il.
Par Françoise Kadri.
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