France : fichage des élèves musulmans « absents » durant l’Aïd al-Fitr
Un nouveau scandale de fichage de musulmans vient d’éclater en France. Selon des médias, dont le quotidien Le Monde, un email a été adressé, le 11 mai, aux directeurs d’écoles maternelles, primaires, de collèges et de lycées du département de l’Hérault (sud) par un haut fonctionnaire du service départemental de l’Éducation nationale, posant la question de « l’absentéisme » durant le Ramadan et la fête de l’Aïd al-Fitr.
« Nous sommes interrogés sur l’absentéisme scolaire au cours de la période du Ramadan […] et particulièrement sur la journée du 21 avril, jour de l’Aïd », lit-on dans cet email. Le responsable départemental demande également aux chefs d’établissement de lui répondre « avant le lundi 15 mai à 17 h », tout en précisant ses questions : « Le Ramadan a-t-il eu un impact sur l’absentéisme ? » et « quel a été le taux d’absentéisme de la journée du 21 avril [jour de l’Aïd] ? ».
— Sandrine Rousseau (@sandrousseau) May 19, 2023
Le lendemain de ce message, le directeur académique des services de l’Éducation nationale du département veut corriger la situation en envoyant, à son tour, un email aux directeurs des collèges et lycées héraultais leur demandant de ne pas tenir compte de l’email cité plus haut, tout en présentant ses excuses.
« Mais, au sein du corps enseignant comme parmi les organisations syndicales, ce rétropédalage en règle n’a pas suffi à calmer un sentiment d’indignation », rapporte Le Monde, qui cite un syndicaliste qui se dit « scandalisé » par la demande du responsable départemental.
Ce cas ne semble pas isolé. Un autre journal, La Dépêche du Midi, révèle ce 19 mai qu’une demande similaire a été envoyée à 150 établissements scolaires de Toulouse et sa banlieue (sud-ouest), mais cette fois-ci émanant des services de police.
« On a cru que c’était un spam »
D’après le même média, cet email a été expédié le 26 avril, signé par deux « correspondants police-sécurité-école » de la direction départementale de la sécurité publique de Haute-Garonne, qui expliquent avoir envoyé cet email « à la demande des services de renseignement […] afin de connaître le pourcentage d’absentéisme le vendredi 21 [avril], lors de la fête de l’Aïd ».
« On n’en revenait pas, on a cru que c’était un spam », a réagi sur les colonnes de La Dépêche du Midi une directrice d’une école élémentaire de Toulouse, qui qualifie cet email de « choquant ».
Là aussi, des responsables départementaux se sont désolidarisés de cette approche. La cheffe de cabinet du Directeur académique des services de l’Éducation nationale (DASEN) de Haute-Garonne a envoyé un mail aux chefs d’établissements les enjoignant de « ne pas répondre à cette sollicitation [qui] n’a pas été évoquée avec le cabinet de Monsieur le DASEN ».
« Bien que nos relations de coopération avec les forces de l’ordre se veulent les plus étroites possibles », ajoute-t-elle dans ce message, « nous vous confirmons qu’aucune sollicitation directe des forces de l’ordre […] ne peut avoir pour objectif la transmission de telles données ».
« Ça n’est jamais arrivé, ça n’est arrivé pour aucune autre minorité religieuse, et ça nous paraît un précédent tout à fait inquiétant », s’est inquiétée, dans Le Monde, Marie-Cécile Périllat, cosecrétaire générale du syndicat FSU 31. « Ce n’est pas un fichage, aucun nom n’a été demandé, mais il n’y a aucune justification à cette demande choquante en ce qu’elle associe la pratique religieuse musulmane à une question de sécurité. »
« Une dérive grave »
« En aucun cas nous ne menons d’enquête de la sorte. Si quelqu’un a pris cette initiative, l’Éducation nationale n’y est absolument pas associée », explique au Monde le recteur de l’académie de Toulouse, Mostafa Fourar. « Dès que les chefs d’établissement et directeurs d’école nous ont informés de cette requête, consigne a été évidemment donnée de ne pas y répondre. »
Selon La Dépêche du Midi, certains chefs d’établissement ont répondu à la demande des policiers et auraient notamment été incités à pratiquer cet acte par une inspectrice de l’Éducation nationale.
« Nous y voyons là une dérive grave, une stigmatisation des élèves musulman-es et une atteinte à leur liberté de conscience », s’insurge le syndicat Sud-Éducation.
« Bien évidemment, nous ne pouvons pas nous insurger sur le fait que cela ne soit pas demandé pour une fête chrétienne car toutes les fêtes chrétiennes sont fériées ! Nous rappelons que la liberté de conscience est une liberté fondamentale au sens juridique du terme, garantie par de nombreux textes fondateurs », poursuit le même syndicat.
Dans son communiqué, Sud-Éducation souligne aussi le fait que les établissements visés « se situent dans une zone qui correspond aux quartiers des établissements REP / REP+ [Réseau d’éducation prioritaire] et aux établissements qui accueillent les élèves des deux collèges de Reynerie et Bagatelle ayant fermé dans le cadre du projet dit de ‘’mixité’’ sociale ».
« Si on recoupe cette information avec le discours tenu dans le dernier bilan de ce projet par une élue du conseil départemental, on voit bien comment se décline une politique raciste sur les établissements scolaires », dénonce le syndicat.
Le Monde rappelle que le ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, avait réagi, le 24 avril, concernant un « bond » des absences dans les établissements scolaires durant l’Aïd al-Fitr, en estimant qu’il n’avait pas de chiffres et rappelant le droit en vigueur en la matière.
« Une circulaire de 2004 prévoit ainsi que ‘’des autorisations d’absence doivent pouvoir être accordées aux élèves pour les grandes fêtes religieuses qui ne coïncident pas avec un jour de congé’’, dont la liste est établie par l’Éducation nationale », rapporte Le Monde.
Douze fêtes religieuses, musulmanes, juives, bouddhistes ou arméniennes, font partie des fêtes concernées par cette circulaire.
« À partir du moment où cette liste est bien établie, il est normal que des enfants juifs, des enfants musulmans puissent participer à une grande fête religieuse, qui est aussi souvent l’occasion d’un rassemblement familial, à condition de prévenir en temps et en heure et en admettant que cela puisse souffrir d’exceptions », avait expliqué le ministre Pap Ndiaye.
Dans un communiqué, la secrétaire de l’État chargée de la citoyenneté, Sonia Backès, a reconnu que le ministère de l’Intérieur avait demandé dans certaines académies une « évaluation du taux d’absentéisme constaté à l’occasion de l’Aïd al-Fitr », mais a nié toute volonté de « fichage » des élèves en fonction de leur confession.
« Le ministère étudie régulièrement l’impact de certaines fêtes religieuses sur le fonctionnement des services publics, et notamment au sein de la sphère scolaire », a-t-elle poursuivi. « Aucune donnée nominative a été ni demandée ni recensée à aucun moment », a assuré Sonia Backès.
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